Horaires réduits, fermetures inopinées : les crèches marseillaises “dans l’œil du cyclone”
Depuis des mois, les parents dénoncent des dysfonctionnements dans les crèches municipales, faute d'effectifs. De leur côté, les personnels témoignent de conditions de travail très dégradées. La Ville de Marseille, elle, cherche à recruter. Mais peine à fidéliser les agents nouvellement embauchés.
La crèche municipale Belsunce subit fermetures de sections inopinées et réductions des créneaux d'accueil. (Photo C.By.)
“C’est la mouise.” La formule est lapidaire, mais elle a le mérite d’être claire. Elle est signée Alexandra Nicaise, référente de la section écoles et crèches de l’alliance CFTC/CFE-CGC des territoriaux de la mairie de Marseille, et vient synthétiser les dysfonctionnements chroniques qui secouent depuis plusieurs mois les 59 crèches municipales de la ville. Au grand dam des quelque 1270 agents qui y travaillent et des familles des 3000 enfants dont c’est le mode de garde.
Depuis le retour des vacances d’été, la situation déjà complexe est devenue très aiguë. Les parents décrivent un parcours du combattant quotidien. “On a des fermetures déclarées au dernier moment : on nous prévient par exemple, la veille à 16 h 30, que la section des petits n’ouvrira pas. C’est arrivé 6 ou 7 fois depuis le début octobre”, soupire Thomas Le Saux, papa d’un bébé gardé à la crèche Belsunce (1ᵉʳ arrondissement). Ou bien, “comme ce matin, une maman arrive à 8 h 15 mais on lui dit que son enfant ne pourra être accueilli qu’à 9 h 15, vous imaginez ? C’est complètement hallucinant !”, s’agace Melissa Commins, mère d’un enfant gardé dans le même établissement et présidente du conseil d’établissement de la crèche, l’équivalent d’une déléguée des parents.
Roxane Taron, dont le fils de 21 mois bénéficie, lui, d’une place dans la crèche République, dans le 2e arrondissement, dépeint ces mêmes fermetures inopinées et le rétrécissement de certains créneaux : “Pour résumer, l’accueil ne se fait pas de manière convenable.”
120 postes vacants
Ces difficultés, de nombreuses autres crèches municipales les subissent. En cause selon la mairie, le manque d’effectifs. Environ 120 postes d’auxiliaires de puériculture et d’agents d’accompagnement à l’éducation de l’enfant seraient actuellement vacants. L’adjointe au maire de Marseille chargée de la place de l’enfant dans la ville, Sophie Guérard, reconnaît sans fard que “la situation n’est pas du tout satisfaisante”.
La collectivité ne respecte pas ses engagements.
Une maman
Pour obtenir une place dans une crèche municipale, les parents doivent signer “un contrat” avec la collectivité. Mélissa Commins explicite : “On nous réclame de respecter une heure pour déposer notre enfant et une heure pour le récupérer. On a 15 minutes de battement et au-delà, on s’expose à être sanctionnés. Pas de souci, ça nous semble normal. Mais la collectivité, à l’inverse, ne respecte pas ses engagements.”
Des parents mis en difficulté professionnelle
Ce contrat indique également que les parents qui sollicitent une place pour leur enfant travaillent tous deux. “Mais au quotidien, l’instabilité de l’ouverture nous met régulièrement en difficulté professionnelle”, regrette Thomas Le Saux. Roxane Taron vit la même chose :“J’ai dû le dire à mon employeur. J’ai de la chance d’avoir une directrice compréhensive. Mais je n’ai pas des congés illimités. Je vais finir par devoir prendre du sans solde pour garder mon fils…”
Dans un courrier que les parents de la crèche Belsunce ont adressé notamment à la direction de la petite enfance de la mairie et au maire Benoît Payan, pour les alerter sur “la dégradation constante des conditions d’accueil” à l’échelle de la ville, ces familles écrivent :
“Comment les parents peuvent-ils sereinement aller travailler en sachant qu’on peut à tout moment les appeler pour leur intimer l’ordre de venir récupérer leurs enfants du fait du manque de personnel ?”
Cette exaspération, les personnels la partagent. “Leurs conditions de travail sont très très compliquées”, souligne Alexandra Nicaise. “Quand on dit aux parents qu’une section va fermer ou qu’on ne peut pas accueillir un enfant, cela génère forcément des tensions avec les familles. Et les déplacements incessants de crèche en crèche ou d’une section à l’autre, créent évidemment de l’angoisse et du mécontentement”, détaille la représentante syndicale.
