La Chine va-t-elle réveiller le port de Marseille ?

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le 28 Jan 2013
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La Chine va-t-elle réveiller le port de Marseille ?
La Chine va-t-elle réveiller le port de Marseille ?

La Chine va-t-elle réveiller le port de Marseille ?

Vendredi soir, la CMA-CGM a annoncé qu'elle avait vendu pour 400 millions d'euros 49% de Terminal Link, sa filiale spécialisée dans les terminaux portuaires, à China Merchants Holding International (CMHI), un groupe basé à Hong Kong. Pas vraiment un scoop car la négo était en cours depuis des mois mais un très beau deal financier pour la CMA. Cet apport d'argent frais va contribuer à réduire la dette du troisième armateur mondial (entre 4 et 5 milliards d'euros selon les estimations), et favoriser sa recapitalisation avec l'entrée de l'Etat français via le fonds stratégique d'investissement (FSI), qui doit injecter 150 millions de dollars.

Un carnet de chèque illimité

C'est aussi une très belle opportunité de croissance en dehors de ses frontières pour CMHI, qui est le premier opérateur portuaire en Chine où il est notamment présent dans les ports de Shangai, Hong-Kong ou Shenzen. La stratégie de ce groupe est aujourd'hui d'aller faire du shopping au-delà de l'Asie, sa zone de chalandise naturelle. Des prises de participations récentes ont été faites en Afrique dans les ports de Lomé au Togo, Lagos au Nigéria et à Djibouti en décembre dernier.

Par rapport à la CMA-CGM, CMHI est une société plus modeste de près de 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, pour 640 millions d'euros de bénéfices en 2011. Elle bénéficie néanmoins d'un carnet de chèque illimité grâce à son actionnaire à 54% China Merchants directement piloté aujourd'hui par le gouvernement chinois et présent dans le maritime mais aussi dans la banque, les transports, l'immobilier. Ce bras armé des ambitions chinoises à l'international a réalisé l'an dernier des profits de plus de 2 milliards d'euros.

Contrôlée jusqu'à présent à 100% par la CMA, Terminal Link possède des participations sur à peu près tous les continents : en Europe (Dunkerque, Le Havre et Marseille en France, Zeebruge et Anvers en Belgique, Malte), aux Etats-Unis (Houston et Miami), et en Asie (Busan en Corée, Xiamen en Chine), et l'Afrique (Tanger et Casablanca au Maroc et Abidjan en Côte d'Ivoire). La filiale représentait donc une cible de choix pour CMHI. Ils n'ont pas hésité à payer cher : 400 millions d'euros pour 49% du capital. Ce qui valorise la société à plus de 800 millions d'euros alors que Terminal Link avait inscrit dans ses comptes 2001 l'ensemble de ses participations en valeur nette comptable à 300 millions d'euros. Une jolie plus-value qui symbolise une entrée en force de la deuxième économie mondiale dans le port de Marseille.

Les bassins Est exclus du deal 

Si la Chine débarque dans le port, c'est plutôt à l'Ouest, et uniquement dans les bassins de Fos, sur un des deux terminaux opéré par Terminal Link / CMA CGM. Celui des bassins Est, Med Europe Terminal (ex-Intramar) reste, lui, en dehors du deal. Pourquoi ? La CMA est restée très discrète sur le sujet, ne souhaitant pas commenter plus avant cette information. Sans doute que les Chinois n'ont pas voulu de ce terminal en très mauvaise santé économique. En effet, si le port de Marseille doit annoncer une belle année 2012 en dépassant pour la première fois depuis 2006 le million de containeurs traités, c'est uniquement grâce au dynamisme des bassins ouest, les bassins marseillais restant, eux, très loin des objectifs fixés.

