La gestion très intéressée du théâtre des Calanques

Décryptage
le 20 Oct 2023
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La chambre régionale des comptes étrille la gestion de l'ex-théâtre Nono. Les magistrats financiers notent que les intérêts privés des principaux animateurs ont trop souvent percuté la gestion associative du lieu lui faisant courir "des risques juridiques et financiers".

Le théâtre des Calanques, dans le Sud de Marseille. (Photo : CRC PACA)
Le théâtre des Calanques, dans le Sud de Marseille. (Photo : CRC PACA)

Le théâtre des Calanques, dans le Sud de Marseille. (Photo : CRC PACA)

C’est l’histoire d’une institution culturelle qui a cultivé une forme de flou artistique. Officiellement géré par une association, le théâtre des Calanques (ex-théâtre Nono) semble avoir directement profité à ses deux figures de proue, Serge Noyelle et Marion Coutris, respectivement directeur et metteur en scène et directrice artistique, mariés à la ville. C’est ce qui ressort d’un rapport rendu public ce 20 octobre par la chambre régionale des comptes, suite à un examen de la gestion du lieu entre 2015 et 2021. La juridiction a en effet la possibilité de se pencher sur les comptes de structures associatives ou privées, dans la mesure où elles touchent de l’argent public. C’est le cas du théâtre des Calanques, dont en moyenne 81 % des ressources émanent de collectivités territoriales.

Plusieurs sociétés commerciales, liées aux intéressés, naviguent en effet autour de cette structure à but non lucratif. C’est ainsi le cas au premier chef de la société Styx productions, gérée par Noyelle et où Coutris est associée, qui s’occupe notamment de la commercialisation des productions du théâtre. “Ces activités entrent dans l’objet social de l’association et peuvent même figurer parmi les plus génératrices de recettes (notamment les spectacles à l’étranger). Les bénéfices éventuels tirés de ces productions doivent en tout état de cause revenir à l’association”, explique la chambre. Elle note pourtant que Serge Noyelle y a perçu “des salaires quand, sur la même période, il était rémunéré partiellement par le théâtre des Calanques”. “Des cachets ponctuels en sa qualité de comédien et de metteur en scène”, pas en tant que directeur, précisera ce dernier à la chambre.

Des entreprises liées au fondateur très sollicitées

En 2017, cette société, Styx productions, est aussi étonnamment intervenue comme maître d’ouvrage de la construction d’une nouvelle scène en bois de 800 mètres carrés, pour 3 millions d’euros. Sans mise en concurrence, malgré 80 % de subventionnement public (État, région, département, Ville), la SARL a été rémunérée 197 000 euros (auxquels s’ajoutent d’autres prestations pour 94 000 euros) “pour coordonner la construction des locaux dont elle bénéficie, sans avoir à contribuer à son financement ni même s’acquitter d’un loyer”. Les magistrats cinglent : “L’ensemble de ces éléments alimente la confusion entre la société Styx Productions et l’association, dont les intérêts sont communs. La chambre attire l’attention de l’association sur les risques à la fois juridiques et financiers de la situation et appelle aux régularisations qui s’imposent.”

L’alerte avait été donnée en 2019 par un audit du département des Bouches-du-Rhône, largement contesté par les intéressés car “non-contradictoire”. Ce rapport concluait à une possible “gestion intéressée” de l’association, une expression que la CRC avait reprise à son compte lors d’un précédent rapport. Si dans un premier temps, la collectivité a continué malgré tout de subventionner le théâtre, elle a fini par arrêter tout versement dans l’attente de modifications substantielles de son organisation. La métropole, que dirige comme le département Martine Vassal (DVD), a fait de même.

D’autres éléments contribuent à ce constat. Dans le dossier de la construction de la nouvelle scène, l’association a fait appel à Ronan Coutris, architecte et frère de Marion Coutris. Ces études préliminaires, pour un montant de 11 200 euros, ont été confiées sans mise en concurrence. Par la suite, un cabinet d’architecture a repris le dossier pour une mission plus complète de maîtrise d’œuvre, à 70 000 euros, toujours sans appel d’offres. Or, là encore le théâtre des Calanques était tenu de respecter les mêmes règles de mise en concurrence qu’une collectivité locale.

