Eric Serre, pompier grimpeur, brisé par des années de harcèlement en caserne

Enquête
le 19 Mar 2018
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Pompier volontaire depuis 20 ans, Éric Serre a subi un grave accident sur la falaise de Cap Canaille en 2014. Déclaré apte, il ne peut réintégrer le centre de secours d'Allauch où il servait jusque-là. Pourtant les harceleurs contre qui il a porté plainte continuent d'y exercer sans être inquiétés.

Eric Serre, pompier grimpeur, brisé par des années de harcèlement en caserne
Eric Serre, pompier grimpeur, brisé par des années de harcèlement en caserne

Eric Serre, pompier grimpeur, brisé par des années de harcèlement en caserne

Éric Serre est un homme brisé. Au sens propre. Le bas de sa colonne flotte en morceaux distincts. Encore aujourd’hui, la position assise lui est difficile. Il continue de souffrir, serre les dents. Parce qu’il se fait un honneur d’être debout, d’être apte au travail, il n’en dit rien. Ce courage, cette détermination un peu folle lui a permis de reprendre le chemin de la montagne, d’y accompagner les minots du collège Ruissatel où il enseigne l’EPS.

Éric Serre est debout mais il a le sentiment que son honneur est bafoué. En plus d’être enseignant et passionné d’escalade, il est pompier depuis 20 ans. Un pompier volontaire comme il y en a près de 4000 dans le département, qui donnent du temps contre une maigre rétribution.

Depuis 1998, il fait partie du groupe de recherche et d’intervention en milieu périlleux, le Grimp 13, composé de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, tous spécialistes de l’escalade. Il alterne les missions à la caserne d’Allauch sur les incendies et secours et comme chef d’unité et conseiller technique du Grimp.

La chute

Le 25 janvier 2014 Éric Serre participe à une manœuvre sur la falaise de Cap Canaille, à Cassis. Il chute de 15 mètres au bas d’un mur et se retrouve le dos brisé, avec un traumatisme crânien et de multiples fractures. Cet accident professionnel est dû à la fatalité : le choix d’une voie plutôt qu’une autre, une prise qui lâche en poussière sous les doigts, une corde qui fait sauter un mousqueton. La suite est un enfer : 21 mois, d’hôpitaux en centres de rééducation, de béquilles, de lits médicalisés à domicile, de souffrance sans fin. Vingt et un mois à lutter. Vingt et un mois à ruminer le chemin de vie qui l’a amené là.

Si Éric Serre est tombé en pompier, il ne peut plus l’être comme il le voudrait aujourd’hui. Alors qu’il souhaite rejoindre le centre de secours d’Allauch et son Grimp, le colonel Allione, directeur du SDIS 13, a souhaité qu’il rejoigne plutôt celui des Pennes-Mirabeau. “Il est encore trop tôt pour envisager une reprise au sein du centre de secours d’Allauch ou au sein du groupement Sud, dans lesquels il existe des réticences à votre incorporation dans les équipes”, écrit le directeur dans un courrier de novembre 2017.

Avis défavorable

Aujourd’hui encore, Grégory Allione assume cette décision. “Éric Serre conteste cette décision devant la justice administrative. C’est son droit. Je le connais, je l’apprécie. J’ai même de l’affection pour lui comme j’en ai pour les 6000 hommes qui servent au sein du SDIS. Je l’ai mis en poste. Je fais tout pour le protéger et protéger toutes mes unités. La difficulté que j’ai aujourd’hui est que le centre de secours d’Allauch fonctionne. Le comité de centre a donné un avis défavorable à la réintégration d’Éric Serre. C’est mon rôle d’essayer de trouver un fonctionnement qui convienne à tout le monde.”

