Kallisté, la vie en bout de ligne

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le 16 Fév 2014
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Kallisté, la vie en bout de ligne
Kallisté, la vie en bout de ligne

Kallisté, la vie en bout de ligne

Au-dessus des balcons vétustes assortis à l’ensemble des bâtiments de Kallisté, construits dans les années 60, du linge flotte. Le froid matinal de février saisit les draps suspendus, le mistral les tourmente. Les neuf immeubles de la cité dominent la rade depuis de sa frontière Nord. Seuls quelques commerces désertés à cette heure sont implantés au pied des barres : une pharmacie, une laverie, une épicerie et un taxiphone. Dans ce temps particulier des municipales, Marsactu a voulu décentrer son regard, interroger les limites de la ville à travers une série d’articles sur le quotidien des habitants de cette cité.

Salha, 43 ans, une mère de famille de Kallisté, cité la plus pauvre de Marseille est notre guide, “Notre dame à la limite”, pour paraphraser le nom de ce quartier. Elle soupire tandis qu’elle s’éloigne de ce rivage bétonné. Loin de cet appartement où elle vit “comme un oiseau en cage” avec son mari et ses trois enfants. De l’autre côté des barres d’immeubles, invisibles depuis sa fenêtre, des villas ombragées et équipées de piscines apparaissent sur Google earth.

Le parc Kallisté, copropriété privée construite dans les années 60, fait l’objet d’un plan de rénovation urbaine initié par l’Agence nationale du même nom et financé par les partenaires publics locaux. Un plan chiffré à 28 millions d’euros où il est notamment question de démolir les deux bâtiments les plus dégradés : le B, puis le H. Le bâtiment de Salha et sa famille doit, lui, rester debout. Mais pour l’heure, tandis qu’elle prépare le couscous dans sa cuisine en forme de galerie étroite, Salha s’épanche sur sa Tunisie natale.

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“Pas de fumée sans feu”

Salha arbore un sourire qui lui mange perpétuellement le visage. Même lorsque du haut de sa fenêtre, elle désigne les dealers qui rodent autour de la pharmacie. Un fief autoproclamé que personne n’ose leur contester, à part parfois, le pharmacien lui-même, dont les réprimandes inutiles retombent sur le sol, sans avoir même suscité un soubresaut d’intérêt. L’un de ces caïds a volé le vélo de Naël, l’aîné de Salha, un gamin de huit ans. Révoltée, celle-ci a apostrophé le voyou, “un grand, les genoux pliés sur le vélo acheté aux puces. Il m’a dit « je ne peux pas te le rendre, les freins sont cassés, je l’ai prêté à un enfant, il a failli avoir un accident ». Je lui ai répondu, « qu’est ce que ça peut te faire ! Nous avons l’habitude de l’utiliser comme ça ».” Il n’a rien voulu entendre. Un voisin est passé et a fait mine de ne rien voir.

Ses trois enfants, Naël, Waël (7 ans) et Maïssa (5 ans) ont peur de sortir sans leurs parents depuis qu’il y a eu, quelques mois plus tôt, une fusillade dans le quartier. Le meurtre d’un commerçant à l’arme blanche n’a rien arrangé. “Je ne suis pas certaine de donner une très bonne image du quartier, s’inquiète Salha. Mais quand on sait que j’habite ici, on me demande si ça va… Il n’y a pas de fumée sans feu”. Les mots se bousculent, pressés par l’arrivée d’un éclat de rire, pare-feu contre la détresse.

 

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Crédit photo : E.C

Certes la cité n’est pas très grande, les barres d’immeuble ne sont pas les plus importantes de Marseille. Mais le jour où Salah, – le mari de Salha – lui a annoncé qu’ils allaient vivre à Kallisté, celle-ci a été effrayée par l’ombre des tours de la Solidarité, la cité voisine qui la surplombe. “Déjà, vivre dans un appartement me semblait difficile, mais alors vivre dans une tour ne me semblait pas possible. Et puis j’ai vu cet immeuble, moins haut, je me suis dit que ça allait. Tout est question de hauteur finalement… ” La famille a un peu échoué là par hasard, “pas parce qu’on l’avait choisi”, nuance Salha.

