Hausse de la taxe foncière : la Ville de Marseille peine à défendre sa méthode

Actualité
le 16 Mar 2023
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Le tribunal administratif étudiait mardi un recours porté par un élu LR et 238 propriétaires marseillais. Le rapporteur public, chargé de présenter le dossier au tribunal, s'est dit favorable à leur requête. Mais la mairie jure qu'en cas de défaite, la possibilité d'un remboursement des contribuables relève d'"une utopie".

Le conseil municipal de Marseille. (Photo : Emilio Guzman)
Le conseil municipal de Marseille. (Photo : Emilio Guzman)

Le conseil municipal de Marseille. (Photo : Emilio Guzman)

Dire qu’il aurait suffi de l’écrire, noir sur blanc, dans ce rapport numéro 9 soumis aux conseillers municipaux de Marseille le 8 avril 2022, pour ne pas se retrouver devant le tribunal administratif. Qu’il aurait suffit d’annoncer la couleur d’une hausse de 14 % du taux de taxe foncière, de préciser son impact – une cinquantaine de millions d’euros – et ses raisons. Las, au moment de présenter cette décision sensible, l’exécutif municipal a fait plus court, avec cette phrase unique : “À Marseille, le taux de foncier sur les propriétés bâties s’établit en 2022 à 44,54 %, et 24,99 % pour le foncier non bâti.”

Trop court, pour le conseiller municipal d’opposition Pierre Robin (LR) et pour un collectif de 238 propriétaires immobiliers, qui ont porté l’affaire devant le tribunal administratif. Et surtout pour le rapporteur public, qui commentait la solidité de leur recours ce mercredi 15 mars. “Pas de rappel des taux précédents, pas d’indication, même succincte, des motifs de cette décision” : pour ce magistrat chargé d’éclairer le tribunal, le rapport envoyé aux élus ne leur offre pas “le socle minimum d’information permettant de mesurer les implications de leur décision”.

Il recommande donc au tribunal de donner raison aux requérants et d’annuler cette hausse d’impôt. “L’erreur, c’est le manque de concertation. On sait très bien que la Ville a des difficultés. Ce qu’on a proposé à l’adjoint aux finances, quand il nous a reçus après notre recours, c’est d’étaler dans le temps, pas 17 % d’un coup”, commente Auguste Lafon, président de la chambre syndicale des propriétaires des Bouches-du-Rhône, venue en soutien du recours.

“La deuxième ville de la cinquième puissance mondiale”

Du côté de la Ville, on souligne que les griefs sont de pure forme et que les arguments de fond soulevés par les propriétaires, notamment sur la “sincérité” du budget, sont tous balayés par le rapporteur public. Le reste n’est qu’“utilisation du droit administratif à des fins politiques”, tance Jorge Mendes-Constante, avocat de la Ville, qui note la présence fournie de la presse à l’audience. “L’impôt c’est le cœur de la démocratie. Et les règles de droit ce n’est pas de la forme, rétorque Pierre Robin, venu sans avocat. Cinq lignes pour une décision à 50 millions d’euros, ce n’est pas simplement illégal, c’est irrespectueux.” Une lacune d’autant plus criante selon lui alors que “la deuxième ville de la cinquième puissance mondiale, comme a l’habitude de le dire le maire, est censée être outillée”.

Également attaqué, le budget 2022 de la collectivité risque lui aussi l’annulation, pour les mêmes raisons. Le rapport d’orientations budgétaires examiné en mars 2022, lors de la séance précédente, “ne comportait pas toutes les informations prévues par la loi pour éclairer les élus” estime le rapporteur public, dont l’avis est la plupart du temps suivi par le tribunal. Quant au rapport de présentation du budget soumis le jour J, “rien ne permettait d’y déceler l’augmentation de la taxe foncière prévue par la commune”. Vérification faite, les informations fournies en 2022 sur ce chapitre sont même moins complètes que les années précédentes.

