Face à des jeunes au chômage, les carrefours de l’entrepreunariat encore en rodage

Décryptage
le 26 Juin 2023
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Depuis presque un an et demi, les carrefours de l'entrepreneuriat doivent aider les jeunes Marseillais qui veulent lancer leur propre entreprise. Mais ce volet "emploi" du plan Marseille en Grand peine à atteindre ses objectifs chiffrés.

Un atelier organisé au sein de TransfOrama, à la Friche, le 22 juin. Photo : RB
Un atelier organisé au sein de TransfOrama, à la Friche, le 22 juin. Photo : RB

Un atelier organisé au sein de TransfOrama, à la Friche, le 22 juin. Photo : RB

Je ne sais pas où ils sont.” Au 1, rue Saint-Sébastien, à deux pas de la place Castellane (6e), l’ambiance est très calme en cette fin de matinée. L’agent de sécurité peine à trouver les personnes chargées d’animer « Instinct Biz’ » — c’est le nom du lieu. La faute à une réunion, nous expliquera-t-on, alors que Marsactu tentait une visite à l’improviste au sein de ces locaux estampillés chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille métropole (CCIAMP). Cet espace né il y a un peu plus d’un an est l’un des carrefours de l’entrepreneuriat voulus par Emmanuel Macron. Derrière cette formulation obscure, il ne s’agit ni plus ni moins que de la forme concrète du volet emploi du plan Marseille en Grand.

Lors du discours du Pharo, le chef de l’État annonçait un dispositif pour “simplifier l’accès à ces offres pour la formation, l’alternance, l’apprentissage ou l’entrepreneuriat pour nous jeunes. (…)“. Friand d’auto-entrepreneuriat, le locataire de l’Elysée décrivait alors “des grands lieux dédiés où les jeunes qui ont des projets seront gratuitement formés, conseillés, mentorés par des dirigeants d’entreprises, des associations et accompagnés par des services publics“. Aujourd’hui, la plupart des carrefours viennent de fêter leur premier anniversaire.

Comme pour les autres volets du plan, il fallait aller vite, avec une annonce en septembre 2021, un appel à projet en décembre puis les désignations en février 2022 de cinq carrefours, au lieu des trois prévus : Instinct Biz’, Le Spot, le Carburateur, Transforama et un mobile avec le Bus de l’entrepreneuriat, voulu par la mairie. Une façon de quadriller la ville. Comme souvent dans le monde de l’accompagnement entrepreneurial, une myriade d’acteurs déjà présents à Marseille gravite autour de ce type de structures. Ce sont des consortiums qui ont remporté les appels à projets mais chaque lieu à un porteur identifié. (voir infographie).

Le dispositif fonctionne sur trois étages. Il y a les carrefours qui organisent des ateliers et doivent orienter les jeunes vers les organismes qui peuvent au mieux les aider. Puis le capital jeune créateur qui est un parcours d’accompagnement spécifique. Enfin, une prime de 3000 euros prévue pour 1000 jeunes“, détaille Benjamin Coffin, responsable de Tranforama, l’un des carrefours basé à la Friche la Belle-de-Mai.

Des objectifs chiffrés trop élevés

Des étapes soutenues par une enveloppe de 15 millions d’euros. Le détail de la somme est encore flou, puisque 3,2 millions d’euros sont prévus pour les carrefours et 5,5 millions pour le capital jeune créateur. L’objectif, lui, est clair : accompagner 8000 jeunes en deux ans. Un seuil qui va être difficile à atteindre puisque seulement 2395 jeunes sont passés dans l’un des cinq carrefours en un an, selon les chiffres de la préfecture arrêtés fin mai. “On monte en puissance“, défend avec optimisme, Karim Driouche, élu référent d’Instinct Biz’ pour la CCIAMP. Lui pense que l’objectif sera atteint d’ici février.

Il y a un accompagnement renforcé qui est fait et qui donne totalement satisfaction.

Un représentant de l’Élysée

Pour le capital jeune créateur, les chiffres sont plus cohérents avec 1723 jeunes qui ont suivi ce parcours, ce qui est proche des 2 500 attendus d’ici la fin de l’année. Après un peu plus d’un an, 524 entreprises ont été créées et 800 vont l’être dans les prochains mois. “La formule a bien pris et il y a un accompagnement renforcé qui est fait et qui donne totalement satisfaction”, défend l’Élysée.

La cadence s’accélèrera peut-être puisque certains acteurs ont eu du mal à démarrer, à l’image du Bus de l’entrepreneuriat qui n’a toujours pas défini son calendrier. La Banque publique d’investissement a également lancé son propre appel à projet en fin d’année pour inclure des nouveaux opérateurs. Du côté de la prime, seulement 281 ont été versées. Mais il est encore un peu tôt pour tirer un bilan puisqu’elles ne sont attribuées qu’une fois que l’entreprise est créée donc plutôt en fin de parcours.

