La guerre entre Stéphane Ravier et le RN déboussole l’extrême-droite marseillaise

Reportage
le 11 Fév 2022
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200 personnes avaient répondu présentes à l'appel du sénateur RN qui proposait jeudi soir un meeting dans son fief du 13e arrondissement. Son conflit ouvert avec la direction nationale et locale de son parti crée des tensions parmi les militants.

Stéphane Ravier face aux militants et à la presse devant sa permanence du 13e arrondissement. (Photo : LC)
Stéphane Ravier face aux militants et à la presse devant sa permanence du 13e arrondissement. (Photo : LC)

Stéphane Ravier face aux militants et à la presse devant sa permanence du 13e arrondissement. (Photo : LC)

Rarement une ruelle du petit village des quartiers Nord aura attiré autant de caméras. Jeudi 11 février, dans la rue centrale, cul-de-sac du centre villageois de Château-Gombert où il a sa permanence, le sénateur Stéphane Ravier rassemble ses soutiens, pour une démonstration de force très médiatique. Pas loin de 200 personnes ont répondu à l’appel en début de soirée pour acclamer la figure locale du Rassemblement national, non sans quelques dissonances, éclats de voix, prises de becs en coulisses ou murmures désapprobateurs.

Il n’empêche que l’accueil réservé au sénateur à son arrivée est enthousiaste. “Ça fait du bien de fendre la foule sans avoir peur de se prendre des couteaux dans le dos. Merci d’être venus, d’avoir traversé Marseille en fin de journée pour me soutenir et entendre la vérité”, démarre-t-il sous la lumière des projecteurs. Comme les militants, la presse locale et nationale est venue guetter ce moment se voulant symbolique de la crise politique en train d’éclore au RN. En revanche, aucun élu RN de poids n’a fait le déplacement, pas même Sandrine D’Angio, sa nièce et ancienne maire du secteur, annoncée comme en vacances. L’aventure paraît solitaire.

Franck Allisio dans le viseur

Transformé depuis plusieurs semaines en agitateur et bien décidé à mener le bras-de-fer avec les dirigeants de son parti, il joue la partition entamée la veille sur les chaînes d’infos. Dans son viseur, le “porte-flingues à bouchons de Marine Le Pen” qui aurait décidé de “saccager le travail du groupe au conseil municipal”. Stéphane Ravier oriente sa colère vers Franck Allisio qui tenait au même moment le bureau départemental du parti. Il l’accuse de l’avoir trahi en quittant le groupe au motif que la conseillère municipale Sophie Grech a décidé de parrainer la candidature d’Éric Zemmour pour la présidentielle. “Je n’ai pas demandé à ce qu’elle soit réintégrée au RN, elle est exclue, c’est un fait (…) mais il n’y avait pas besoin de lancer une fatwa contre Sophie Grech, le prochain conseil municipal est en mars, on avait le temps !”. Et l’ancien maire de secteur d’appeler de nouveau Marine Le Pen à choisir entre “un bureaucrate et un militant marseillais de trente ans”. 

Pourtant, convaincu que la balance ne penche plus dans son sens après un mail envoyé aux adhérents du RN par Jordan Bardella, le sénateur annonce une prise de distance d’avec son parti. “Je me retire de toutes les instances nationales”, lâche-t-il, déclarant vouloir concentrer son action politique à l’échelon local en “créant un mouvement uniquement tourné vers Marseille qui s’appelle tout simplement Marseille d’abord”. S’il était déjà éloigné des instances parisiennes, il n’en dira pas plus sur les contours de cette nouvelle entité et évitera ensuite les échanges trop détaillés avec la presse. Dans son court discours, focalisé sur l’oukase envers son camarade de parti, le nom d’Éric Zemmour n’est pas prononcé.

La tentation Zemmour

Il est pourtant sur toutes les lèvres des militants rassemblés là, pas toujours pour en dire du mal. Si tous disent être là “pour soutenir Stéphane”, il semble clair que beaucoup se posent des questions sur la suite de la campagne et le chemin que l’élu pourrait choisir d’emprunter.

Chacun tente d’interpréter le message du soir à sa façon. “Il est clair, il n’y a pas d’ambiguïté”, assure par exemple Antonella Alvarez, conseillère d’arrondissements dans les 9/10, sûre que le “seul sénateur RN” ne sera pas exclu du parti. En face, son camarade dans ce secteur, Richard Dubreuil, s’apprête quant à lui à sauter le pas : il a quitté le RN en novembre, persuadé que “Marine Le Pen est une machine à perdre” et envisage de rejoindre Reconquête, le parti d’Éric Zemmour.

Je suis de Marseille, je n’abandonne pas Stéphane !

Arlette, adhérente RN

Arlette “militante depuis que je suis née et qu’on nous a chassés d’Algérie en 62”, déplore la confusion ambiante : “Je trouve que Zemmour a de très bonnes idées. J’aurais aimé que les deux s’allient”. Au sujet du mouvement lancé par Stéphane Ravier, elle suivra la marche : “je suis de Marseille, je n’abandonne pas Stéphane, sa réaction est tout à fait normale. On ne doit pas mélanger le local et le national. C’est des gamineries tout ça, ça aurait dû se régler en famille”, lâche-t-elle, gobelet de pastis à la main. À quelques mètres, le sénateur multiplie les échanges yeux dans les yeux sur un ton rassurant avec les militants venus chercher des réponses.

