Entre obsessions idéologiques et gestion des pigeons, le bilan des députés RN du 13

Franck Allisio et Gisèle Lelouis le soir du second tour des élections législatives de 2022. (Photo : Emilio Guzman)

28 juin 2022, palais Bourbon. Ouverture de la nouvelle législature de l’Assemblée nationale. Comme le veut la tradition parlementaire, le doyen de l’hémicycle ouvre cette première séance. Et c’est José Gonzalez, 79 printemps à l’époque qui s’y colle. Première prise de parole, et premier dérapage. Le député Rassemblement national (RN), fraîchement élu dans la 10ᵉ circonscription des Bouches-du-Rhône et natif d’Oran, évoque d’abord son enfance en Algérie française, et le traumatisme de l’exil. Avant de s’avancer sur la pente glissante des exactions perpétrées par l’armée Française pendant la guerre d’Algérie. Et de complètement sortir de piste, lorsqu’il prétend ne pas connaître – “ou presque pas” – l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète, groupe terroriste opposé à l’indépendance algérienne), et ne pas savoir si cette dernière a commis des crimes.

Une arrivée en fanfare pour les députés RN, et pour les députés RN des Bouches-du-Rhône en particulier, loin des volontés de dédiabolisation de Marine Le Pen. Deux ans plus tard, après la dissolution de l’Assemblée par Emmanuel Macron, c’est l’heure du bilan. Quelle a été la vie parlementaire des six députés RN des Bouches-du-Rhône depuis deux ans ? Pour le comprendre, il faut se pencher sur leur travail en commission et sur les onze propositions de loi avancées par Gisèle Lelouis (élue dans la 3ᵉ circonscription), Joëlle Mélin (9ᵉ), José Gonzalez (10ᵉ), Franck Allisio (12ᵉ), Romain Baubry (15ᵉ) et Emmanuel Taché de la Pagerie (16ᵉ). Si aucune de ces propositions n’est passée en première lecture, elles illustrent bien l’idéologie du RN. Et réservent également quelques motifs d’étonnement.

Priorité nationale

Sans surprise, on retrouve rapidement les thèmes chers au RN, comme la préférence nationale. Romain Baubry, député de la 15e circonscription, à Châteaurenard, propose en mars 2024 une loi pour “instaurer la priorité nationale dans l’attribution des logements sociaux”. Grâce à cette loi, “le critère de nationalité serait le premier critère étudié”, pour que les “les Français deviennent de droit, les premiers bénéficiaires des logements locatifs sociaux dans leur propre pays”. Les mêmes logements sociaux dont Franck Allisio, le chef de file RN départemental et député dans la 12ᵉ circonscription, souhaite ralentir la construction, en écho à l’appel de 40 maires des Bouches-du-Rhône. Moins de logements sociaux donc, mais réservés aux Français.

Garantir la préférence nationale selon Franck Allisio, c’est aussi assurer son indépendance énergétique. Qui passe évidemment par l’atome, et surtout pas par les énergies renouvelables. Il décrit dans l’hémicycle en mars 2023 le développement de la filière nucléaire comme une “priorité absolue”, pour “réduire la dépendance aux importations”. Et en profite pour descendre en flamme l’énergie éolienne, “véritable arnaque, source d’insécurité énergétique et de dépendance aux énergies fossiles importées”.

Jeunesse délinquante

Autre thème favori du RN, l’insécurité, jugée galopante. C’est l’argument que brandit Gisèle Lelouis, élue dans la 3e circonscription, le Nord de Marseille, quand elle propose en novembre 2023 un article de loi visant à interdire les salles de consommation à moindre risque, dites “salles de shoot”. Selon cet article, les voisins de ces salles seraient livrés aux “toxicomanes [qui] errent dans nos rues, sans suivi psychiatrique ni hébergement, et les autorités [qui] minimisent ce que l’on vit”. Thématique qui résonne particulièrement à Marseille, à l’heure où le projet d’ouverture d’une telle salle est plus que jamais compromis. L’Inserm notait cependant dans son rapport d’évaluation de 2021 les effets positifs de ce dispositif sur la santé des toxicomanes.