Pourtant, depuis le 1er juin 2016, la médecine a déclaré Éric Serre apte à reprendre le service, y compris au sein du Grimp. Cela tient même du miracle salué dans un courrier par le colonel Grégory Allione. L’expertise psychiatrique demandée par le médecin chef du SDIS 13 conclut ainsi favorablement à sa réintégration. Même s’il est tenu de passer une visite médicale tous les 180 jours. “C’est une situation normale après un tel accident, explique le docteur Robert Traversa. La fréquence des visites peut varier en fonction de l’âge, de la condition physique, des antécédents des agents”. En dépit de cette aptitude, le véto de la hiérarchie a pris le dessus : pas de retour à Allauch, pas de retour possible au sein du Grimp.

Dix ans de harcèlement

Ce véto est une réponse à l’autre histoire d’Éric Serre, celle qui le ronge, qu’il a compilée dans d’épais dossiers durant sa longue convalescence. Celle qui nourrit une plainte déposée en février 2015 auprès du procureur pour des faits de harcèlement qu’il dit avoir subi pendant plusieurs années de la part de plusieurs collègues, pompiers professionnels, également membres du Grimp. Sa carrière de pompier et grimpeur a deux versants : un valorisant où il gravit les échelons, gagne en responsabilité, un dégradant où il est devenu petit à petit une cible.

Le premier grain de sable intervient en 2006 lorsqu’il prend la défense d’une femme sapeur-pompier volontaire à Cassis qui subit le harcèlement continu d’un de ses collègues, pro et ancien du bataillon des marins-pompiers de Marseille. “J’étais une femme, volontaire, gradée, avec une spécialité sauvetage en mer et escalade, explique-t-elle aujourd’hui sous couvert d’anonymat. Chez certains cela ne passait pas”. Éric Serre ne laisse pas passer cette injustice. “Lors d’un exercice, j’ai pris position contre ce collègue qui reprochait à cette dernière une faute technique qu’elle n’avait pas commise, raconte-t-il. À partir de là tout s’est dégradé”.

Cette intervention en apparence anodine est mal supportée par l’intéressé. Quelques mois plus tard, lors d’une intervention à Cap Canaille, celui-ci agresse Éric Serre, l’insulte, le menace de mort. L’affaire remonte par la voie hiérarchique mais est vite étouffée au nom de la paix sociale et de l’esprit de corps.

“Le système allait me broyer”

Quant à sa collègue elle finit par démissionner après “deux ans et demi de harcèlement”. “La plainte que j’avais déposée a été classée sans suite parce que des témoins ont fini par se rétracter, explique-t-elle. Certains ne mangeaient plus à côté de moi par crainte des représailles. La hiérarchie m’a proposé de changer de centre mais j’ai refusé parce que c’était me nier en tant que victime. Ils m’ont dit que dans ce cas, le système allait me broyer. J’ai préféré partir”.

Pour Éric Serre comme pour sa collègue, cet esprit de corps a sa propre hiérarchie : un pompier volontaire ne critique pas un pro. “Très vite, je me suis aperçu qu’il y avait aussi une solidarité entre anciens du bataillon des marins-pompiers, ce qui est le cas de nombreux sapeurs pompiers professionnels”, raconte Éric Serre. À la caserne d’Allauch où il est affecté depuis 2002, le harceleur cassidain a des amis.

“Face à une meute”

Un, deux, trois puis quatre pompiers vont alors se relayer dans une forme de harcèlement quasi-quotidien durant plusieurs années. “Au début, vous prenez sur vous. Mais, incident après incident, petite chose après petite chose, cela finit par vous ronger”. Surtout que ces coups de colères, insultes, brimades, mesquineries ont des répercussions sur le déroulement de certaines interventions. Une ligne rouge qu’Éric Serre ne veut pas voir dépasser. Il prévient sa hiérarchie qui le soutient. “Un soutien essentiellement oral, regrette Éric Serre. Il n’y a pas d’écrit, pas de sanction”.

“J’ai essayé de le protéger face à une meute, avec un leader et d’autres qui suivent, raconte un pompier pro du centre d’Allauch qui ne souhaite pas donner son nom. Quand j’étais là, je le protégeais, parce que j’ai une grande gueule et que je suis dur. Mais j’en veux à la hiérarchie qui n’a pas su le protéger contre cette meute.”

