Frais-Vallon, la grande cité oubliée de la rénovation urbaine
Frais-Vallon et La Rose, énorme pan des quartiers Nord, devaient faire l'objet d'un projet de rénovation validé en février dernier. Ils n'obtiennent finalement qu'une toute petite enveloppe de 33 millions d'euros dont 18 pour Frais-Vallon. Les associations du secteur se sentent floués, mais la stratégie "petit bras" était déjà entérinée.
Frais Vallon est une des rares cités adossées à un immense coin de nature préservé. (Photo : BG)
L’épicier a poussé ses cageots à la sortie du métro. “Comment tu vas ?” On se salue de loin. En ce mercredi encore frisquet, les familles vont et viennent à pas rapides entre les tours et les barres de Frais-Vallon (13e). Tout le monde se connaît dans cette petite ville de béton, coincée entre la rocade L2, la quatre voies de l’avenue Fleming et une colline verdoyante. Propriété d’Habitat Marseille Provence depuis les années 60, elle est un des symboles de cet urbanisme brutal qui a posé des milliers de familles au beau milieu des vestiges d’une campagne provençale. Ici, tout appartient au bailleur HMP, de la colline à l’avenue, en passant par les 14 bâtiments et les espaces publics.
Frais-Vallon était la candidate idéale pour un projet de rénovation urbaine qui remettrait de la nature en ville, créerait des équipements et espaces communs plus conviviaux, diluant au passage la pauvreté vers d’autres quartiers. Mais la grande cité du 13e et ses voisines de La Rose sont les grandes oubliées du nouveau programme de rénovation urbaine. Marseille en grand ne passe par là. Ici, Marseille en riquiqui est sorti du chapeau.
33 millions d’euros contre 120 attendus
Tombée de la bouche de la ministre de la Ville, le 16 mars dernier, la somme a l’air colossale : 33 millions. Mais comparée aux 120 millions espérés, elle sonne comme un échec. Pourtant, La Rose et Frais-Vallon comptabilisent 3500 logements et aucun projet de rénovation financé par le national. Pire, sur ces 33 millions de l’agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), 25 millions étaient déjà fléchés pour des opérations enclenchées avant même la signature de la future convention : la démolition de 288 logements à la Bégude Nord et la disparition du bâtiment E de Frais-Vallon. Un énorme morceau de ville est donc passé à côté de “l’engagement historique” dont la Ville, la métropole et l’État se félicitaient.
Andrée Antolini tourne les pages d’un épais cahier où elle prend le temps de tout noter des inlassables réunions avec les acteurs de la rénovation urbaine, débutées en 2017. La directrice du centre social fait partie du collectif habitat et cadre de vie qui se pose en interlocuteur des pouvoirs publics depuis vingt ans.
Des associations réunies en collectif
“Sans être naïfs, nous y avons vu l’opportunité d’améliorer le cadre de vie des habitants, de porter leur parole”, énonce-t-elle. “Au départ, on ne savait pas s’il fallait être sur la défensive ou se projeter dans le projet, complète Ahmed Traoré, administrateur de l’association sportive Multipassions. Très vite, on s’est dit qu’il fallait ne rien s’interdire, que les habitants le méritaient.” Andrée Antolini cherche dans ses pages le tournant qui a précipité le projet dans cette impasse, sans le trouver.
Ensemble, ils ont participé au comité national d’engagement de l’ANRU le 2 février 2022, en tant que représentants du conseil citoyen. “Je me souviens avoir répété au moins trois fois que les habitants et le quartier avaient besoin de cet argent”, se souvient Fatiha Ziani, la représentante du CLCV, membre du collectif. Ils ont aussi dit leurs inquiétudes sur les démolitions, le relogement des habitants, l’emplacement des locaux associatifs et les équipements attendus… Les membres du collectif sont tombés de haut en entendant le montant arrêté par l’ANRU, divulgué par la presse. Depuis, personne n’a été en capacité d’en dire plus sur l’avenir du projet.
Dix-huit petits millions pour Frais-Vallon
Selon nos informations, sur les 33 millions accordés par l’ANRU pour cette zone du 13e arrondissement, 18 millions seraient fléchés sur Frais-Vallon. 10 millions iraient directement sur l’habitat et le reste serait ventilé vers les équipements : médiathèque, école, piscine… La Ville a tenté d’obtenir le maximum pour l’aider à financer ces structures qui manquent tant à Marseille.
Sur la Rose et Frais-Vallon, les opérations portées par la Ville prévoyaient 47 millions d’investissements dont 30 devaient être financés par des subventions de l’agence. Dans la cité d’HMP, trois millions devait faire naître un parc de la colline, quatre pour le nouveau centre social, autant pour la piscine réhabilitée comme l’ensemble des écoles du quartier. Si le curseur reste le même entre les équipements et le bâti, il faudra donc trancher entre ces projets.
