Entre hommage et polémique, Arnaud Beltrame se cherche une place dans les quartiers Nord

Décryptage
le 2 Oct 2018
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Depuis plusieurs jours, le leader du RN local, Stéphane Ravier alimente la polémique sur le refus d'élus de gauche des 15e et 16e arrondissements de voir nommer une place de leur secteur du nom du gendarme assassiné, en arguant de la réaction des habitants. Une version polémique qui s'éloigne du débat plus nuancé en commission de dénomination de rue.

Entre hommage et polémique, Arnaud Beltrame se cherche une place dans les quartiers Nord
Entre hommage et polémique, Arnaud Beltrame se cherche une place dans les quartiers Nord

Entre hommage et polémique, Arnaud Beltrame se cherche une place dans les quartiers Nord

Le leader du RN local, Stéphane Ravier tient sa polémique de rentrée. Il la ressert à l’envi sur les plateaux de radio ou de télé depuis plusieurs jours. Le genre de polémique qui fait fureur sur les réseaux sociaux, pile au moment où le sénateur d’extrême-droite confirme à nouveau qu’il sera le candidat du Rassemblement national aux municipales de 2020.

Stéphane Ravier rapporte que des élus de gauche des 15e et 16 arrondissements de Marseille auraient refusé de dénommer une place du nom d’Arnaud Beltrame, gendarme mort en héros en substituant à l’otage d’un terroriste le 24 mars 2018 à Carcassonne. Ceux-ci, dit-il, ont fait “savoir que la population a changé et que les habitants vivraient cette dénomination comme une provocation”. Marsactu a donc tenté d’en savoir plus en cherchant à vérifier les faits qu’énonce ou dénonce le leader RN.

Gaudin, le premier

Premier point, rapidement vérifiable, Stéphane Ravier maintient que Cédric Dudieuzère, l’élu qui représentait son parti au sein de la commission de dénomination de rue, était “le seul à proposer le nom d’Arnaud Beltrame”  le 10 septembre dernier. “Faux, répond Jean-Luc Ricca, adjoint au maire (Agir). Après la mort du gendarme, le maire de Marseille a publiquement demandé qu’une rue ou une place soit dénommée en mémoire d’Arnaud Beltrame. Par la suite, il est vrai que la maire [FN] des 13/14e arrondissements, Sandrine D’Angio, a fait parvenir une lettre pour réitérer cette demande. Mais la demande initiale émane du maire lui-même.” Un extrait du registre des délibérations de la commission permet de confirmer le souhait partagé.

Extrait du registre de la commission de dénomination de rue.

Sur la nature des débats, le président Ricca est moins précis : “il y a du vrai et du faux dans ce que dit Ravier dont je désapprouve la volonté de polémique. Nous avons eu un débat auquel les élus du secteur ont participé. La première question portait sur le choix du lieu. Nous avions deux possibilités : une place dans le 15/16 et une autre dans le 13/14 près d’une école. Notre souhait à tous était de trouver un beau lieu, pas un délaissé de voirie”.

“La population a changé”

Cette version, le premier adjoint des 13e et 14e arrondissements, Cédric Dudieuzère la conteste. “Le nom d’Arnaud Beltrame devait être attribué sur le Plan d’Aou au-dessus de Grand littoral, explique-t-il. Les représentants de la maire des 15e et 16e arrondissements ont d’abord dit qu’ils jugeaient cette place « pas assez prestigieuse ».

D’après lui, c’est ensuite que le choix de la place des 13e et 14e est revenu dans le débat. “Cette place avait déjà un nom. Finalement, il nous a été demandé si nous voulions bien changer. Julien Ravier [le maire des 11e et 12e, NDLR] a dit qu’il voulait bien la récupérer si personne n’en voulait mais ça a été chez nous”. Pour Cédric Dudieuzère, ce choix s’est opéré après intervention des élus des 15e et 16e arrondissements sur le fond du débat : “ils nous ont dit « vous n’êtes pas sur le terrain, vous n’y êtes pas confrontés. La population a changé. Ça sera vu comme une provocation. Et ensuite c’est nous qui allons subir sur le terrain ».

“Choix à l’unanimité”

Jean-Luc Ricca corrobore au moins partiellement les propos rapportés par Dudieuzère : “C’est vrai que nous avons eu une discussion, tous ensemble, et pas seulement les élus de ce secteur. Ce quartier est un quartier d’immigration. Oui, la question de la façon dont cela pouvait être reçu a été évoquée. Et nous étions tous d’accord pour trouver un lieu qui ne fasse pas polémique. Et d’ailleurs le choix de la place du 13/14 a été accepté à l’unanimité, y compris par monsieur Dudieuzère”.

Une version que refuse d’endosser les deux élus de la commission qui siègent à la mairie de secteur de gauche. “Je n’ai jamais tenu de tels propos, s’insurge Valérie Diamanti, élue communiste au conseil municipal. Nous souhaitions que le lieu choisi soit à la mesure de l’homme. Jamais le fait que ce soit au Plan d’Aou n’a été évoqué en ce sens. Je suis professeure de morale et d’instruction civique dans un centre d’apprentissage. Je n’ai pas peur de ce genre discussion, au contraire”.