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Kallisté reste loin de tout et proche de rien. Pratiquement un seul bus, le 97, passe et repasse, reliant le centre-ville à ce quartier perdu, extrémité urbaine délaissée. Dans la mesure où le 97 est toujours plein à craquer, il faut feinter pour espérer obtenir une place assise. “Et puis parfois, pour rattraper leur retard, les bus se suivent les uns à la suite des autres et après il faut encore attendre un long moment.” La question des transports dans les quartiers périphériques reste un point opaque de la politique de la Ville et de la communauté urbaine. Pourtant Kallisté ne réclame… qu’un bus.

 

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“Coupé du centre”

Parfois, Salha et les siens partent “en ville” pour s’aérer, s’asseoir sur le Vieux-Port ou se promener au parc Borély. Manger une pizza ou encore faire quelques courses, emmener les enfants à l’Alcazar où ils sont inscrits. Mais c’est tout. Il n’y a rien à faire à Kallisté. Il n’existe aucun équipement sportif pour les enfants, à part peut-être un terrain omnisports déjà dégradé. Au niveau culturel, c’est le néant.

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Crédit photo : E.C

Les courses nécessitent le même parcours du combattant. Tout y est démesurément prohibitif, une absurdité de plus. La pharmacie et les épiceries du coin sont bien trop chères pour Salha et son mari qui vivent avec le RSA et sont contraints de pousser le “caddie” jusqu’à Plan de campagne ou Grand littoral, à quelques kilomètres. “C’est seulement en cas d’urgence que je vais dans les commerces d’en-bas. Les prix sont vraiment exagérés. Je crois qu’ils profitent du fait qu’on soit coupé du centre-ville”.

Cette vie chère est d’autant plus fortement ressentie que Kallisté est la cité la plus pauvre de Marseille : d’après une étude réalisée conjointement en 2009 par la région et la société de collecte de données Compas, 545 ménages – sur 752 logements – étaient recensés comme vivant sous le seuil de pauvreté, soit 73 % de la population de la cité. Et pour le parc Kallisté ajouté à la Solidarité, 23,2% des ménages étaient concernés par l’allocation chômage [chiffres Insee 2009].

A cette réalité chiffrée, s’ajoute la mauvaise réputation qui enferme ses habitants. Quand Salah, ce grand homme discret à la fière allure cherche du travail dans le bâtiment, il en est certain, la simple mention de son lieu de vie le confine à la marge. Personne ne le rappelle malgré ses compétences, en dépit des besoins évidents. Salha, elle, diplômée en Tunisie d’un DEA d’espagnol, a déjà donné des cours au collège Elsa-Triolet et a travaillé à la Cimade quelques temps. “Quand les gens découvrent que je suis prof, dans un quartier populaire, ils sont étonnés”.

Crédit photo : E.C

“Tour de Babel”

A force de regarder des séries télévisées égyptiennes et syriennes avec sa mère, Salha a appris à comprendre ces dialectes, compétence supplémentaire qu’elle rêve de mettre à profit. En aidant par exemple les immigrés dans leurs démarches administratives. Une façon pour elle d’ébranler cette “tour de Babel” qui désigne dans sa bouche tant la cité que, plus largement, la société dans laquelle s’enferment les communautés. Ou bien les communautés que la société enferme aussi, parfois. Salha a réécrit plusieurs fois son curriculum vitae mais elle le sait, une certaine accumulation l’empêche de décrocher un emploi : sa nationalité, le voile qu’elle porte et enfin, son lieu de vie. Pour l’instant, elle doit se contenter de faire des ménages.

Les habitants du quartier, Comoriens, Portugais, Maghrébins, Turcs, Kurdes et Asiatiques, se côtoient, se croisent. Le jour où Salha a initié une pétition pour faire des travaux devant l’école, une maman comorienne lui a dit qu’une telle initiative citoyenne à Kallisté n’était jamais arrivé. “On a l’impression que les habitants des quartiers Nord ne vont jamais rien dire… mais nous on veut que nos enfants aient la même chance que partout ailleurs sur le territoire”.