“Dans l’hémicycle, micros ouverts, filmé”

Cette hausse n’a pourtant pas échappé à la lecture attentive des dossiers et la majorité s’est bien trouvée forcée de l’expliciter, dans les jours qui ont précédé le vote. “Ce que Pierre Robin appelle catimini, c’est l’hémicycle, micros ouverts, filmé”, resitue Jorge Mendes-Constante. Ce 8 avril 2022, l’adjoint aux finances promet même à ses “chers collègues” d’être “direct”. Et l’est effectivement, bien plus que les documents fournis cinq jours plus tôt : “Oui, nous augmentons d’un peu plus de cinq points le taux de la taxe foncière. (…) C’est une décision que nous devons prendre face à l’état délétère des finances que nous avons trouvées, mais aussi face à des services municipaux souvent démunis et il nous incombe de les réarmer et de leur donner des perspectives en travaillant sur des objectifs de politiques publiques à mettre en œuvre pour les Marseillaises et les Marseillais.”

Il aurait suffi de l’écrire, noir sur blanc. Au lieu de cela, voici la majorité municipale en situation délicate, si le tribunal suivait la voie conseillée par le rapporteur public. “Si vous retenez l’annulation du budget de la deuxième ville de France, les conséquences seraient un petit peu compliquées”, euphémise Jorge Mendes-Constante. Comme le souligne le rapporteur public, la collectivité n’a pourtant pas demandé au tribunal de délai pour s’organiser en cas d’annulation. Cette recommandation d’annulation “est une surprise”, avoue l’avocat, qui promet d’argumenter ce point dans une note écrite qu’il remettra ce jeudi 16 mars. “L’argent, il a été mis dans les services publics municipaux, dans les écoles. On ne l’a plus cet argent !”, tente-t-il déjà en direct.

L’imbroglio du remboursement

Avec cette probable annulation, la question des modalités d’exécution du jugement devient centrale. Plus que les considérations administratives de régularisation du budget 2022, c’est le volet hausse d’impôt qui suscite l’interrogation. La chambre syndicale des propriétaires des Bouches-du-Rhône admet n’être pas au fait des perspectives financières qui s’ouvrent. “Mais si cela se confirme nous informerons nos adhérents d’une possibilité de remboursement”, glisse Auguste Lafon, qui dit représenter “beaucoup de petits copropriétaires”.

“Si on nous demande de revoter, nous revoterons dans les formes et ça s’arrêtera là. Pierre Robin fait naître de faux espoirs chez les propriétaires”, écarte l’adjoint au maire Joël Canicave joint après l’audience par Marsactu. “Le remboursement, c’est une utopie”, soutient l’avocat de la municipalité.

Avec une nuance. Du point de vue formel du droit, à partir du moment où elle est annulée par la justice, la hausse est censée n’avoir jamais existé. Rien n’empêcherait donc un contribuable de demander à l’administration fiscale de revoir son impôt, dès le lendemain du jugement. Pour éviter à la Ville cette hypothétique ruée, le tribunal doit reporter l’exécution du jugement au 31 décembre 2023, délai nécessaire pour revoter. Jorge Mendes-Constante s’appuie sur l’exemple d’Angoulême, il y a une dizaine d’années, où le tribunal l’avait admis “à titre exceptionnel” face au risque d’“une situation juridique et financière particulièrement grave et manifestement excessive”. En tout état de cause, l’impact s’arrêterait à l’année 2022 puisque les taux ont été reconduits à l’identique en février 2023.

Un imbroglio devant lequel Pierre Robin reste de marbre. “Quand on dit dans l’hémicycle que je suis un guignol, qu’on refuse de me répondre, au bout du bout, je suis bien en droit de les mettre face à leurs manquements en saisissant le juge. Qu’ils assument les conséquences”, lance-t-il. Dans l’attente des arguments supplémentaires de la Ville, le tribunal n’exclut pas de poursuivre les échanges écrits avant de rendre sa décision, au plus tôt début avril.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    La mairie sort des arguments de voleur à la tire qui vient de se faire poisser: ” J’ai plus les sous, j’ai tout dépensé !” , ” j’avais faim, c’était pour manger ! “

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  2. Richard Mouren Richard Mouren

    Et un quart d’heure warholien pour l’élu Pierre Robin, un!

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  3. Assedix Assedix

    Bravo pour cet article très clair.

    La justice administrative est pleine de surprises, mais on voit mal comment 80 millions sur un budget à plus d’un milliard (me semble-t-il) pourraient entraîner une situation “particulièrement grave”…

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    • RML RML

      Eh bien cest 8%

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    • RML RML

      Non 0,8

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    • Assedix Assedix

      C’est bien 8% comme vous l’aviez calculé au départ, sans doute un tout petit peu moins (si le budget de la Ville tourne bien autour d’un milliard comme il me semble).
      Est-ce suffisant pour entraîner des conséquences graves et disproportionnées ?
      En revanche, je me dis que ce qui pourrait sauver la mairie c’est peut-être l’engorgement des services fonciers s’ils étaient incapables de gérer les remboursements, mais ce serait quand même la honte pour l’état.

