Fibre Excellence sécurise son avenir sans regagner la confiance des salariés et riverains

Actualité
le 23 Juil 2021
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Ce jeudi 22 juillet, le tribunal de commerce de Toulouse a validé l'offre de reprise de l'usine de pâte à papier de Tarascon après 10 mois de redressement judiciaire. Malgré les promesses d'investissements environnementaux et industriels, salariés et riverains ne sont toujours pas rassurés.

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L'usine de pâte à papier Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

L'usine de pâte à papier Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

Après 10 mois marqués par un conflit social, un redressement judiciaire et un jugement en correctionnelle pour pollution, tous les feux passent au vert pour la continuité de l’activité de l’usine de pâte à Papier Fibre Excellence Tarascon. Le tribunal de commerce de Toulouse a validé ce jeudi 22 juillet l’offre de reprise de l’actionnaire actuel, seul repreneur déclaré depuis l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire en octobre 2020. “Je salue cette décision qui marque un nouveau départ pour l’usine de Tarascon. L’usine dispose à présent de tous les moyens nécessaires pour assurer son avenir dans de bonnes conditions, se moderniser et aller ainsi vers les meilleurs standards environnementaux et industriels”, se réjouit, Jean-François Guillot le président canadien de Fibre Excellence dans un communiqué.

Le groupe, propriété par un jeu de filiales de l’homme d’affaire indonésien Jackson Widjdadja, met les formes en communicant sur une offre d’investissement portée à 180 millions d’euros. Doit-on y voir la fin des polémiques concernant cette usine sensible, tant sur les questions sociales qu’environnementales ? Le syndicat FO du site en doute, tout comme les associations de riverains qui dénoncent les pollutions de l’eau du Rhône et de l’atmosphère. Par communiqué, le ministre de l’Économie s’est quant à lui félicité de la nouvelle tout en rappelant “l’amélioration nécessaire de l’impact environnemental” de l’usine.

Promesses environnementales

Parce qu’il représente près de 300 emplois directs et des milliers induits dans la filière bois, le site industriel a été fortement soutenu par le ministère de l’Économie au cours des derniers mois. 8,6 millions d’euros de prêt ont été accordés pour assurer le fonctionnement de l’usine durant la période d’observation. Un accord visant à réduire la masse salariale – et les salaires à hauteur de 5% selon la direction – a été signé par les syndicats CFDT et CGT à la mi-avril. Il est dénoncé par le syndicat FO comme un “accord de destruction”. L’actionnaire conditionnait aussi le maintien de son offre de reprise à l’obtention d’autres aides, comprenant en particulier un soutien public sous la forme de prêts pour les investissements à venir et une ristourne supplémentaire de la redevance sur l’eau.

“Pour la réduction de la taxe sur l’eau, c’est une autre solution qui a été trouvée”, précise-t-on finalement du côté de Fibre Excellence, “ce sont surtout les émissions d’AOX, résidus de produits chimiques chlorés pour blanchir la pâte, qui faisaient s’envoler la taxe sur l’eau. Or depuis le début de l’année, nous produisons exclusivement de la pâte écrue, qui ne nécessite pas de blanchiment”. Résultat, la redevance sur l’eau est en baisse. Pour l’heure le marché de cette pâte non blanchie qui sert à la production d’emballages cartons et papiers est porteur. Mais à l’avenir, l’usine de Tarascon pourrait à nouveau produire de la pâte blanche. Elle envisage de mettre en place d’ici à quatre ans une installation permettant de “diminuer très fortement l’usage de produits chimiques”, indique le communiqué.

Des riverains toujours inquiets

Pour un autre projet, l’industriel a obtenu l’engagement de la caisse des dépôts et consignation pour un prêt de 20 millions d’euros. Il s’agit de la turbine à biomasse, présentée comme une unité de production “d’électricité verte” valorisant “les sous-produits de la production de pâte à papier, dans une logique d’économie circulaire”. Elle aurait déjà dû être réalisée depuis trois ans selon le contrat signé avec le ministère de la Transition écologique qui lui permet de bénéficier d’un tarif préférentiel de rachat de l’électricité.

Afin de répondre à la discorde avec les riverains, Fibre Excellence promet des aménagements pour réduire les émanations soufrées ainsi qu’une “amélioration de la qualité de l’eau avec la mise en place d’une filtration améliorée.”

Depuis plus d’un an il n’y a plus de comité de suivi de site. On n’a plus aucune info.

Philippe Chansigaud, ADER

Des déclarations qui ne sont pas de nature à rassurer les associations. “Il y a des choses annoncées pour l’environnement, mais ça reste vague, on ne sait pas précisément ce qu’ils mettent dessous”, considère Claire Simonin de l’association des Flamants Roses du Trébon. “Depuis plus d’un an il n’y a plus de comité de suivi de site. On n’a plus aucune info. Le dossier est totalement géré en interne par les services de l’État. L’industriel a à nouveau mis au pas les services de l’État”, s’agace Philippe Chansigaud de l’association pour la défense de l’environnement rural (ADER).

Un outil industriel en bout de course

Deux incidents récents ont à nouveau échaudé les responsables associatifs. Le 7 mai, une fuite d’eau a provoqué la mise en arrêt d’urgence inédite de l’usine, comme l’a raconté La Provence. Selon plusieurs sources internes à l’usine, l’accident majeur n’était pas loin. Un ouvrier nous donne des explications :

“De l’eau à 200°C sous pression circule dans les tuyaux qui traversent la chaudière. Si une quantité suffisante se retrouve en contact avec le sodium en fusion, appelé salin, à l’intérieur de la chaudière, alors c’est une explosion qui détruit l’usine et ses alentours qui peut se produire.”

“C’était un déclenchement du système de sécurité, ce n’était pas un accident, commente-t-on du côté de la direction. Un grand arrêt de maintenance est prévu d’ici à la fin de l’année”, assure-t-on. Début juillet, d’autres fuites se sont déclarées sur les tuyaux à l’extérieur de la chaudière, occasionnant un fonctionnement au ralenti de l’usine. “Chaque redémarrage des installations se fait à grand renfort de fioul lourd avec ses panaches noirs”, soupire Claire Simonin.

La riveraine s’inquiète du départ en nombre d’ouvriers qui ont l’expérience du site, ne souhaitant pas signer l’avenant à leur contrat de travail prévu dans le cadre de la reprise. “Ce sont ceux qui savent bricoler cette usine qui s’en vont”, craint-elle. FO évalue à 90 le nombre de départs de cette manière, qui pourraient être remplacés par des personnes moins formées. À cause du rabotage de leurs conditions salariales et d’un climat délétère dans l’entreprise, “les gars qui restent sont démotivés et cherchent ailleurs”, ajoute un syndicaliste.

Fibre Excellence aura fort à faire pour regagner la confiance des salariés et des riverains. Une décennie d’accumulation d’arrêtés préfectoraux de mise en demeure l’a déjà sérieusement érodé. Et jusqu’à présent, les promesses de l’industriel n’ont jamais été réalisées dans les délais annoncés.

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