La difficile sélection du public

Au sein des carrefours, le profil des participants est plus difficile à déterminer. L’appel à projet imposait un taux de 40 % de publics dits “fragiles”, c’est-à-dire soit résidant en quartier prioritaire de la Ville, soit touchant les minima sociaux, soit avec un niveau de diplôme infra-bac. Il fallait également vivre à Marseille, ne pas avoir créé une société il y a plus de six mois et avoir moins de 30 ans. Sur le terrain, le tri est plus compliqué. Tous disent “accueillir tout le monde”. Au Carburateur, la directrice Muriel Bernard-Reymond reconnaît d’ailleurs “ne pas aimer proposer des ateliers réservés au moins de 30 ans“. Le paradoxe étant que beaucoup de structures qui participent ou gravitent autour des carrefours existaient déjà avant et recevaient tous les publics. Elles continuent donc mais ceux qui ne sont pas dans les critères définis par l’État ne sont pas comptabilisés dans ce suivi.

Les personnes qui viennent se seraient lancées dans l’entrepreneuriat quoi qu’il arrive, nous voulons leur dire que tout le monde peut le faire mais qu’il faut être vigilant.

Benjamin Coffin, Transforama

Avec ses données, la préfecture assure être largement au-dessus des attentes avec 60 % de publics fragiles “au global” touché via ce dispositif. C’est le cas d’Aïssatou, Mohammed et Saïdou, les trois seuls à être venus ce jeudi après-midi à un atelier proposé par Transforama. Tous veulent lancer leur boîte, ils y voient la possibilité d’être autonomes. Le thème du jour est assez généraliste : “Dans les bottes d’un entrepreneur”. Le but est de montrer le travail et les étapes que ce statut nécessite. “Je ne me rendais pas compte que ce serait aussi long“, reconnaît Aïssatou, 21 ans, qui veut se lancer dans la conception-rédaction, une branche spécifique du marketing. “Je n’en suis qu’au début de mon projet, je cherche des informations à droite à gauche“, confie-t-elle. En fin de séance, elle dira vouloir revenir sur des ateliers plus spécifiques, comme la réalisation d’étude de marché ou le choix des statuts juridiques.

C’est Pôle emploi qui lui a conseillé de venir. L’établissement est l’un des principaux prescripteurs assurent les gestionnaires de carrefours, qui expliquent s’appuyer sur “les acteurs sociaux” pour attirer du public. “Les personnes qui viennent se seraient lancées dans l’entrepreneuriat quoi qu’il arrive, nous voulons leur dire que tout le monde peut le faire mais qu’il faut être vigilant. Nous ne poussons pas à entreprendre, ce n’est pas une solution miracle”, nuance Benjamin Coffin. En clair, le problème du chômage à Marseille ne se règlera pas avec l’entrepreneuriat.

Parcours sprint

Au-delà des chiffres, au sein de certains carrefours on déplore à demi-mots que le “parcours” proposé aux usagers ait tout d’un sprint. La faute à une formation accélérée pour répondre à des objectifs qualifiés de “trop élevés” au détriment d’un accompagnement qualitatif, juge un membre d’un carrefour sous couvert d’anonymat. La durée de vie des entreprises interroge aussi. Le statut d’auto-entrepreneur, très en vogue dans la création d’entreprise, a de quoi pousser à la prudence. Les données de l’Insee montrent qu’à l’échelle nationale, environ un tiers seulement des immatriculés continuent leur activité au bout de cinq ans. Une précarité encore plus forte chez les moins de 30 ans.

Aujourd’hui, nous n’avons pas de recul mais les chiffres montrent qu’une entreprise accompagnée a une meilleure pérennité”, soutient Benjamin Coffin. À notre connaissance, il n’y a pas d’étude précise sur cet impact à ce stade, mais les différents organismes d’accompagnement avancent régulièrement des taux de pérennité spectaculaire pour les entreprises qui se lancent avec leur appui. De son côté, l’Insee souligne que de manière générale “les moyens financiers mis en œuvre, l’octroi d’un prêt bancaire ainsi que l’accompagnement professionnel favorisent la survie des entreprises“.

Ce dispositif a permis de mettre le paquet notamment dans le suivi“, s’enthousiasme en tout cas Muriel Bernard-Reymond. Tous les organismes qui portent directement le projet ont pu recruter, entre deux à presque dix personnes. Karim Driouche espère que les financements continueront après l’expérimentation : “Poursuivre un accompagnement dans de tels volumes sans ces financements sera très compliqué“. La dernière offre d’emploi de Transforama précise d’ailleurs que l’évolution du poste dépend de “l’obtention de financements pour la pérennisation de Transforama après février 2024”. Là aussi, la pérennité est l’enjeu.

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