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    • Assedix Assedix

      des services *fiscaux bien sûr

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  4. ALAIN B ALAIN B

    Avec 80 millions cela pourrait rénover nos écoles que cet élu de droite a laissé à l’abandon

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Pierre Robin est incontestablement un élu qui sait compter, et il faut le souligner car c’est rare dans la droite locale. Mais il est dommage qu’il n’ait pas fait profiter de sa science Gaudin et son gang, qui ont rénové deux fois en quinze ans le stade Vélodrome, à grands coups de centaines de millions d’euros, pendant que le reste de la ville partait en déshérence.

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  5. Peuchere Peuchere

    Bravo à Pierre Robin pour son travail attentif. Ses interventions en conseil municipal sont toujours argumentées et bien construites. Comme le faisait un certain Benoit Payan quand il était dans l’opposition.
    Enfin un espoir à droite et au centre dans le desert actuel ?

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  6. Marc13016 Marc13016

    Et que va-t-il en faire M. Robin, de ses 200€, si on lui restitue ? Quelque chose me dit qu’il n’en a pas besoin pour vivre, lui.
    Des “petits propriétaires” peut être ? Je serais curieux de connaitre le panel des 238 qui ont porté plainte … On pourrait avoir des surprises sur leur train de vie.
    C’est pour le principe peut être ? Je crains fort que ça soit plutôt pour faire le beau parleur dans un hémicycle. C’est le même qui va déplorer l’usage excessif des amendements à l’assemblée nationale, et qui exploite les étroitesses du droit administratif pour bloquer la vie d’une commune. Dans la dernière ville du plus profond département rural, je suis sûr qu’on est plus respectueux de la Vie républicaine que lui dans la 2ème Ville de la 5ème puissance économique du monde …

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  7. letropezien letropezien

    merci mr robin.

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  8. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    Pierre Robin a bien caché son jeu. Derrière son air de premier de la classe de catéchisme et son charisme de premier communiant, manipulant en plein conseil municipal de gros graphiques prouvant je-ne-sais-quoi, il a réussi un coup de maître qui cloue au pilori Vassal, LRP, Pila, Boyer et consort.
    Quel dommage qu’il soit si jeune : il aurait pu conseiller la Gaudinie en son temps et éviter la gabegie des deux derniers mandats.
    Grâce à Pierre Robin la promesse électorale du Printemps Marseillais sera tenue : pas d’augmentation d’impôts. Quant aux têtes pensantes du PM, Canicave le premier, ils vont obtenir ce dont ils rêvaient quand ils étaient dans l’opposition : une mise sous tutelle de l’Etat.

    La droite a obtenu le respect d’un engagement de campagne de la gauche. La gauche obtient ce dont elle rêvait quand la ville était à droite.

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    • Assedix Assedix

      😀

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  9. MM13 MM13

    Un élu de la majorité a déclaré : “Le remboursement est tout simplement impossible, personne ne sait faire ça. La Direction générale des finances publiques devrait recruter 200 personnes pour faire une chose pareille. Ce serait tellement inédit que ça mettrait les collectivités à genoux, personne n’oserait prendre une telle décision. Le rapporteur public parle de délais pour rectifier, ça ne va pas plus loin. Peut-être même que pour une fois, l’avis du rapporteur public ne sera pas suivi par le tribunal”.

    Il n’est pas nécessaire de rembourser. Si la ville est condamnée il suffirait de considérer que l’impôt prélevé en trop est un crédit pour 2023 et les contribuables n’auraient rien à payer pour cette année.

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    • Assedix Assedix

      Un élu de la majorité a dit n’importe quoi, alors !
      (Pour info, le centre des impôts fonciers de Marseille compte à la louche une quarantaine d’agents, pour donner une idée des réalités. Et des remboursements, ils en traitent tous les jours)

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  10. Forza Forza

    Le même avocat que Jibrayel ? Celui qui le défend en disant que “C’est comme ça qu’on fait de la politique localement. C’est comme ça, on peut tous le regretter mais la loi le permet.” La Ville est définitivement mal barrée (oups !) dans cette affaire, surtout si sur ce coup là, la loi ne le permet pas.

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