Une lecture à laquelle ne veut pas se résoudre Samia Ghali.“Ces 33 millions cela ne veut rien dire, affirme l’adjointe au maire en charge de la rénovation urbaine (DVG). Il faudra attendre la venue de la directrice générale de l’ANRU après les élections présidentielles pour connaître la ventilation générale des subventions.” Mais la logique de renouvellement portée par l’agence ne repose pas sur les seuls équipements mais sur la capacité collective à remodeler un quartier, en passant en premier lieu par l’action sur l’habitat.
Une cité sans élu
Il ne faut pas pousser beaucoup pour que Samia Ghali passe à l’offensive. Pour elle comme pour les autres élus de la Ville, le projet a capoté à cause du bailleur. “Il n’a pas présenté le projet qui avait été validé depuis quatre ans avec les associations. L’ANRU nous a dit « dans ces conditions, on donne zéro ». Il a fallu qu’on se batte pour garder les financements pour les écoles, le centre social, les équipements sportifs“.
Le portage politique y est pour beaucoup. En regardant l’enveloppe accordée, les cités installées dans les 15/16 où Samia Ghali est implantée depuis plusieurs décennies concentrent l’essentiel des subventions promises : 117 millions pour la Castellane/Bricarde, 48 pour Kallisté et la Solidarité, 35 à la Savine, sans compter les 50 millions supplémentaires réservés pour La Cabucelle, les Crottes et Campagne-Lévêque. A contrario, cette partie du 13e n’est un territoire politique pour personne. Elle a été le fief de Lucien Weygand, depuis longtemps retraité. Personne n’a vraiment pris sa suite pour défendre ces quartiers.
En conseil d’arrondissements des 13/14, ce mardi, le vice-président du conseil de territoire en charge de la rénovation urbaine Denis Rossi (DVD) a chargé à son tour HMP : “L’ANRU a jugé insuffisant l’engagement du logeur et il faudra qu’il revoie sa copie. Ville et métropole n’ont pas abandonné le quartier et notre idée est de refaire passer ce projet lors d’un prochain comité d’engagement en juin”. Sauf que l’ANRU n’a prévu qu’une enveloppe de 50 millions pour ce comité, pour lequel les sujets sont déjà nombreux.
Une sortie par ailleurs surprenante, car contrairement à d’autres offices HLM sans lien avec une collectivité, HMP est le bailleur de la métropole, après avoir été celui de la Ville pendant quelques décennies. Les élus marseillais n’ont pas beaucoup poussé pour défendre le projet d’HMP, et ce dernier n’a pas non plus été relayé par les élus métropolitains présents. Le vice-président au logement, David Ytier (LR) était là pour porter le dossier du centre-ville. Quant à Denis Rossi, élu de ces quartiers, il était resté à Marseille, suivant la réunion en visio “au côté des associations”. Le directeur général d’HMP, Christian Gil, reconnaît s’être senti “bien seul” au moment de son grand oral.
Une version “petit bras” validée par l’État
“C’est mieux que zéro, se défend-il avec un peu de provocation, avant de reconnaître l’échec. Cela n’a rien de satisfaisant. Démolir 191 logements, faire tomber une barre, en raboter une autre pour mieux voir la colline, reprendre les aménagements autour de l’école, ça n’est pas de la rénovation urbaine, c’est du bricolage”. Un “bricolage” qui avait été par ailleurs validé par l’État et la métropole. En effet, le 7 janvier, le préfet et le président d’HMP, ont signé un projet de convention d’utilité sociale qui détermine notamment le plan stratégique patrimonial d’HMP. Les deux partenaires ont validé sans barguigner ce cénario “petit bras”.
Il y est question, d’une “variante” où le projet est “allégé en démolition”, 191 contre 413. Tant pis pour le projet global discuté avec les habitants durant de longues années et mis sur pied avec le cabinet d’architecture Urban act et les services métropolitains de rénovation urbaine.
L’espoir d’une revoyure
Contrairement à d’autres sites comme Air Bel ou la Castellane, celui de Frais-Vallon n’offre que peu de possibilité de programmes neufs, portés par Action logement et permettant de répondre aux objectifs de mixité sociale. La cité elle-même n’offre pas la densité importante d’autres sites des quartiers Nord qui rendrait plus impérative l’intervention massive des pouvoirs publics. Tant pis si elle n’a pas connu de véritable projet depuis la dernière démolition en 1992.
Une réunion prochaine est prévue avec les services de la rénovation urbaine de la métropole pour voir “s’il est possible d’insister auprès de l’ANRU” ou s’il faut miser sur la clause de revoyure, fixée à 2024. Contactée, la métropole fait la même réponse sibylline. “La métropole et la Ville de Marseille sont dans l’attente, de la part de l’ANRU, pour ce projet comme pour les autres, de la répartition de l’enveloppe financière allouée entre les différentes opérations du projet, lit-on dans un mail transmis en réponse à nos sollicitations. Sur la base de ces informations, des échanges politiques et techniques devront avoir lieu entre les deux institutions afin de déterminer les modalités de la poursuite du projet.” Ne rien faire à Frais-Vallon est donc encore une option.
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