Enquête administrative

En 2012, cet acharnement va prendre une tournure publique. L’un des accusateurs écrit six lettres à la hiérarchie où il charge Éric Serre. Ces lettres que Marsactu a pu consulter évoquent pêle-mêle l’usage de chaussures non conformes, des questions de matériel, du cumul de sa profession d’enseignant avec les astreintes de pompier, des retards… Elles vont faire l’objet d’une enquête administrative.

En parallèle, alors que les brimades se poursuivent, Éric Serre saisit la cellule d’écoute du SDIS 13 pour les faits de harcèlement dont il dit être victime. Fin 2012, l’enquête administrative blanchit Éric Serre. La hiérarchie de l’époque finit par enclencher une procédure disciplinaire contre l’auteur des lettres pour des dénonciations calomnieuses.
“Ce dernier est parti en dépression et quand il est revenu en caserne, début 2013, il était devenu la victime et moi le bourreau, constate Éric Serre. J’étais accusé d’avoir voulu me faire un pompier pro”.

À cette époque, le collège où il enseigne reçoit des coups de téléphone étranges. “J’ai moi-même reçu un appel d’une personne se faisant passer pour des parents d’élèves, se souvient Bernard Ravet, proviseur au collège Ruissatel à l’époque. Il y était question de son double statut de pompier volontaire et d’enseignant. J’en ai averti Éric Serre et l’inspection d’académie. Or, il s’est avéré que l’inspection d’académie avait reçu le même type d’appel sans fondement”. Tout ceci finit par affecter profondément Éric Serre.

Dix heures dans la plus haute falaise d’Europe

Le 14 février 2013, il est appelé pour une manœuvre avec hélico au Cap Canaille avec l’ensemble des chefs d’unité du Grimp dont les hommes qu’il accuse de harcèlement. Éric Serre qui jusque-là s’est rarement dérobé ne veut pas y aller. “J’ai prévenu mon supérieur qui s’est arrangé pour que je ne sois pas dans le même véhicule que mon accusateur. Et je lui demande de ne pas participer directement à la manœuvre mais de rester en appui.” Un enchaînement de circonstances fait que le contraire se produit. Là, Éric Serre craque. “Je voyais plus rien, plus de son, plus d’image. J’ai fondu en larmes et je suis parti dans la falaise par un sentier”, raconte-t-il.

Il est dix heures du matin. Il va passer dix heures sur l’une des falaises les plus hautes d’Europe, seul, en situation de détresse, psychologique et morale. Il a coupé son téléphone. En haut, la hiérarchie panique. Un opération de recherche est lancée. “Officiellement, il ne s’est rien passé”, croit savoir Éric Serre. Pourtant il assure qu’un “dragon” – un hélico en jargon pompier- est envoyé pour tenter de le trouver. À 18 heures, sa femme est prévenue. “À 18 heures, en voyant la nuit tomber, j’ai appelé mon supérieur et je l’ai prévenu que j’allais sortir seul”.

Suspension non officielle

Ce pétage de plomb aura de fortes répercussions. Éric Serre apprend qu’il est suspendu par son chef de centre “mais cette suspension ne m’a jamais été signifiée officiellement”. Le pompier décide de se battre pour être réintégré, épaulé par son avocat. Il y parviendra au bout de longs mois. Suspendu également, son accusateur finit par passer en conseil de discipline où il écopera de quatre jours de mise à pied. Le lendemain, en novembre, une réunion des chefs d’unité se tient à l’école des sapeurs pompiers de Velaux où Éric Serre se retrouve une nouvelle fois confronté à ces harceleurs. “Au moment où arrivent les questions diverses, ils prennent la parole publiquement pour me diffamer sans que le chef de service n’intervienne”, se souvient Serre.

