La Corse joue-t-elle à touché-coulé avec la SNCM ?

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le 26 Nov 2014
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La Corse joue-t-elle à touché-coulé avec la SNCM ?
La Corse joue-t-elle à touché-coulé avec la SNCM ?

La Corse joue-t-elle à touché-coulé avec la SNCM ?

Cette fois-ci, la torpille est venue de Corse même. Après les 117 millions d'euros réclamés début novembre par ses actionnaires, qui valent aujourd'hui à la SNCM de se retrouver au tribunal de commerce, la compagnie maritime a reçu lundi une facture de 198 millions d'euros. L'office des transports de la Corse (OTC) lui réclame cette somme suite à la décision de mai 2013 de la Commission européenne. Saisie par le concurrent Corsica Ferries, cette dernière avait estimé que les sommes perçues par la SNCM entre 2007 et 2012 au titre du "service complémentaire" constituaient des aides d'État illégales.

L'OTC n'avait jamais jugé bon d'appliquer cette décision européenne, chiffrée par Bruxelles à 220 millions d'euros. Le préfet n'a pas été beaucoup plus actif. Il s'est contenté d'un courrier en juillet 2013 à Paul Giacobbi, président de la collectivité territoriale de Corse, dont dépend l'OTC. En août 2013 puis en janvier 2014, l'État a échoué à obtenir la suspension du remboursement dans l'attente d'un jugement sur le fond de l'affaire. Agacée par cette inertie, la Commission européenne a même attaqué la France devant la justice européenne en février 2014.

Vers une compagnie régionale ?

Jusqu'à présent, Paul Giacobbi n'avait brandi qu'une seule fois la menace de mettre cette décision à exécution : lors de la grève de juillet, qui selon lui entravait "la liberté de circulation", en particulier celles des marchandises. Ce n'est peut-être pas anodin : la demande de remboursement a été émise le jour-même de la conférence de presse des professions portuaires de Marseille annonçant un blocage en cas de redressement judiciaire. Mais l'OTC ne vient-il pas compliquer la tâche de la SNCM, alors que le tribunal de commerce doit statuer vendredi sur son avenir ? Faut-il y voir une agression délibérée ? C'est l'analyse de certains acteurs du dossier, dont la CFE-CGC, qui parlait il y a quelques jours d'"alignement des planètes" entre l'actionnaire Transdev et Paul Giacobbi. Ce dernier a en tout cas agi sans consulter les élus corses par un vote. "La Corse envoie 4000 lettres de licenciement", dénonce sur France 3 Via Stella Michel Stefani, membre communiste de la majorité.

Député du parti radical de gauche, Giacobbi est depuis plusieurs années un partisan de la création d'une société régionale, au diapason des indépendantistes de Corsica Libera et du syndicat des travailleurs corses. En mai, au cours d'une de ses nombreuses questions au gouvernement sur ce thème, il avait présenté sa solution :

La SNCM devra se placer sous la protection du tribunal de commerce, opérer une restructuration des effectifs et des moyens tandis que le renouvellement de la flotte (…) devra ensuite être organisé dans le cadre souhaité depuis longtemps par notre collectivité territoriale de Corse et validé par vos conseils, c'est-à-dire celui d'une société d'économie mixte.

Dans l'attente de la livraison de nouveaux navires, cette compagnie pourrait fort bien être constituée sur les cendres de l'actuelle SNCM. En effet, une clause de la délégation de service public passée entre la Corse et la SNCM prévoit que si le contrat venait à être rompu, la collectivité peut proposer le rachat des navires servant aux traversées. Propriétaire de l'outil industriel, la Corse n'aurait alors plus qu'à lancer un appel d'offres pour trouver un opérateur.

La Méridionale dans les starting-blocks

Comme l'écrit Alain Verdi, journaliste de France 3 Via Stella qui suit de près le dossier, le favori serait alors Compagnie méridionale de navigation (CMN), partenaire de la SNCM dans la délégation de service public. Mais d'autres compagnies, dont le candidat à la reprise Baja Ferries, pourraient tenter de récupérer tout ou partie du contrat. Lundi, au tribunal de commerce, le président du directoire de la SNCM Olivier Diehl affichait son souhait de "ne pas rentrer dans un duopole organisé [Corsica Ferries, et CMN, ndlr] mais de garder trois acteurs".

Dans un premier temps, c'est en tout cas la CMN qui serait au coeur du jeu si la SNCM venait à couler. Comme le prévoit le contrat, "l’ensemble des obligations [seraient] provisoirement reprises par le co-délégataire restant [la CMN] pendant un délai de 9 mois". C'est déjà elle qui a positionné un navire de fret dans le port de Toulon, à la demande de l'OTC, dans ce qui semble une anticipation d'un blocage du port de Marseille. Toujours la "liberté de circulation" des clémentines corses… "Ils se préparent au conflit en se faisant concurrence à eux-mêmes puisque ce navire va opérer hors DSP", dénonce Christian Chini, délégué CGT de la SNCM.

La SNCM prépare un recours

À l'appui de cette idée d'une mauvaise volonté de la Corse à l'égard de la SNCM, les syndicats notent les sommes considérables qu'elle lui doit. "La SNCM fait face à des impayés de l'OTC, pour un montant de 78,7 millions d'euros dus en application de la DSP et ce malgré des actions judiciaires, lesquelles sont toujours pendantes devant le tribunal administratif de Bastia", écrit le juge-enquêteur nommé par le tribunal de commerce pour éclairer sa situation financière. Cette manne aurait peut-être permis à la SNCM de faire face à ses difficultés d'une toute autre manière.