Le théâtre promet désormais de filer droit

Dernier dossier qui contribue à cette tenace impression de mélange des genres, le restaurant Nono accolé au théâtre a longtemps été géré par une société dont Serge Noyelle était actionnaire. Là encore, le montage interroge : “La chambre constate que le dispositif a permis au directeur du théâtre, en tant qu’associé de la société, de bénéficier d’émoluments au détriment de l’association.”

Face à ce constat sévère, Marion Coutris et Serge Noyelle ont répondu par un courrier cosigné avec le président de l’association, William Lenne. Ils ne répliquent pas directement aux griefs relatifs à la gestion intéressée du théâtre. Mais tous trois promettent de nombreux changements pour se conformer au rapport, dont “la dissolution” de Styx productions. Ils produisent aussi une note établie par “un expert des commandes publiques” pour expliquer que c’est de bonne foi qu’ils n’ont pas appliqué les règles relatives aux marchés publics tout en procédant à plusieurs demandes de devis.

Le courrier jure enfin que l’association ne sera plus subordonnée aux décisions des seuls Serge Noyelle et Marion Coutris, comme des statuts antérieurs le précisaient : “Le pouvoir de décision et l’indépendance de l’organe exécutif et collégial chargé de l’administration de l’association seront effectifs à l’avenir.” Reste à savoir si ces promesses rassureront suffisamment les financeurs publics pour qu’ils maintiennent leur soutien ou retrouvent confiance dans le plus important théâtre du Sud de Marseille.

Article actualisé le 8 novembre 2023 : rectification de la mission et du montant de la rémunération confiée à Ronan Coutris.


Droit de réponse du théâtre des Calanques

La direction de l’association (William Lenne, président, Marion Coutris, directrice artistique, Serge Noyelle, directeur, et Benoît Kasolter, administrateur, directeur de production) nous a fait parvenir un droit de réponse concernant cet article. Nous le reproduisons en intégralité ci-dessous.

En dépit de sa tonalité générale, acerbe, les trois pages du document ne pointent qu’une erreur factuelle, qui concerne le statut et la rémunération de la mission confiée à Ronan Coutris, frère de la directrice artistique. Cet élément a été rectifié. Pour le reste, nous maintenons l’ensemble des informations publiées.

Monsieur le directeur de la publication,

La lecture de l’article intitulé « La gestion très intéressée du Théâtre des Calanques », publié dans vos colonnes le 20 octobre, nous est apparue paragraphe après paragraphe, révéler un jugement erroné et mentionner avec la plus grande confusion des informations décontextualisées et des jugements de valeur inappropriés : nous souhaitons par la  présente rétablir la véracité du rapport de la chambre régionale des comptes auquel l’article fait référence.

Le dit-rapport a été rendu public le 19 octobre 2023 après plus de deux années  d’instruction menée de façon contradictoire et approfondie avec le théâtre des Calanques.

Il ne fait état, pour aboutir son long travail d’investigation et de rapprochements, que de 2 recommandations :

• Recommandation n°1 : préciser dans les statuts le rôle de chacune des instances de gouvernance de l’association, assemblée générale, conseil d’administration, bureau et direction.

• Recommandation n°2 : se conformer aux règles de la commande publique. 

Ces recommandations ne sont pas de nature à « étriller » la gestion du théâtre, ainsi qu’il est écrit dans vos lignes, et ne débouchent pas sur une mise en garde ni une alerte. Le terme est donc impropre à qualifier le sens du rapport détaillé de la CRC.

Il n’est jamais fait mention par le magistrat d’un « risque de gestion intéressée » par les dirigeants de l’association, sinon par la mention expresse des termes d’un audit mené en 2019 et 2020 par le département des Bouches-du-Rhône présidé par Madame Vassal, jamais communiqué aux intéressés – la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) – a dû être saisie pour qu’il soit enfin remis, et dont la CRC se fait le rapporteur objectif. Le rapport de la CRC ne retient aucune de ces suspicions.