Cette histoire remonte jusqu’au colonel Jorda qui dirige le SDIS à l’époque. Quelques jours plus tard, les harceleurs seront suspendus des activités du Grimp. Le 16 janvier 2014, lors d’une réunion de l’amicale des sapeurs-pompiers d’Allauch, “Jorda prend la parole pour me défendre. Il prononce même le mot de harcèlement, selon plusieurs témoins”, explique-t-il. Le 17 janvier, il fait un malaise au sein du collège.

Le colonel Allione entendu par la police

Huit jours plus tard, Éric Serre est à terre, au pied de la falaise du cap Canaille. Depuis il tente de se relever mais il a le sentiment que le SDIS 13 a fait un choix, qui favorise ceux qu’il désigne comme ses bourreaux. Il espère que la justice administrative et pénale lui donnera un jour raison. “La justice est très lente et ce genre d’affaire est rarement prioritaire”, reconnaît son avocat Ange Toscano. Le dossier est déjà passé entre les mains de six officiers de police judiciaire différents.

Du côté du SDIS 13, Grégory Allione a été entendu. “J’ai fourni toutes les pièces demandées, explique-t-il. Maintenant, il faut laisser la justice faire son travail”. Le sien est clairement “d’organiser la paix sociale d’un service fort de 6000 hommes dans le cadre de notre modèle de sécurité civile conçu sur ce mélange entre sapeurs pompiers volontaires et professionnels” comme il le formule lui-même. “Aujourd’hui, je n’ai pas de problèmes avec les personnes que met en cause Éric Serre. Et des soucis avec des pompiers comme ceux que j’ai eu avec lui, j’en ai avec d’autres mais ils se comptent sur le doigt d’une main”. Entre paix sociale et justice, l’équilibre est périlleux et broie parfois des femmes et des hommes.

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Commentaires

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  1. inaudirosy inaudirosy

    Maintenir la paix sociale, oui mais à quel prix ?
    Dans cette histoire telle qu’elle est décrite, c’est au prix d’une injustice …et ici encore, on voit que les lanceurs d’alerte se retrouvent toujours les “dindons de la farce”

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  2. Germanicus33 Germanicus33

    Comment peut-il y avoir de tels comportements dans un milieu qui se doit d’être exemplaire ? Celà ternit l’image de ce corps d’élite…C’est inhumain et indigne, nuisible à la cohésion du groupe…Affligeant !

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  3. petitvelo petitvelo

    L’image de ce “corps d’élite” pèse un peu trop sur tous les choix de gestion de personnel: on ne peut pas critiquer un pompier sans passer pour un sale type !
    Là où c’est pervers, c’est que s’il fallait désigner ceux qui justifient le plus l’image héroïque, ce sont les volontaires: ce sont généralement les plus généreux car ils y consacrent congés et week-end et se dévouent pour leur commune. Et c’est pourtant eux qui trinquent, quel que soit leur grade, parce qu’il faut préserver des pros qui ont les faveurs des politiques financeurs (belle image !) et un statut avantageux (fonction publique, temps de repos, …) sans pour autant être cheminot ou infirmier (mauvaise image!).

    Merci à Marsactu, de montrer le revers de la médaille: en 2018, il reste difficile d’être volontaire ou femme au SDIS quand on est qualifié … et la tendance managériale semble au conservatisme timoré. Si les volontaires devaient être éjectés du navire, il faudra pourtant gérer d’autres choix: augmenter drastiquement les impôts pour recruter, diminuer le volume d’action ou privatiser les secours pour retrouver de l’efficacité.
    Les dockers ont “tué” le port de Marseille, les pros tuerons-ils le “SDIS 13” ?

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  4. Input-Output Input-Output

    Se faire broyer par le système parce qu’on a voulu soulever des dysfonctionnements, c’est aussi ma spécialité ! Là où c’est encore plus anormal c’est que le système en question est un service public financé par les contribuables, ce qui rend la manœuvre encore plus abjecte…

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