Dans une autre lecture, le fait que l'une des deux "amendes" de Bruxelles tombe pourrait permettre de lever certaines incertitudes. Tout d'abord, la SNCM a la possibilité de contester la demande de l'OTC devant le tribunal administratif. Du droit européen, on ferait alors un détour par le droit français. "De toute évidence, nous n'avons pas la capacité de payer, on va faire ce qu'il faut. On va voir comment obtenir la suspension de l'exécution", commente-t-on au sein de la compagnie. Elle pourrait alors obtenir en France ce que l'État n'a pas réussi devant les instances européennes : être tranquille le temps que la justice européenne statue sur le fond.

Or, ce délai est plus ou moins prévisible si la SNCM va jusqu'au bout des recours : plus de trois ans. De quoi donner une autre hauteur à l'épée de Damoclès. Par ailleurs, la SNCM a la possibilité de la faire rapetisser. C'était la piste défrichée par les avocats Sébastien Mabile et Jean-Pierre Mignard pour le compte du précédent président du directoire Marc Dufour. Selon cette analyse, la SNCM a bel et bien assuré les traversées visées par la décision de Bruxelles et ne peut décemment pas l'avoir fait gratuitement. Le 2 mai 2013, Paul Giacobbi lui-même l'admettait bien volontiers :

Ce n’est pas parce qu’une décision publique est reconnue après coup illégale que l’intégralité des sommes qui ont été versées doivent être remboursées. (…) Dans le cas présent, la SNCM a effectué un service à la demande de la collectivité territoriale et par conséquent ce service doit être rémunéré, même si ce n’est peut-être pas au même niveau que celui auquel il a été payé.

Aujourd'hui, avec 200 millions d'euros contre 220 calculés par la Commission européenne, sa collectivité semble présenter l'intégralité de la note. Sur quelle base ? Contactée, la CTC nous a renvoyé vers le président de l'OTC, Paul-Marie Bartoli. Pour l'heure, ce dernier n'a pas retourné nos appels. Autre interrogation : en septembre 2013, le même Paul Giacobbi écrivait au PDG de Veolia pour lui annoncer que son groupe devrait régler ce que la SNCM ne serait pas en mesure de payer "d'une part du fait de la confusion de patrimoine qui existe entre les deux sociétés, sans laquelle la SNCM serait défaillante depuis plusieurs années (…) et d’autre part, du fait de l’évidente direction de fait exercée par Veolia". S'il revenait sur ses intentions offensives, l'alignement avec l'actionnaire n'en serait que plus évident.

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Commentaires

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  1. savon de marseille savon de marseille

    Va-t-on vers la création d’une Société Régionale créée et gérée par l’ Assemblée de Corse ? Serait-ce en fait le “cheval de Troie” politique et économique vers l’autonomie de l’ Ile ?. La posture du STC nous donnera un indicateur intéressant. Le pire scénario.

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  2. Marius Marius

    Il y a eu des abus au sein de la SNCM, mais ils peuvent être redressés.
    Le vrai problème, c’est que la compagnie a été sournoisement torpillée par les indépendantistes corses. Et telles que les choses se présentent actuellement, on va vers une compagnie corse subventionnée par le contribuable continental.

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  3. Anonyme Anonyme

    La seule question qui reste a se poser qui va racheter la sncm
    La collectivité corse ou peut être la cgt

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  4. toine toine

    Le dossier est déjà explosif. Alors si par dessus les Corses s’en melent, ça va être un sacré carnage!

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  5. simplet simplet

    Tout va s’arranger. Guérini vient d’écrire au gouvernement.

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  6. simplet simplet

    Tout va s’arranger. Guérini vient d’écrire au gouvernement.

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  7. Tresorier Tresorier

    Je n’ai jamais compris pourquoi l’Etat payant seul la continuite territoriale c’etait le Conseil regional de Corse, soumis aux pressions et clientelismes bien connus, qui la gerait.

    Ils voudraient couler la SNCM pour creer une societe corse avec l’argent des continentaux, ils ne s’en prendraient pas autrement.

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  8. Anonyme Anonyme

    Marseille 0 corse 1
    Et si la corse devient autonome
    Plus besoin de continuité territoriale
    Et la corse elle a qu a se l acheter la SNCM
    Et puis aussi une compagnie d’aviation
    Quand la France ne donnera plus des millions de subventions
    Pas sur que ça dure longtemps

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  9. JL41 JL41

    La SNCM est touchée mais eux (la photo) sont insubmersibles.

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  10. leravidemilo leravidemilo

    Peut être du fait de mes origines,j’ai toujours un coup de coeur en débarquant sur l’ile de beauté, et j’apprécie beaucoup ses habitants. Cette proximité est bien sur renforcée par un sentiment de solidarité, conséquence naturelle de la communauté de situation que je ressens avec les corses, moi pauvre marseillais si mal et si malheureusement représenté, politiquement j’entends, par une équipe de branquignoles incompétents et irresponsables; Ces pauvres corses ne me semblent pas mieux servis. Sans avoir la prétention de tout comprendre à la situation politique de l’ile,il apparait que leur “président” prend régulièrement des décisions comme un parrain (sans aucune consultation des élus, y compris d’ailleurs de sa majorité), adore relayer les coups tordus des barroso ,juncker et compagnie, et cela de la pire des façons et dans les pires moments, a un vrai attachement, quelque peu atavique, au “mélange” des capitaux privés avec les fonds publics (ici avec sa proposition de S.E.M),particulièrement lorsque sont en jeux des capitaux on ne peut plus anonymes et douteux (et avec corsica ferries on est servi!)…et se prend ou aime bien se faire prendre pour le roi plus souvent qu’à son tour. Ma conviction est faite depuis longtemps que, dans cette affaire, il “roule” pour des intérêts financiers fort opaques, en tous cas par pour les habitants de l’ile, et que ceux ci risquent de payer cher,à terme, les tribulations politicardes de leur “président”.

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