191 recrutements, 199 départs
S’enclenche alors ce que Sophie Guérard décrit elle-même comme “un cercle vicieux” : “Les agents fatiguent. Au plus ça dure et au plus elles craquent, sont absentes pour maladie ou partent.” Pour l’élue, la carence de personnels dans les crèches marseillaises n’est pas un cas isolé : “Elle est nationale et le secteur de la petite enfance est devenu hautement concurrentiel.” La mairie, assure-t-elle, a pourtant mis le paquet : “En juillet, août et septembre, nous avons recruté 191 personnes. La ville n’a jamais autant recruté ! Mais ce qui n’était pas anticipable c’est que, dans le même temps, nous avons eu 199 départs…”
Sous la pression du politique, la Ville a voulu faire plaisir aux parents sans forcément penser aux agents.
Yannis Darrieux, FSU
Démissions, fins de contrats, mobilités internes ou départs volontaires vers d’autres structures, cette hémorragie “est d’abord liée aux conditions de travail, car Marseille est une des villes où les agents du secteur sont plutôt bien payés”, reprend Alexandra Nicaise. Yannis Darrieux de la FSU déplore, lui aussi, “un énorme turnover” : “La Ville a un peu joué les gros bras. Elle a décidé d’ouvrir toutes les sections pour faire plaisir aux parents, sans forcément penser aux agents. Elle pensait pouvoir recruter et n’y est pas arrivée. Mais il faut se donner les moyens de la politique que l’on veut mener. Et là, on a un problème humain.”
Pénurie nationale
La collectivité est consciente de la crise qui secoue les crèches municipales, affirme Sophie Guérard qui promet que 80 recrutements sont en cours. “Nous allons recruter directement dans les instituts de formation”, indique-t-elle. Pas question, néanmoins, comme le propose un récent assouplissement gouvernemental, “de recruter en dehors de strictes conditions de diplôme – soit sans le CAP petite enfance – et d’expérience”, cadre l’adjointe. Toutefois, “pour élargir le vivier”, l’option de s’ouvrir à d’autres professionnels de l’aide à la personne, comme les titulaires d’un Bac pro, n’est, elle, pas écartée.
Ces difficultés chroniques de recrutement, les parents ne les ignorent pas. “Il y a une pénurie au national dans le vivier du CAP petite enfance, c’est vrai, reconnaît Mélissa Commins. Mais on nous sert cet argument à l’envi depuis un an et demi, ce n’est plus possible ! Depuis septembre 2022, ce système de garde est totalement défaillant.” Comme d’autres parents, la mère réclame aussi “une plus grande transparence” de la collectivité à l’égard des familles concernées.
Réduire la voilure pour affronter le “cyclone”
L’adjointe a, dit-elle, initié une série de réunions dans les établissements les plus impactés. De même, une table ronde doit se tenir ce jeudi avec les organisations syndicales représentant les agents territoriaux sur le sujet. Dans les deux cas, il s’agit d’étudier des solutions pour passer ce mauvais cap. “On est dans l’œil du cyclone, mais ça va se régler”, martèle l’élue. Pour continuer à ouvrir, il faut donc réduire la voilure. Une vingtaine de crèches réduisent leur amplitude horaire et ferment désormais à 18h “quand cela ne dérange personne”. À compter de janvier, les crèches fermeront une semaine supplémentaire durant les vacances d’avril.
Surtout, à la rentrée de septembre prochain, si ces épineuses difficultés perdurent, la Ville de Marseille envisage de “geler” temporairement le nombre de berceaux, comme l’ont fait les communes de Lyon (200 places gelées à la rentrée de septembre 2023) ou Bordeaux (une centaine), “le temps de retrouver un fonctionnement vertueux”, veut croire Sophie Guérard. L’argument ne convainc pas tous les parents. Thomas Le Saux dit qu’il “croit au service public”. Mais, de guerre lasse, après une énième fermeture annoncée la veille, sa compagne Marion et lui viennent d’opter pour un nouveau mode de garde pour leur bébé. Dans un courrier envoyé à la direction de la crèche et aux élus concernés le mardi 21 novembre, la maman explicite : “Je suis désormais contrainte de résilier mon contrat de garde au sein de la crèche Belsunce, je ne peux plus subir les défaillances de vos services. (…) Il s’agit d’une mesure nécessaire pour garantir le bien-être de mon enfant et la sauvegarde de mon emploi.” Un changement d’organisation qui n’est pas forcément accessible à toutes les familles.
Roxane Taron, elle, n’envisage pas de quitter sa crèche. Mais elle a “du mal à croire que ces solutions viendront apporter des réponses à court terme”. La jeune mère qui a interpelé le maire, samedi sur le Vieux-Port lors de la présentation de son bilan de mi-mandat, regrette “qu’il ne [l’ait] pas écoutée.” Elle ambitionne désormais de lancer “un collectif qui rassemblerait des parents de toutes les crèches municipales : car nous avons besoin de parler d’une seule voix et d’être vraiment entendus.“
Commentaires
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Plutôt qu’un uniforme il faudrait utiliser cet argent à rendre l’enseignement gratuit, cela permettrait de lutter plus efficacement sur les inégalités
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désolé je me suis trompé de document
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C’est scandaleux, les parents se retrouvent mis en péril professionnellement, les auxiliaires qui restent en poste souffrent du départ de toutes les autres.. ce mode de fonctionnement n’est plus tenable.