Et pour rétablir la sécurité et l’ordre, la recette proposée par Romain Baubry est simple : taper sur les parents. En octobre 2023, cet amoureux de l’autorité, tour à tour gendarme, employé pénitentiaire, et enfin policier, soutient une proposition de loi portée par son groupe visant à enlever les allocations familiales aux familles dont les enfants sont des “délinquants”. Et il affirme à cette occasion : “l’autorité n’est plus. Elle est bafouée par des délinquants et criminels toujours plus jeunes”, avant de dérouler l’argumentaire classique de l’extrême droite, fustigeant les jeunes qui “se retrouvent au cœur d’émeutes nocturnes ou derrière le volant d’un véhicule de plusieurs centaines de chevaux à l’heure de l’école, ceux qui violentent une femme de 90 ans pour lui voler son argent ou qui violent une jeune fille de 13 ans tout en filmant la scène, ceux qui font l’apologie du terrorisme ou qui promettent à leur professeur de subir le même sort que Samuel Paty”.

Le RN va même jusqu’à remettre en question le bien fondé de l’action publique à assurer la sécurité des citoyens. En décembre 2022, José Gonzalez, député de la 10e circonscription à Allauch, porte dans l’hémicycle l’idée de durcir les sanctions contre les squatteurs, et de “réduire la peine encourue par un propriétaire qui déloge lui-même sans violence des squatteurs illégalement installés dans son domicile”. Une mesure qu’il propose dans le cadre des discussions autour de la loi dite “anti-squat”, et qui selon lui, “[n’incite] pas les propriétaires à se faire justice eux-mêmes”, mais qui vise plutôt à “punir plus sévèrement les squatteurs entrés en toute illégalité dans un domicile que les propriétaires qui y ont investi toutes leurs économies”.

“Âme vibrante”

Les députés RN locaux se sont également fait les défenseurs d’une certaine idée de l’identité française. Et pour eux, celle-ci passe par les traditions. Emmanuel Taché de la Pagerie, député à Arles, dans la 16e circonscription, ne manque ainsi pas de souligner que “les fêtes traditionnelles constituent aujourd’hui l’âme vibrante du Sud de la France, notamment en Camargue”, quand il propose en octobre 2023 de renforcer la protection juridique des acteurs de ces fêtes. Selon cette proposition, les organisateurs “d’abrivado, course camarguaise, encierro, ou toro‑piscine”, et autres manadiers ne doivent plus être tenus pour responsables des accidents provoqués par leurs taureaux, sous peine de menacer ces évènements qui sont “l’expression vivante de notre patrimoine culturel immatériel”. 

A l’inverse, bien trop éloignés de la tradition à leur goût, les questionnements sur l’identité de genre sont de véritables épouvantails pour les députés d’extrême droite. Joëlle Mélin, député de la 9e circonscription à Aubagne, ancienne médecin et experte ès santé du parti, invite en avril dernier à interdire “tout traitement médical et hormonal de transition de genre pour les mineurs”. Son argumentation repose sur la dénonciation du “wokisme qui déferle sur la France, après avoir essaimé aux États‑Unis, en Angleterre et dans les pays nordiques depuis quinze ans”, et “la négation de la réalité de la dualité des sexes homme/femme […]”. Or, toujours selon elle, “de nombreux adolescents, en quête de leur identité, croient trouver dans cette vison une réponse à leur malaise propre à cette période de la vie”.

Enfin, un élément qui pourrait prêter à sourire : la proposition de loi n°2034 portée par Gisèle Lelouis en décembre 2023, visant à interdire “les pratiques biocides létales de limitation des populations de pigeons en zones urbaines, et à promouvoir les méthodes plus éthiques”. Concrètement, il s’agit d’interdire de tuer “de manière cruelle” les pigeons, et de promulguer les “pigeonniers contraceptifs” et “le maïs contraceptif”. Combat louable pour cette amie des bêtes, mais qui ne saurait la détourner des préoccupations de fond de son parti. Deux jours avant de déposer son projet de loi, elle votait, à l’instar de tout le groupe RN, pour le texte de la commission mixte paritaire visant à contrôler l’immigration. Et Franck Allisio de saluer, lors de la présentation des candidats RN aux élections législatives prochaines, le “travail extraordinaire” de Gisèle Lelouis, “sur le terrain et à l’Assemblée nationale”, qui “offre un grand espoir de garder cette circonscription”. Plus de pigeons, moins d’immigrés : le sens des priorités version extrême droite.