La chambre de commerce du pays d’Arles va-t-elle couler son association de formation ?

Enquête
le 13 Mar 2019
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En 2016, la chambre de commerce et d'industrie du pays d'Arles (CCI) a regroupé ses parcours de formations, dont la prestigieuse école d'animation MOPA, dans une association, nommée Cipen. Depuis, les déficits s’enchaînent et les salariés ont multiplié les alertes auprès des autorités, sans suite. La CCI réclame désormais le remboursement de ses loyers impayés, hypothéquant l'avenir des trois écoles.

Photo Éric Besatti.
Photo Éric Besatti.

Photo Éric Besatti.

L’école d’image 3D, le MOPA, fait partie des motifs de fierté des Arlésiens. Elle envoie les films d’animation de ses élèves aux Oscars, ses diplômés atterrissent dans les meilleurs studios mondiaux, chez Pixar, Disney… Mais derrière la vitrine, la période est très compliquée pour l’association Cluster d’innovation pédagogique et numérique (Cipen) qui accueille l’école renommée et les autres centres de formation de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) du pays d’Arles : IRA pour l’industrie, PFC pour la formation continue.

En février, du jour au lendemain, le président de la CCI Stéphane Paglia a demandé via une lettre avec accusé de réception le remboursement des loyers impayés que lui doit le Cipen, soit 850 000 euros sur une dette totale qui dépasserait les deux millions d’euros selon nos informations. Le tout en sachant que l’association n’avait pas la trésorerie pour payer. La conséquence directe que devrait avoir cette demande ? La cessation de paiement de l’association et le placement en redressement ou liquidation judiciaire. De quoi faire trembler la soixantaine de salariés qui craignent de perdre leurs emplois.

Moratoire en vue

“Je n’ai aucun commentaire à faire”, répond sur la défensive, Stéphane Paglia, le président de la CCI du Pays d’Arles qui ne souhaite pas expliquer la motivation de sa décision. Après avoir placé cette épée de Damoclès au-dessus de la tête des salariés, il a prévu de les rencontrer ce jeudi pour présenter un “moratoire” préparé avec la présidente du Cipen Julie Escalier, également première vice-présidente de la CCI. Derrière ce moratoire, la direction a bien l’intention de faire passer une modification des statuts lors de l’assemblée générale extraordinaire, limitant le droit de vote des salariés à deux voix alors qu’ils étaient de droit adhérents de l’association.

Stéphane Paglia, le président de la CCI, a demandé le remboursement immédiat des créances du Cipen. Photo Éric Besatti.

Pour comprendre la situation, il faut se souvenir que le Cipen était à l’origine directement intégré à la CCI. En 2015, cette dernière a souhaité transférer ses écoles dans une structure autonome pour gérer toutes ses offres de formation, opération officialisée par un “traité d’apport”. Mais pour les salariés, le Cipen n’a pas été doté de toutes les chances à la naissance. De manière symbolique, la CCI a souhaité rester propriétaire de la marque de l’école MOPA. Plus important pour les finances du Cipen, elle a aussi conservé les bâtiments, dont la location pesait jusqu’ici 600 000 euros par an dans le budget.

“Loyers exorbitants”

“Les loyers versés nous paraissent exorbitants compte tenu de l’état de vétusté. Ce prix injustifié nous laisse à penser que la CCI récupère les fruits de l’externalisation”, écrivent les salariés dans une lettre adressée au préfet de région en 2018. “Ils se sont remboursés les locaux depuis longtemps avec tous les loyers payés, s’ils voulaient vraiment nous aider, nous donner une chance de vivre, ils auraient pu nous céder les locaux dans le traité d’apport ou juste baisser les loyers”, lâche l’un d’eux à MarsactuLa CCI reste muette à nos questions.

Quoi qu’il en soit, l’association accumule les déficits depuis sa création. Elle a perdu successivement 748 514 euros en 2016 (sur 5,5 millions de chiffre d’affaires), 1,3 millions en 2017 et autour de 700 000 en 2018. De quoi inquiéter le commissaire aux comptes, Fiducial, qui lançait le 27 mars 2018 une procédure d’alerte phase 2. Ce dernier jugeait que l’association vivait “des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation”, selon la définition du Code du commerce.

Au mois de juin 2018, Julie Escalier, la présidente du Cipen, annonce le recrutement d’un directeur des affaires financières et d’un contrôleur de gestion issus de Fiducial pour entreprendre les réformes nécessaires à l’assainissement financière de l’association. La phase d’alerte est alors levée par le commissaire aux comptes. Mais force est de constater que depuis juin dernier, la situation n’a pas été assainie et les deux experts de Fiducial ont été remerciés après leur période d’essai, sans avoir pu vraiment agir.