La mairie de Marseille devrait prendre en charge le paiement des modes de garde alternatifs quand les crèches sont fermées !
Un rapport à t il être dressé sur les conditions de travail en crèche et des recommandations ont elles été faites? Qu attend la mairie de Marseille? ?
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Mr Payant a publiquement assumé ce dysfonctionnement des crèches donc pas de problème
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Et pourtant que de constats , de projets , d’ambitions, de certitudes , de résolutions , de mesures, de célérité annoncée dans le programme du Printemps Marseillais que je viens de relire à l’instant , tout ceci cité page 8 dans le chapitre Petite Enfance. A la sortie , 32 pages de verbiages de communicants.
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Plutôt que de s’occuper et de commenter a longueur de journée les ratées de la Métropole, les élus de la ville feraient mieux de s’occuper des dossiers qui les concernent: crèches, culture, espaces verts….
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Qu’est-ce que vous racontez, on parle des crèches.
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L’exposé de cet important problème est clairement rédigé, mais le titre qui reprend les propos de l’élue contient une grosse faute (très répandue) : l”oeil du cyclone n’est absolument pas la zone la plus secouée, c’est au contraire là que le vent est nul, le calme total.
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Je ne connais absolument pas le sujet, mais je suis surpris par les chiffres : il y a 1270 agents “qui travaillent (donc présent je suppose) pour 3000 enfants, plus 120 postes vacants.
On aurait donc besoin de 1390 agents, soit 2,2 enfants par agent, quand une assistante maternelle à domicile peut s’occuper de 4 enfants de moins de 3 ans.
Ça fait une sacrée différence.
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Quand « on rentre à la Mairie » c’est une embauche qu’elle est faite pour toucher un traitement, pas pour effectuer un travail. Ce serait déloyal que l’employeur impose une quelconque tâche au pistonné une fois qu’il est dans la place. Sinon ce serait briser une amitié.
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on parle de manque de personnel mais 3000 enfants pour 1270 agents cela fait 1 agent pour 2.36 enfants, comme le disait Coluche le plus dur à trouver c’est le 0.36 ième , Je ne connais la règle mais il ne me semble pas que le problème soit le nombre mais plutôt la gestion du personnel
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Bonjour, une précision sur les chiffres. Diviser le nombre d’enfants gardés (environ 3000) par celui des agents municipaux dédiés aux crèches marseillaises (1270) ne donne pas le taux d’encadrement général, comme plusieurs des commentaires ci-dessus semblent le pointer. A Marseille, comme partout en France puisque c’est la loi, les sections des “petits” (les enfants avant leur acquisition de la marche) comptent un adulte pour 5 enfants, celles des “moyens” voient un adulte encadrer 8 enfants. A ces personnels, il convient ensuite d’ajouter les personnels administratifs, les personnels dédiés au ménage et à l’entretien… sans lesquels les établissements ne pourraient pas fonctionner non plus.
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Cette situation calamiteuse fait les beaux jours des crèches privées qui se multiplient de jour en jour . A mettre en parallèle avec l’enseignement. C’est la casse du service public. Encore et toujours.
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@ Coralie Bonnefoy
Merci de cette précision.
Mais alors si je comprends bien :
– on a 1 adulte qui s’occupe “directement” de 5 ou 8 enfants (selon l’âge) : disons 1 pour 6 en moyenne
– on a au total 2,2/2,3 (selon qu’on compte les 120 postes non couverts ou pas) enfants par adulte en comptant tous les employés municipaux.
Donc pour chaque employé s’occupant d’enfants on en aurait presque deux qui feraient autre chose que de s’occuper directement des enfants ?
Bon j’imagine que c’est plus compliqué que cela avec les horaires à assurer le matin et le soir et le personnel qui travaille à temps partiel.
Mais même si on arrive à 1 adulte s’occupant directement des enfants pour 1,5 faisant autre chose, ça fait beaucoup d’administratifs, de ménage et d’entretien.
On sait qu’en France nous sommes les champions des emplois “de structure” (voir l’éducation nationale par exemple par rapport à d’autres pays européens), qui font qu’on emploie beaucoup plus de monde qu’ailleurs pour faire le même travail. Mais les gens travaillant moins, on les paye moins également…
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Ancienne auxiliaire de puériculture des crèches marseillaises je suis halucinée par les commentaires
Méconnaissance et calculs mathématiques merci Coralie d avoir tenté de rétablir un peu de réalité
Les chiffres ne reflétent jamais la réalité du terrain
Vous pensez que si les agents ne s occupaient que de 2.2 enfants par adulte en étant trésbien payées elles auraient continué à s enfuir et que la mairie ne croulerait pas sur les demandes d emploi pour être recrutées sur des postes si confortable ? CQFD
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