Accusations de trahison et coup de tête

Certains n’ont pas retenu leurs commentaires de désapprobation pendant le discours. Jacqueline, militante dans les 15/16 avec Sophie Grech a été choquée du choix de l’élue. “Je suis très déçue de ce qu’elle a fait. Moi je reste RN à 200 %”, jure cette adhérente encartée depuis “deux-trois ans”. Elle dit cependant comprendre la colère de Stéphane Ravier d’avoir été court-circuité par son parti. À ses côtés, une autre militante, survoltée, crie : “Il nous a trahis Stéphane, c’est grave ce qu’il a fait !”.

Dans la petite foule, divisée entre têtes grisonnantes et plus jeunes tendance blouson noir, beaucoup semblent être là en observateurs. Certains pour le camp de Marine Le Pen, tel Enzo Alias, délégué national des Jeunes avec Marine, qui, après avoir qualifié Stéphane Ravier de “traître” sur les réseaux sociaux, a posté un selfie de lui le nez en sang lors du meeting, accusant l’assistant parlementaire du sénateur, Antoine Baudino, de lui avoir mis “un coup de tête”. Ce dernier n’a pas souhaité commenter l’accusation auprès de Marsactu.

Un autre représentant des militants “loyaux” à Marine Le Pen glisse : “Beaucoup de gens trouvent ça triste. Et d’autres venaient en pensant voir Stéphane rejoindre Zemmour”. 

De nombreux soutiens d’Éric Zemmour avaient fait le déplacement.

Ceux-là ne sont pas difficiles à trouver. Nicolas et Rodrigue, la vingtaine, sont tous les deux soutiens d’Éric Zemmour et sont venus “soutenir la démarche” de Stéphane Ravier, dont ils pensent qu’il “ne trahira pas sa famille politique, parce que c’est quelqu’un de droit”, mais qu’il pourrait “appeler à voter Zemmour au second tour”. “Sur le long terme on peut compter sur lui”, prophétise Rodrigue. Non loin du buffet, on repèrera aussi Jérémie Piano, ex-dirigeant de Génération identitaire, condamné pour incitation à la haine raciale, soutien officiel du polémiste. Si le sénateur venait à changer de parti, il semble qu’on lui tend les bras.

Plus surprenant, deux adhérents LR ayant fraîchement quitté leur parti devisent à proximité des paquets de chips. L’un a choisi de rejoindre le RN, l’autre Reconquête. Jusque dans les ruelles du 13e arrondissement, la recomposition de la droite et de l’extrême-droite est à l’œuvre.

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Commentaires

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  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Ahahah ! L’un des charmes de l’extrême-droite, c’est qu’il est possible d’y créer une infinité de mouvements plus excluants les uns que les autres, en s’appuyant sur la forte pensée de Le Pen père : “Je préfère ma famille à mes amis, mes amis à mes voisins, mes voisins à mes compatriotes, mes compatriotes aux Européens.” Ainsi, on peut successivement dire “les Français d’abord”, “les Provençaux d’abord”, “les Marseillais d’abord”, “les Ravier d’abord”, “Stéphane d’abord”…

    M. Le sénateur n’a rien inventé : cette démarche a déjà été utilisée, il y a longtemps, en Alsace avec la création du mouvement “Alsace d’abord” situé à la droite du FN de l’époque, jugé trop “parisien”, donc quasiment estranger. Un groupuscule identitaire qui est resté un groupuscule.

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  2. mrmiolito mrmiolito

    Si on résume un peu, les fachos de Marseille en sont à se mettre des coup de boule entre eux dans une ruelle. Il est vrai qu’ils ont le choix entre Zemmour, hué dans le Panier, et Le Pen, huée au marché aux santons, aucun.e des deux n’étant bienvenu.e à Marseille en tout cas. Ca fait pas rêver….

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  3. Richard Mouren Richard Mouren

    200 personnes….. si on exclue les journalistes, les opposants à Ravier et les zélotes de Zemmour, ça ne fait pas bézef pour le 13/14 longtemps fief du sénateur. Heureusement que cette manifestation s’est tenue dans une étroite impasse (très symbolique de la position actuelle de notre héros du jour).

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  4. MarsKaa MarsKaa

    Donc du coup, Ravier il est où ? Il reste au FN, soutient Marine, mais pas trop, à reculons, ilquitte le national mais pas son poste de sénateur bien sûr, il ne va pas chez Zemmour, mais le soutient, mais discrètement, bref il veut manger à tous les râteliers, ne pas lâcher un bord qui lui assure une bonne gamelle de senateur, tant qu’il n’est pas sûr de bien pouvoir passer sur l’autre bord ?
    Il sait qu’il peut finir à la flotte entre les deux barques ?

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    • Zumbi Zumbi

      Pas encore sûr de bien repérer le sens du vent.

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    • Jb de Cérou Jb de Cérou

      La maison brûle disait l’autre, et notre fachosphère en est à se disputer entre ceux qui veulent bouffer de l’étranger, musulman de préférence, et ceux qui ne veulent pas que cela se voie. Aucun pompier, aucun programme popur éteindre le feu de la planète…on regarde ailleurs comme disait l’autre (le même)

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  5. TINO TINO

    La nuit des longs couteaux, version marseillaise. Le cacou du 13è, sa tchatche, des chips, du pastaga et des coups de boule ( pas de pétanque celle là ) dans la figure de ses ennemis.

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