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Les municipales approchent mais Salha n’a pas le droit de vote. Sa demande d’obtention de la nationalité française a été “ajournée”. Si elle le pouvait, elle voterait pour Pape Diouf, parce que son mari aime le foot et dans “le milieu” il se dit qu’il est intègre. Longtemps, à la préfecture, son mari s’est heurté à un fonctionnaire haineux qui lui a promis qu’il n’obtiendrait jamais sa carte de séjour. Un jour, l’homme a quitté son poste. Ironie du sort, il a appris qu’il était impliqué dans un trafic de papiers. Dans la chambre qu’elle partage avec son mari et sa petite fille, Salha se prend à rêver d’un retour en Tunisie. A Kallisté, la vie n’est jamais simple, surtout lorsqu’on se sent marseillaise et que l’on vit au bord de la ville.

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Commentaires

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  1. isabelle isabelle

    Les “mmh” “ouais” “bien sûr” des journalistes sont un peu pénibles mais bravo pour ce papier qui pose simplement et concrètement les problèmes qui “structurent” l’exclusion dans ces quartiers, éloignement, services publiques minimalistes, commerces inexistants, infrastructures dégradées qui alimentent chômage, exclusion économique culturelle et sociale … Et bravo à la sympathique Salha pour sa détermination et son espérance, très jolie voix par ailleurs.

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  2. kerozene kerozene

    une vraie tranche de vie, je crois très représentative et peu représentée. bravo

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  3. julijo julijo

    Un reportage très intéressant, voire impressionnant parce que rare. Quelle bonne idée de raconter le quotidien des marseillais.
    En général on ne parle que des dealers laissant croire que des gens “normaux” n’habitent pas ces quartiers alors qu’ils y sont largement majoritaires pourtant.
    L’esprit positif et clair de Salha est réjouissant. La dure réalité de son quotidien ne l’empêche pas de se battre. Beaucoup malheureusement baisseraient les bras. Quel dommage qu’elle ne puisse voter…et allez, même pour pour Diouf…c’est surtout une “citoyenne” dans tous les bons sens du terme.
    Encore merci à E Crézé et E Griffe de nous avoir permis de l’entendre.
    Bon vent à Salha et à tous les siens.

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  4. lulu lulu

    Oui, papier très intéressant! Excellent témoignage, et en effet excellente Salha.
    Cela donne une idée des énergies et intelligences existantes dans ces quartiers et de l’intérêt qu’il y a à les aider et de la réactivité qu’on peut en attendre.

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  5. myriam myriam

    merci pour ce témoignage .

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  6. Zo Zo

    Bravo, Excellent témoignage qui donne à réfléchir à ceux qui habitons le centre ville et qu’ignorons volontairement ce qui se passe dans les quartiers Nord

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  7. Simon L Simon L

    Un vrai travail de journaliste, simple et efficace, bravo à Elodie C, si tous les médias travaillaient ainsi peut-être vivrions-nous dans une société moins lourde en préjugés, clichés, injustices en tous genres.

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  8. jojo le démago jojo le démago

    si vous votez pour moi,c’est promis,
    je leur donne:
    titularisation immédiate a la ville pour lui,
    dans l’éducation nationale pour elle,
    un t5 a château-Gombert (quoique un seul bus),
    les petits a sévigné ou Lacordaire,
    une bm pour lui et une audi pour elle,
    un abonnement au cercle des nageurs pour occuper les dimanches,
    etc etc

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  9. Anonyme Anonyme

    Merci pour ce beau reportage : les temps sont difficiles pour tout le monde mais la France est un beau pays généreux qui permet à des gens comme Salha de vivre et d’élever ses enfants non pas dans de très bonnes conditions il est vrai mais au moins dans la paix et la gratuité en continuant à rêver à sa Tunisie natale voilée dans sa cuisine en préparant le couscous.

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  10. Anonyme Anonyme

    Le but du reportage était si j’ai bien compris de montrer combien ces quartiers étaient excentrés et mal desservis par les transports en commun. Mais pour que votre reportage soit complet il aurait tout de même fallu avoir l’honnêteté de préciser que toutes ces personnes qui vivent à divers titre d’assistanat (RSA, chômage, allocations familiales, APL, CMU, etc…) bénéficient également des transports gratuits. Quand Salha prend le bus avec sa famille, elle, son mari, ses parents et ses enfants (comme tous leurs voisins) voyagent gratuitement sur les lignes de la RTM, aux frais du contribuable marseillais. On comprend que la Ville ne soit pas pressée de rajouter des bus.