Le Théâtre des Calanques quant à lui, conteste formellement les résultats de cet audit, tant dans la procédure que dans ses analyses.

Ainsi la gestion propre du Théâtre des Calanques n’est jamais mise en cause par le rapport de la CRC et le « risque juridique et financier » mentionné concerne la convention d’occupation du terrain communal, initialement soumise à un bail précaire en contradiction avec la pérennité de l’équipement réalisé. Un bail emphytéotique est en cours de réalisation par les services juridiques de la Ville.

L’orientation par trop évidente de la réalité des recommandations du rapport définitif est de nature à jeter l’opprobre sur l’activité du théâtre, sa direction, et à en mettre en cause la légitimité.

La confusion sémantique entretenue par le rédacteur de l’article avec les termes choisis de « gestion très intéressée » est de nature diffamatoire et il convient de la supprimer.

Compagnie dramatique à l’origine, l’association Théâtre des Calanques a pour objet « la création et la diffusion artistique des spectacles réalisés par Serge Noyelle et Marion Coutris ». Les statuts protègent cette activité.

Ils évoluent à partir de 2017 et la création du nouveau théâtre vers un projet de développement souhaité par les tutelles :

• La création et la diffusion d’œuvres artistiques en France et à l’étranger.

• La production et la coproduction de spectacles en France et à l’étranger.

• La proposition d’actions, d’animations, d’ateliers, de formations et d’enseignements dans le domaine des arts vivants auprès de différents publics.

• La gestion d’activités accessoires nécessaires à son fonctionnement.

Ce sont chaque année plus de 130 artistes et techniciens qui sont impliqués dans la programmation et la vie du théâtre.

L’article indique ensuite que « le Théâtre des Calanques semble avoir directement profité à ses deux figures de proue S. Noyelle et M. Coutris » : ces propos, aussi vagues que démonstratifs, tendent à indiquer un profit personnel et sont de nature diffamatoire, dénoncés formellement par les responsables du théâtre et son président.

Il est ainsi confirmé dans les annexes du rapport que Mme Coutris a touché, depuis son embauche à la codirection du Théâtre en 2008, un salaire au titre de directrice artistique (grille basse de l’échelle de salaires groupe 1 SYNDEAC) pour l’ensemble de ses missions artistiques, administratives et techniques ; Serge Noyelle quant à lui, a été rémunéré par le théâtre des Calanques de façon intermittente jusqu’en avril 2018 (metteur en scène), puis au terme de sa mission de « maîtrise d’ouvrage délégué », et depuis lors en tant que codirecteur permanent du Théâtre des Calanques (grille basse de l’échelle de salaires groupe 2 SYNDEAC).

Lors de sa mission de « maîtrise d’ouvrage déléguée » sur la période de la construction du nouveau Théâtre (de juin 2016 à août 2018) Serge Noyelle n’a perçu comme seule rémunération que celle versée par la société STYX production : soit 2400 € net mensuel. Il n’était alors pas salarié permanent et cadre « dirigeant » du Théâtre des Calanques.

Les versements opérés par le Théâtre des Calanques vers la Société Styx Production lors de la construction du théâtre (démontage de l’ancien chapiteau, maîtrise d’ouvrage déléguée et suivi technique assurés par plusieurs salariés entre autres) ont été entièrement vérifiés par les organismes de contrôle.

Aucun dividende n’a été attribué.

Mais l’article poursuit encore ses allégations erronées : Ronan Coutris, frère de Marion Coutris, n’a jamais été maître d’œuvre, ni n’a été l’objet d’une rémunération ad hoc de 70 000 €.

Comme le mentionne le rapport, l’architecte maître d’œuvre est Monsieur Lionel Formentelli, et sa rémunération de 70 000 € tout à fait conforme aux tarifs en vigueur.