“Un lieu digne d’un héros”

Une ligne de défense que partage son collègue socialiste Roland Cazzola : “Oui. J’ai refusé. Mais ce n’est pas parce que c’est au Plan d’Aou. Dans ce quartier, j’y vais tous les jours, dans le cadre de mon métier de soignant. Et jamais je ne penserai ça des gens qui y vivent. Pour moi, il était surtout question de trouver un lieu digne de ce nom à un héros comme Arnaud Beltrame. Et pas une placette du 15e. J’ai eu la même réaction quand on a proposé un rond-point pourri pour honorer la mémoire de Nelson Mandela. J’ai refusé.”

D’autres membres de la commission ont pourtant des souvenirs divergents. Sans l’attribuer à une personne en particulier, le représentant du comité du vieux Marseille, Yves Davin, se souvient qu’il a bien été question de la nature du Plan d’Aou et de la réception par une partie de la population. “Il a été dit que nommer une place ainsi pouvait être perçu comme une provocation dans un quartier sensible”, explique-t-il.

“Éviter le vandalisme”

L’historienne Catherine Marand-Fouquet qui siège à ce titre dans la commission a, elle, un souvenir un peu plus nuancé. “Nous avons parfois des réactions désagréables de la part de la population qui n’accepte pas le nom choisi, explique-t-elle. J’avais proposé le nom de passage de bric-et-de-broc pour une voie qui comprenait une passerelle en bois, une partie herbeuse et une autre en macadam. Les habitants n’ont pas apprécié.”

Pour elle, l’essentiel du débat a porté sur la nature de la place elle-même : “nous avions le choix entre une place assez vaste, avec une très belle vue, dans le 15e. Et une autre dans le 14e à proximité d’une école”. Pour elle, cette question du lieu a primé : “Dénommer un lieu est aussi faire œuvre de pédagogie. Donner ce nom à une place à côté d’une école, cela avait du sens pour nous et tout le monde était d’accord”.

En revanche, Catherine Marand-Fouquet a le souvenir précis d’un débat autour de la réception du nom par la population “porté par les élus de ces quartiers car ce sont eux qui les connaissent”. Mais il n’a pas porté sur les habitants en général : “Il a été question du risque qu’un petit groupe de gens comme il peut y en avoir dans ces quartiers comme ailleurs, prenne prétexte de cette dénomination pour vandaliser les plaques. Et c’est exactement le contraire de ce que nous souhaitons faire quand nous choisissons un nom de lieu”. Si cette question de la réception des habitants a bien été posée, elle ne l’a pas été dans les termes posés par le RN. Mais parfois la nuance résiste mal à la communication politique.

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Commentaires

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  1. lilicub lilicub

    Benoit Gilles, votre article n’infirme ni n’affirme le fond de la version de Ravier!!!!!

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      Bonjour, cet article vise à vérifier les propos tenus lors d’une commission dont les débats ne sont pas publics et ne font pas à ma connaissance l’objet d’un procès-verbal. Les deux élus incriminés nient avec force avoir prononcer les mots que Stéphane Ravier leur prête. En revanche, il y a bien été question du quartier dans les débats comme l’indiquent trois participants distincts dont le président. Comme l’article l’indique, tout est question de nuance. Ces trois témoins n’indiquent à aucun moment qu’une telle dénomination serait vécue comme une provocation par la population, ce qui est le fond de la position de M. Ravier.

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  2. DUDIEUZERE CEDRIC DUDIEUZERE CEDRIC

    Une fois de plus la conclusion de cet article est écrite de manière totalement partisane. Il n’y a pas de nuances qui vaille et je sais très bien ce que j’ai entendu, ne vous en déplaise.
    Non il n’y a pas de PV in extenso rédigé lors de cette commission. Mais le mot « provocation » a bien été prononcé.
    Cédric DUDIEUZÈRE

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Je suis bien aise de lire sous la plume d’un porte-flingue du Front National qu’il “n’y a pas de nuances qui vaille”. S’agissant de l’expression publique de ce parti d’extrême-droite, que ni l’intox ni le mensonge ne gênent, on était déjà au courant. Mais c’est encore mieux quand c’est confirmé par quelqu’un de l’intérieur…

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  3. julijo julijo

    Autant d’aise ressenti que Electeur du 8e.
    Effectivement, surtout pas de nuances. Le mot « provocation » est bien plus vendeur et permet d’assurer des arguments « ravieriques » trop rebattus pour être honnêtes.
    En même temps et comme d’habitude avec le fn , le caractère profondément héroïque du gendarme Beltrame me laisse penser que cette polémique est bien vaine

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  4. Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

    Comment faire du beurre électoral avec la mémoire d’un mort… Ils n’ont honte de rien

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