Fonds de dotation culturels : où vont les millions des entreprises ?

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le 1 Sep 2014
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Fonds de dotation culturels : où vont les millions des entreprises ?
Fonds de dotation culturels : où vont les millions des entreprises ?

Fonds de dotation culturels : où vont les millions des entreprises ?

La soirée d'ouverture de Marseille-Provence 2013, la rénovation du château Borély, la tour Panorama, les animation pour minots du Pavillon M… Voici quelques exemples d'événements et de travaux réglés en partie par des mécènes privés, via les fonds de dotation Patrimoine et Art contemporain créés par la mairie. À côté de l'association Marseille-Provence 2013 – qui a elle-même levé 15 millions d'euros d'argent privé – pour la programmation culturelle, la Ville a elle aussi fait appel à l'argent des entreprises. Selon les comptes annuels publiés au journal officiel, 9,4 millions d'euros ont ainsi été récoltés depuis 2011. Il s'agissait surtout d'alléger la facture des lourds investissements engagés pour la capitale européenne de la culture. Seules quelques opérations, comme la restauration encore en cours de l'hôpital Caroline du Frioul, n'ont pas de lien direct avec l'événement.

Les fonds de dotation étaient cependant tous deux sous-titrés 2013-2020. Survivront-ils à Marseille-Provence 2013 ? "Je pense qu'on va le maintenir, c'est en tout cas le souhait de tout le monde", avance Bernard Jacquier, président des deux fonds et conseiller communautaire UMP. Adjointe au maire à la culture, Anne-Marie d'Estienne d'Orves abonde : "Les chiffres sont remarquables, bien sûr qu'il faut continuer". En ces temps d'économies budgétaires, le financement de la culture ne fait pas débat. Bernard Jacquier nuance cependant d'emblée : "On n'espère pas recueillir autant de fonds que pour Marseille-Provence 2013, mais on a encore de belles opérations à faire."

Le carnet d'adresses de Guy Philip

Lorsqu'on lui demande si elle va vendre ses projets auprès de mécènes potentiels, Anne-Marie d'Estienne d'Orves tient à cloisonner son rôle : "Je suis adjointe aux affaires culturelles, je « vends » les projets de la ville, mais d'une autre façon. Je ne vais pas chez les chefs d'entreprise, c'est un travail qui n'est pas le mien. Mais je peux soutenir Bernard Jacquier en lui donnant de belles choses à présenter." Ce dernier se montre tout aussi soucieux de "ne pas mélanger les genres. Il ne faut pas qu'un adjoint au maire demande des fonds privés". D'autant plus que les mécènes attirés vivent principalement de marchés publics conclus pour certains avec la Ville ? "C'est cela, il faut éviter qu'il y ait des soupçons de confusion." Pour sa part, en tant que "simple" conseiller des 6e et 8e arrondissements, l'avocat estime pouvoir y échapper.

Les apparences sont sauves même si l'on peut s'interroger sur les motivations uniquement philanthropiques des donateurs. L'an dernier, en pleine négociation des contrats de l'eau à 3 milliards de Marseille Provence métropole, Suez et la Société des eaux de Marseille, délégataires sortants reconduits, ont versé respectivement 2 millions pour le palais Longchamp et 3 millions d'euros pour le musée d'histoire. La SEM avait ensuite introduit cette obole comme dépense de la délégation de service publique imputant donc de fait son "don" aux usagers du service de l'eau. Deux tiers du montant versé étaient déductibles en fin d'année des impôts.

Depuis 2011, Bernard Jacquier s'est surtout appuyé sur l'ancien directeur de la communication de Jean-Claude Gaudin – par ailleurs passé par le groupe de presse Hersant : "J'ai été merveilleusement aidé par Guy Philip, qui avait un carnet d'adresses non négligeable", souffle Bernard Jacquier. Missionné avec sa société GP Conseil, le communicant "était l'exemple du bon intermédiaire, ni élu ni fonctionnaire municipal". Il ne cache pas que son décès fin 2013 le laisse orphelin et risque de freiner les fonds de dotation. "Je suis en recherche de quelqu'un comme lui."

Les gros vont-ils revenir ?