Ronan Coutris, dans la phase préparatoire au projet, ainsi qu’il a été indiqué à la CRC, et vérifié par l’organisme de contrôle, a réalisé la demande de permis de construire pour une rémunération de 11 300 TTC € (honoraires).

Il est à noter que pour chaque lot, ou chaque mission, au moins 3 professionnels.les ont fourni des devis comparatifs lors de la phase DCE de la construction.

En tout état de cause, nous précisons pour le lecteur, que ce n’est pas une « scène » qui a été construite pour 3 M €, mais un théâtre de 800m2, doté des équipements nécessaires à son fonctionnement (gradins, grill technique, etc.), sans aucun dépassement de budget, l’association ayant fourni sur ses fonds propres 20% du financement, comme la règle l’impose.

Par conséquent aucun grief relatif à une gestion intéressée n’est dressé par la CRC, contrairement aux allégations de l’article.

Concernant le pouvoir adjudicateur de l’association, et le recours au marché public, « l’expert des marchés publics » mentionné par votre journaliste, était à l’époque chef du pôle commande publique au sein de la Direction Départementale de Protection des Populations DDPP – Il maintient d’ailleurs sa position juridique et ne reconnaît pas le pouvoir adjudicateur de l’association.

Nul courrier ne « jure que l’association ne sera plus subordonnée aux décisions des seuls S. Noyelle et M. Coutris » et les statuts antérieurs n’ont jamais rien signifié de semblable. Cette mention est imaginaire.

Ainsi, la CRC recommande une clarification et une meilleure définition/distinction du rôle de chacune des instances de gouvernance de l’association, ce que nous nous engageons à formaliser. La préconisation est adoptée par le Conseil d’Administration.

Soucieux de préserver l’exactitude de l’information diffusée dans votre journal et la préservation de notre intégrité, gravement entachée par ces affirmations, nous vous remercions, monsieur le directeur, de bien vouloir publier ce droit de réponse dans les meilleurs délais,

Nous vous prions de bien vouloir accepter, monsieur, l’expression de nos salutations,

William Lenne, président.

Marion Coutris, directrice artistique

Serge Noyelle, directeur

Benoît Kasolter, administrateur, directeur de production.

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Commentaires

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  1. MGVD MGVD

    Les potentats plus ou moins importants sont légions dans le théâtre local subventionné ou semi subventionné (excepté Criée et Merlan). Avec la disparition de Richard Martin peut être qu’une nouvelle ère s’ouvre ? Pas si sur car certains sont bien accrochés aux sièges…

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  2. catherine catherine

    Ça fait des années que ces entourloupes durent… À vrai dire, depuis l’arrivée de Noyelle en provenance d’un théâtre de banlieue parisienne qu’il codirigeait et qui ne voulait plus de lui… Bref! Encore un pavé dans la marre culturelle locale. Comme le dit MGVD dans le com précédent, c’est pas le seul hein! ….

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  3. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Les chiffres sont surprenants :
    – 3 000 000 d’euros pour la scène, déjà c’est TRES impressionnant mais admettons
    – 70 000 pour le Maître d’Oeuvre (l’architecte), c’est 2,3% ; étonnant quand on connaît les taux usuels (plus proches des 10%)
    – 197 000 + 94 000 soit 291 000 pour la rémunération de la SARL soit presque 10%… à quel titre ?

    Au-delà du flou sur le montage, c’est clairement le volume d’argent siphonné qui interpelle. Qu’ils aient filouté sur la mise en concurrence est déjà grave, mais qu’autant d’argent issu majoritairement de subventions donc de nos impôts ait été empoché, ça c’est inacceptable.

    Mais c’est bon, la CRC leur a fait les gros yeux, ils ont promis d’être formidables, ça va s’arrêter là… Payez braves gens, payez et taisez-vous.

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    • RML RML

      3 millions cest pas pour la scène seule, cest pour la construction d un bâtiment en dur, l ancien theatre etait un chapiteau

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