Entre péril imminent et insalubrité irrémédiable, la Ville veut évacuer la verrue de Corot

Reportage
le 27 Nov 2018
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Le 23 novembre, la Ville a publié un arrêté de péril imminent pour le bâtiment A de la copropriété Corot (13e). Cet immense bâtiment est rendu dangereux par les branchements sauvages qui fragilisent le système électrique. Mais l'insalubrité y règne déjà à tous les étages.

Entre péril imminent et insalubrité irrémédiable, la Ville veut évacuer la verrue de Corot
Entre péril imminent et insalubrité irrémédiable, la Ville veut évacuer la verrue de Corot

Entre péril imminent et insalubrité irrémédiable, la Ville veut évacuer la verrue de Corot

Un camion de pompiers stationne au pied du bâtiment A du parc Corot. Deux agents d’Enedis s’affairent dans un local technique, non loin des garages abandonnés de cette copropriété très dégradée (13e). Un homme sort et appelle à la prière. La mosquée qui occupe un garage est dans le noir, comme une partie des étages de cet immeuble à la teinte ocre qu’on surnomme la verrue. Le 23 novembre dernier, la Ville a pris un arrêté de péril considérant que “la sécurité des occupants est gravement menacée par l’état des équipements communs de l’immeuble” et notamment les branchements électriques sauvages amenant certaines connexions à chauffer jusqu’à 120 °C.

Pour l’heure, les électriciens cherchent plutôt à rétablir l’alimentation électrique du bâtiment, coupée dimanche soir. Des coupures continuelles d’un système électrique qui mettent donc en péril les habitants et nécessitent une évacuation rapide. Selon nos informations, une réunion s’est tenue lundi soir en préfecture de police avec les représentants de la Ville. L’évacuation pourrait commencer dans les jours qui viennent, une fois le diagnostic social de l’immeuble effectué. Il s’agit de connaître le nombre et le statut des occupants, appartement par appartement.

Indignité absolue

Le concours des forces de l’ordre devrait s’avérer nécessaire, l’immeuble présentant une présence importante de squatteurs. “Les Africains” comme les appellent les autres habitants parlent anglais. Ils occupent les étages les plus hauts. Certains leurs attribuent des violences régulières entre squatteurs “avec des haches et des barres de fer”. D’autres dénoncent des agressions sexuelles. À cette insécurité s’ajoute l’indignité absolue du cadre de vie que tous partagent. Déjà visée par un plan de sauvegarde, la cité a été désignée comme priorité nationale par le gouvernement dans le cadre du plan d’action sur les copropriétés dégradées (lire notre article).

L’entrée d’un des blocs du A.

Ici, le péril côtoie l’insalubrité criante, l’indécence de loyers qui, au m2, sont comparables à ceux du 5e arrondissement. Tous accueillent la perspective d’une évacuation et d’un relogement avec soulagement. Parfois teinté de méfiance. Au premier étage du bloc A1, la famille Amaouche a installé des plantes sur le balcon filant qui sert de coursive. À l’intérieur, le petit T4 est coquet. Nadia y passe tous les jours voir son père de 82 ans, gravement malade et alité en permanence. Mais ils ont beau faire toutes les réparations du monde, les mises aux normes, les travaux d’entretien, c’est tout l’immeuble qui leur tombe sur la tête. “Cela coule parfois comme de la pluie dans la salle de bains, raconte-t-elle.Pareil chez ma voisine du dessus et encore en haut jusqu’au 9e… J’ai prévenu tous les élus, j’ai écris au maire. Ils ne peuvent pas dire qu’ils ne sont pas au courant.” Elle a même repéré les appartements vides dans les cités voisines des Oliviers, des Cyprès, des Genêts… En vain.

50 ans de copro

Les Amaouche vivent là depuis 50 ans, “le 28 septembre, c’est l’anniversaire”, dit Zahoua, la maman. Lentement, elle a vu la copropriété se dégrader jusqu’à tomber en ruines. Elle voit arriver l’évacuation avec une grande crainte : “Mon père a besoin de soins constants. On a commandé un lit médicalisé. On ne peut pas le déplacer n’importe où dans son état”. Sur la table, un formulaire du service d’hygiène de la Ville témoigne de l’état d’insalubrité de leur logis. “Allez voir plus haut, c’est pire encore…” Nadia ne ment pas.

Un locataire a installé une sortie d’eau usée directement sur la coursive. Elle se déverse cinq étages plus bas.

Au 5e étage, le logement de Fahamou respire l’indignité. L’odeur âcre de l’humidité prend à la gorge. Elle vit là depuis 4 ans avec ses 5 enfants. L’aînée, Myriam, est en BTS mode au lycée Brochier. Une réussite que la jeune fille souligne avec un brin de fierté. Mais jamais elle ne dit où elle vit. “Les rats, c’est leur maison ici”, dit-elle en montrant un trou bouché par une bouteille en plastique. Les murs sont lépreux et s’effritent quand on les frôle. Comme en dessous, l’eau s’infiltre par la cuisine et la salle de bains, pourrissant tout sur son passage. “Parfois on était obligé d’entrer par la fenêtre, tellement c’était la piscine dans l’entrée“, explique Famahou. Son fils collégien lui dit qu’il en a marre “de monter les escaliers en courant à cause de la peur”.