Seconde alerte des commissaires aux comptes

La situation actuelle montre que le problème demeure. Le commissaire aux comptes vient d’ailleurs de relancer l’alerte phase 2, certainement en raison de la menace de la cessation de paiement. Le 1er mars, lors du dernier conseil d’administration du Cipen, certains élus de la CCI du Pays d’Arles ont posé la question d’une potentielle mise sous tutelle de l’association pour assainir les comptes et la gestion de l’association. Une option refusée par la présidente Julie Escalier. La CCI ne veut pas se faire enlever la garde de son enfant.

Malgré la dette creusée par les loyers impayés (850 000€) et les avances de trésorerie encore dues (690 000€), l’apport en capital via des fonds associatifs depuis 2016 (+1,3 millions), le Cipen a rendu un brave service à la CCI. Lors de sa création, 43 agents consulaires ont été invité à démissionner de la CCI au profit d’un contrat de droit privé dans l’association Cipen. Et un peu dans la précipitation. Pendant le mois de décembre 2015, les salariés “ont été fortement encouragés à démissionner au profit d’un contrat de droit privé du Cipen pour préserver leur emploi”, remet en contexte une lettre de la délégation du personnel adressée à la CCI de région Paca le 7 décembre 2018. Les lettres de démission, “étaient des lettres types rédigée par la CCI Pays d’Arles et toutes signées par les agents sur le lieu de travail”, dénoncent-ils en parallèle au préfet de région. Sollicité, Pierre Dartout répond par écrit qu’il “accorde une attention particulière à cette affaire”.

Pression des instances

Aujourd’hui, les salariés estiment que leur décisions ont été “provoquées par les pressions des instances“, les privant de leur “libre consentement”. Pour les convaincre de partir pour un contrat de droit privé, les salariés ont pu garder leur ancienneté et leurs acquis sociaux (primes d’ancienneté, RTT, primes lors du départ à la retraite).

Utile pour convaincre à la démission mais lourd pour la structure qui les accueille. Tous ces avantages sont désormais à la charge du Cipen. À l’époque, pour la CCI, l’externalisation de ses offres de formation, c’est une belle façon de dégraisser sa masse salariale alors que ses ressources diminuent drastiquement. “De 2010 à 2016, on a perdu 50 % de notre ressource fiscale, de 2016 à 2020, on aura reperdu 50 %”, contextualisait Stéphane Paglia le président de la CCI au début de notre enquête.

Résultat, avec la situation financière incertaine, les salariés accusent la CCI de “licenciements déguisés” dans une lettre à la présidente du TGI de Tarascon datée du 21 décembre 2018. De nombreux salariés réclament les indemnités de départ qu’ils ont concédées à la CCI en démissionnant.

Géré de fait par la chambre de commerce

“La CCI s’est débarrassé des charges de ses écoles, mais a gardé la main”, résume un salarié qui dénonce la casse de son outil de travail. Dans les statuts, la présidence et le poste de trésorier doivent être assurés par un élu de la CCI “en raison de ses apports en fond associatif”, le directeur général de la chambre peut assister à toutes les réunions des instances avec rôle consultatif. Alors qu’on leur avait promis “une autonomie complète afin d’assurer un développement solide” comme il est écrit dans le traité d’apport, les salariés, via la délégation unique du personnel s’étonnent du fonctionnement de l’association : “Présence du président de la CCI à tous les bureaux” des “membres votants de la CCI du Pays d’Arles majoritaires dans le conseil d’administration et au bureau”, dans une lettre adressée à la CCI de région. Le tout dans une opacité qui rappelle celle de sa voisine, la CCI Marseille Provence (lire notre enquête) : ni le Cipen, ni la CCI du Pays d’Arles ne publient leurs comptes malgré l’obligation légale, puisqu’elles sont financées par les taxes versées par les entreprises donc des fonds publics.

Cette gestion pourrait avoir des conséquences concrètes en cas de liquidation ou de redressement judiciaire. Si le tribunal reconnaît au Cipen le statut d’association fille, c’est-à-dire qu’elle appartient au “groupe” CCI au même titre qu’une société filiale, la jurisprudence engage la responsabilité de la personne morale publique mère : donc la CCI d’Arles elle même.

Eric Besatti avec Julien Sauveur

CCI Papers, révélations d’une gestion douteuse, à prolonger sur le site de l’Arlésienne.

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Commentaires

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  1. Clodarles Clodarles

    On nage vraiment en eaux troubles

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