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  11. salha salha

    merci chère isabelle,
    voilà l’idée est là montrer la réalité des quartiers de l’intérieur, car ce n’est pas que ce qui est montré en boucle dans les médias ordinaires… ce n’est en aucun cas, comme peuvent penser certains pr me plaindre, ou chercher la pitié, non c juste mon regard, en sachant que je n’avais jamais vécu auparavant dans des quartiers populaires que ce soit dans le sud-ouest de la france (ou je vivais auparavant ou en tunisie) pour moi c une expérience difficile mais quelque part enrichissante

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  12. ALAIN PERSIA ALAIN PERSIA

    Votre article est courageux et très émouvant.
    Depuis G.DEFFERRE ces quartiers ont été laissé à l’abandon et méprisés .
    R.VIGOUROUX avait commencé un plan intelligent pour sortir ces quaartiers de l’isolement .
    GAUDIN lui a délibérément fait l’impasse sur cités au motif qu’elles ne lui rapportaient rien électoralement.
    Les plans de réhabilitation sont faits sans véritable concertation avec les habitants et les divers bailleurs.
    Quant aux transports en commun ils sont inexistants la nuit tombée et ne permettent pas à la population de se rendre directement dans les quartiers voisins et les diverses grandes surfaces .
    Président de la RTM le pseudo écologiste ZERIBI n’a rien fait pour améliorer les dessertes .
    Mais il est vrai que lui a eu en permanence un chauffeur à sa disposition !!!

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  13. ESPOIR IMOLLÉ ESPOIR IMOLLÉ

    Bonjours j’ai 28 ans que j’habite dans les cite valcorme (parc kallisté) ça datent maintenant,
    j’ai vu des amis allez a l’armer mourir pour la France d’autre en prison d’autre mort pour une plaquette de chit Je suis diplôme est des que je recherche un stage (non rémunérer). On ne m’accepte pas du fait que je suis de cette cite (c’est un truc de fous)
    J’ai jamais était embauche et ceux mal grès le fait d’être a pole emploi et actif dans mes recherches.
    Pire ! ! !
    Un amis a moi qui travailler dans un centre social recevais des chèque en bois qu’il pouvais même pas encaisse alors qu’il fournissait un effort d’intégration au sein du vivre ensemble de ce quartier.

    Même les structures d’état sont infâmes
    Y avez une époques ça a fait une rixe dans le centre aérer kalliste graniere car y avez pas de sortie il garder les thune pour eux et leurs cafe les jeunes on Peter un plomb sont tous rentrer dedans,ça a fermer le centre avec le directeur le jour même ils ont débrouiller des sous pour une sortie pfff sil faut les agresser pour qu’il organise des sortie c’est grave (on agresse pas un médecin pour qu’il nous soigne c’est un service d’état normalement)

    les projets des jeunes maintenant qu’il ont vu le traitement fait au ancien qui se choyer d’être pris en compte par Marianne et ce sont retrouvé discriminer du territoire français sont de : vole et vendre et faire des braquages et des cambus d’autre la ferraille est cela même si les familles sont bien éduquer
    C’est l’état qui rendent les laisses pour comptent “laisse pour compte ”

    -Apres des qui y’a une élection : ils sont tous la a vendre du rêve maintenant des qu’il y’a ça !
    Mettez vos lunettes 3d et descendez voir leurs cinema a tous cet politicard.
    BANDE DE FRANC MACON DE MES COUILES #BDFMDMC

    Et pour les villas ils leurs ont promis vu sur la mer mais ya le H et le B qui gêne la vu…
    Alors il ont racheter a des prix dérisoire les appartement et on laisse volontairement ce dégrader la cite pour que la mairie les rachètes pas cher du fait que c’est dans la crasse et pas entretenu les gens vend parte et nen peuvent plus (tous as fait l’effet escompter)
    VOILA POUR MON COUPS DE GUEULE DONNER DES JOBS ET YAURAS MOINS DE BRAQUAGE DE MINOT QUI ARRACHE DES VEILLES POUR L’OR (qui meurent) ET DE JEUNNE QUI PARTE FAIRE LE DJIAD TELLEMENT ILS ON PAS D’AVENIR ICI #bdfmdmc (bande de franc mâcon de mes couilles).

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  14. ESPOIR IMOLLÉ ESPOIR IMOLLÉ

    Comentaire sélective

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