A moins que la CMA, qui va donc conserver en direct ce terminal, ait d'autres ambitions : Jacques Saadé n'a jamais caché son envie de transformer ces bassins Est en grande marina, laissant l'industrie à Fos. Roland Blum, qui suit les affaires portuaires en tant que premier adjoint à la mairie de Marseille et siège au conseil de surveillance du Grand Port Maritime, s'inscrit en faux :

Je ne crois pas à ce scénario, c'est d'ailleurs contraire à la charte ville-port que nous venons de signer. Comme les bassins Est sont destinés à des liaisons avec la Méditerranée, les Chinois doivent préférer les terminaux de Fos adaptés à des navires de grande taille.

Du côté de la CGT, on se veut un peu plus circonspect. Le secrétaire du syndicat au Grand Port maritime de Marseille, Pascal Galéoté, y voit même le signe d'un affaiblissement structurel des bassins marseillais :

En tout cas si les Chinois n'en veulent pas cela montre que les bassins est ne sont toujours pas rentables, ils devraient encore perdre 14 millions d'euros en 2012, mais nous serons néanmoins vigilants sur leur avenir.

L'Etat brade ses équipements portuaires

Sont également passés sous silence les conditions dans lesquelles l'Etat, actionnaire des grands ports français, a favorisé, au moins indirectement, cette belle opération financière pour la CMA-CGM. Il y a encore quelques mois, une grande partie des outillages – portiques et grues – des terminaux français de Terminal Link étaient encore propriétés de l'Etat.

C'est sous l'égide de la réforme portuaire de 2008 que le transfert au privé de ces activités dites de "manutention verticale" s'est réalisée. Contrairement à la manutention "horizontale" (les dockers), déjà privatisée en 1992, l'activité des grutiers et des portiqueurs était restée sous contrôle public. Cela créait une situation ubuesque dans laquelle les armateurs devaient négocier à la fois avec des interlocuteurs privés et publics, des personnels qui n'avaient pas les mêmes statuts, pour décharger leur cargaison. Cette situation a lourdement pénalisé les ports français en général et Marseille en particulier. Ce dernier volet de la réforme portuaire a été finalisé non sans mal à la fin 2011.

Pressés par le gouvernement, les patrons des grands ports français ont dû négocier avec les opérateurs portuaires privés – dont la CMA-CGM – le transfert de ces activités de manutention, comprenant l'outillage et le personnel qui va avec. Comme l'Etat voulait en finir au plus tôt, la CGT a négocié des conditions de transfert des salariés hyper avantageuses, qui ont bien évidemment fait la Une du FigaroEn revanche les conditions de cession des outillages aux entreprises privées sont passées un peu plus inaperçues. Sauf pour la Cour des comptes, qui les a dénoncées dans un rapport rendu public l'an dernier.

A la lecture de ce rapport, on comprend qu'il y avait des belles affaires à faire en ces périodes de soldes. Par exemple les magistrats de la rue Cambon indiquent qu'à Marseille – et c'est aussi vrai dans les autres ports – les opérateurs privés ont pu négocier de très importantes remises sur ces matériels, expertisés au départ à 45,9 millions d'euros mais ramenés à 24,7 millions après une contre-expertise réalisée par l'acheteur et vendue au final 23,9 millions d'euros. Comme les magistrats de la Cour le soulignaient dans leur rapport : 

Les conditions dans lesquelles les outillages ont été cédés se sont avérés, au final, onéreuses pour les ports.

Des acheteurs qui ont également souvent bénéficié de "crédit vendeur", le Port prêtant l'argent à ses acheteurs :

Cette solution de financement, apparue au cours des discussions, est inhabituelle pour des établissements publics comme les grands ports maritimes.

"Il faut arrêter de se faire peur avec la Chine"

Malgré ces sévères critiques – c'est leur job – la Cour des Comptes, mais aussi l'ensemble des acteurs, syndicalistes compris, reconnaissent que ce dernier volet de la privatisation des terminaux portuaires a été bénéfique. D'ailleurs, les chiffres que devrait confirmer la direction du Grand port maritime de Marseille lors de sa prochaine conférence de presse de présentation des comptes 2012 sont très encourageants. Au moins sur les containers, activité où Marseille est le seul port de France à progresser, et ce malgré la crise. Même si le million de container traité annuellement est encore loin des 2 millions de Barcelone ou du 1,8 million havrais.