“Un endroit propre enfin”

Sa voisine immédiate, Mlinda vient aussi de Mayotte et vit le même calvaire depuis un an. Elle a connu l’hébergement chez une amie, puis les hôtels à répétition, avant d’atterrir ici. Elle paie 450 euros de loyer et 130 euros de charges. Elle ne regrette pas son île natale mais “espère vivre dans un endroit propre, enfin”.

On franchit un degré supplémentaire chez sa voisine d’en dessous, Fatima, elle aussi mahoraise. Même plafond qui tombe en miettes dans la salle de bains et les toilettes. Même électricité qui saute tout le temps, “je ne peux brancher qu’un chauffage en même temps. Le frigo a grillé. La télé aussi”. Ici, ils sont neuf à vivre dans un T4 qu’elle paie 650 euros. La quasi totalité – 609 euros – est versée directement à la propriétaire par la caisse d’allocations familiales. “J’ai fait deux dortoirs, un pour les filles, l’autre pour les garçons”. Elle héberge sa sœur, ses deux enfants, son jeune frère. Les murs des chambres sont noirs de moisissures, du fait des fenêtres vétustes et de la suroccupation. Elle espère pouvoir être relogée dans le quartier pour ses enfants scolarisés dans les lycées, collège et école alentours.

“Je ne vais pas faire la difficile”

Dans le bloc voisin du A2, Djamila voit son appartement se détruire de l’intérieur. Son voisin Khalifa est venu faire de menues réparations mais son fils a pris le courant en allant aux toilettes. Le plafond s’effondre dans la cuisine et la salle d’eau. “Il y a de la pluie et du gravier”. La députée LREM, Alexandra Louis, lui a déjà rendu visite. L’appartement de Djamila fait partie de ceux dont l’élue dénonce depuis plusieurs mois l’insalubrité. Elle paie son loyer de 580 euros par mandat à un propriétaire qu’elle n’a jamais vu. “Moi, je suis prête à être relogée n’importe où. Je ne vais pas faire la difficile”. Son appartement a déjà été forcé par des hommes qui cherchaient un appartement libre. Elle vit ici avec ses trois enfants et des cacatoès. L’insécurité est dedans, dehors, partout.

À la porte tape Salima, sa voisine. Elle a reporté un rendez-vous chez le dentiste pour faire visiter son appartement qui tombe en ruines. Elle a désormais pris refuge chez une amie au rez-de-chaussée. D’ordinaire, elle vit à ce 5e étage avec cinq enfants. Les gravats s’amoncellent dans la salle de bains. La cuisine est dans le même état, désastreux. Le faux-plafond en plastique a été fixé avec des clous. Gorgé d’eau, il suinte si on appuie dessus.

Dans toutes les cuisines visitées, les mêmes traces de moisissures témoignent des inondations qui passent par la colonne d’eau.

Les pompiers font leur entrée sur ces entrefaites. Appelés pour un appartement dont le plafond s’est effondré dans les étages du haut, ils passent d’un logement à l’autre et constatent la même situation extrême. “Il y aurait dû y avoir des travaux pour faire arrêter les écoulements d’eau mais visiblement ça n’a pas été fait”, se désole l’un d’eux. “Un ingénieur de la Ville doit passer pour venir constater le péril du bâti” ajoute un autre à l’intention de la locataire.

Visiblement, la Ville cherche à établir qu’au-delà des problèmes électriques, de l’insalubrité des logements, la structure de l’immeuble est elle-même fragilisée. Depuis plusieurs mois, Alexandra Louis a saisi le procureur qui a mis en place un groupe de lutte et de prévention et de la délinquance dédié à Corot. Il n’y a qu’à grimper les étages pour constater que les infractions y sont caractérisées.

Commentaires

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  1. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    d’abord l’état est complice il verse des alloc qui iront directement à des criminels/propriétaires ou hôtels marchands de sommeil, mais cette constatation vaut pour toute la France où l’on trouve des logements insalubres!!
    Maintenant une constatation qui vaut aussi pour toute la France pourquoi toujours des familles de 5 à 8 enfants!!! Déjà si difficile de vivre avec 2 enfants et un petit salaire mais avec plus c’est impossible

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  2. EDorier EDorier

    votre article est très intéressant, comme toujours, mais, même si les habitants actuels de Corot ne regardent pas les titres de Marsactu (malheureusement), je trouve choquant le terme de “verrue” dans le TITRE, ou alors il faudrait le mettre en guillemets pour ne pas en stigmatiser les habitants, mais bien certains copropriétaires-bailleurs (multi copropriétaires souvent, avec des stratégies de valorisation puis d’indemnisation, et les pouvoirs publics empêtrés. La sacro sainte propriété privée, renforcée par divers changements législatifs, ne devrait pas mettre certains territoires hors la loi.

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