Il faut cependant noter le profil particulier des mécènes attirés jusqu'à présents, en grande majorité des très grands groupes comme Bouygues, Vinci, Eiffage, Suez, EDF. Leur contribution a été en conséquence – en général plusieurs centaines de milliers d'euros – et on les imagine mal la renouveler régulièrement. "Ils peuvent très bien revenir si les choix qu'on leur présente sont intéressants", veut croire Anne-Marie d'Estienne d'Orves.

Conseiller du président Pfister à la chambre de commerce et d'industrie, Laurent Carenzo ne croit pas au risque d'essoufflement des entreprises du territoire : "Psychologiquement non. La limite, ça peut être la crise qui se poursuit." Il s'agit cependant d'acteurs différents, qui ont davantage été captés par l'association Marseille-Provence 2013.

Ces entreprises locales pourraient poursuivre leurs efforts de mécénat via les fonds de dotation de la Ville. Interrogé par Marsactu en 2012 sur leur pérennisation, Nicolas Barthes, à l'époque secrétaire général de l'UPE 13, appelait déjà à "mobiliser les petites entreprises sur des projets plus modestes mais plus en adéquation avec leurs moyens financiers". Réponse de Bernard Jacquier : "C'est un sujet que l'on n'a pas encore abordé, il le faudra. Mais c'est plus facile pour nous de chercher quelques grosses rentrées plutôt que de multiplier les petites."

La recette de Laurent Carenzo pour les convaincre s'inscrit hors du cadre des fonds de dotation : "Il faut les mêmes ingrédients que MP2013. Un événement sur tout le territoire, à forte participation populaire, avec une exigence culturelle et un rayonnement international. Aujourd'hui, il n'y a pas d'événement qui catalyse les choses comme MP2013 l'a fait. C'est pour cela que Jacques Pfister a souhaité créer le Perle pour lui donner une suite. À partir de là on pourra avoir une démarche collective des entreprises." Une manière – peut-être involontaire – de dessiner les limites de l'offre de la mairie de Marseille qui aura du mal à attirer des sommes vertigineuses sur ses seuls projets et sans l'élan collectif de la capitale culturelle.

 

 

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Commentaires

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  1. Laga Chon Laga Chon

    Quand une entreprise donne 1 million à la ville, elle déduit 600 000€ de son impôt versé… à l’Etat, c’est ça ?
    A l’inverse, il est peu probable que 600 000€ de dotations arrive de l’Etat à Marseille pour 1 million payé en impôts par une entreprise.
    Dans quelle mesure ce genre de pratiques contribuent-t-elles à décentraliser la fiscalité en faveur des métropoles ?

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  2. Anonyme Anonyme

    Donnez moi votre montre je vous donnerez l’heure

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  3. Anonyme Anonyme

    L’histoire des procès passés de marchés publics truqués montre que selon toute vraisemblance, les collectivités devraient aujourd’hui payer entre 10 et 20 % moins cher ce qu’elles paient aux grands groupes, qui soit s’entendent lors d’appels d’offres, soit reversent une partie des bénéfices à des structures alliées aux politiques.
    Lorsque ces mêmes entreprises donnent en mécènes pour la culture, ces sommes là ne représentent que des chiures des bénéfices exorbitants réalisés par ces grands groupes sur le dos du contribuable, qui en plus serait tenu de leur dire à genoux “ô merci ô bienfaiteurs !”

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  4. Anonyme Anonyme

    orthographe : “marsactu s’est plongé dans les comptes de CES structures” non ?

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  5. hommedesbois hommedesbois

    Les motivations philanthropiques ne font pas partie du quotidien de ces investisseurs, seuls comptent les prochains marchés à décrocher et les prochains chantiers à réaliser en échange de quelque menue monnaie payée par le contribuable.
    Cela s’appelle un retour sur investissement ou un renvoi d’ascenseur, sans parler des avantages financiers que ces donations génèrent, avantages qui sont aussi financés par le contribuable.
    Non vraiment, la philanthropie n’a pas encore fait son entrée dans le monde des affaires surtout dans les grandes boîtes comme Edf, Casino, Suez, Total Bouygues, etc.

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