Ces facilités dont a bénéficié Terminal Link et son actionnaire la CMA, mais aussi ses concurrents, comme MSC à Fos, semblent donc pouvoir largement se justifier. En revanche, cette privatisation va elle aussi profiter à cette grande entreprise chinoise, qui va mettre le pied dans le plus grand port de la Méditerranée. Les ports étant un instrument stratégique du commerce extérieur français, n'y a-t-il pas un risque de perte de souveraineté de la France sur ses terminaux ? "Non je ne crois pas c'est au contraire une chance pour Marseille et la France" nous a répondu, lundi, Nicole Bricq la ministre du commerce extérieur, lors d'un déplacement à Marseille

Je reviens justement de Chine, nous plaidons beaucoup pour qu'il y ait des investissements chinois en France, pour essayer de rééquilibrer notre déficit. Il faut arrêter de se faire peur avec la Chine, il ne faut pas en faire le bouc émissaire de la crise que nous subissons. Et, de toute façon, nous surveillons tout ça avec beaucoup d'attention, je vais en parler avec Frédéric Cuvillier mon collègue aux transports.

Avec l'annonce en 2010 de l'arrivée de Hutchinson Whampa sur le futur terminal Fos 4 XL, avec un investissement de 600 millions d'euros et celle de Cosco – autre géant chinois du maritime qui a récupéré le port du Pirée – Marseille semble séduire les Chinois. Une bonne nouvelle pour notre économie ? Peut-être, mais  en espérant que nous ne devenions pas "les ravis du village mondial".

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Commentaires

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  1. rheekeekee rheekeekee

    Rien n’indique, en lisant le corps de l’article, que China Merchants Holding International s’intéresse à Marseille ! Cette firme a seulement acquis 49% de Terminal Link, et par là les participations de celle-ci «à peu près tous les continents».

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  2. Pierre Boucaud Pierre Boucaud

    Ce sont les chinois qui s’intéressent aux ports méditerranéens et à Marseille en particulier. Après Hutchinson qui préempte le futur Fos 4 XL, c’est un des deux principaux terminaux portuaires de Fos 2 XL qui passe sous actionnariat chinois. Et vous avez raison il n’y a pas que Marseille, il y a le Pirée avec Cosco et la liste est sans doute pas terminée… Les Chinois dans leur stratégie de sortir de leurs frontières ne visent pas évidemment que Marseille, mais c’est néanmoins un des ports les plus stratégiques …

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  3. pmo pmo

    Quelqu’un pourrait-il me préciser quels sont les groupes qui possèdent,tout ou partie,des zones portuaires de MALTE et TANGER .Merci par avance

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  4. Anonyme Anonyme

    Vous savez qu’ils vont mettre de la sauce de soja dans l’aïoli ? Celui qu’ils vont vendre comme produit made in Marseille aux croisiéristes… . et ce pourrait bien être légal en plus !!!!
    hi! hi! hi!

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  5. sbibou13 sbibou13

    si les chinois veulent investir en masse leur capitaux dans les bassins ouest et la je pense surtout a hutchinson qui ne l’oublions pas est un spécialiste de l’automatisation cela ne se fera qu’avec les dockers car s’ils viennent et opèrent sans personnels , cela va faire exploser les 2 autres acconiers historiques a savoir eurofos et seayard car le cout de la manut du conteneur va diviser par 4 et ils ne pourront jamais rivaliser avec cette concurrence surtout avec les énormes dettes qu’ils supportent déja . sans penser aux licenciement de la quasi totalité des 1200 employés portuaires . Donc , s’ils veulent s’installer ,ils devront opérer mécaniquement et avec les portuaires présent …

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