Entre escroquerie et abus de confiance, “la machine à cash” de Radio Gazelle

Reportage
le 1 Juil 2021
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Pour la première fois, le feuilleton judiciaire de Radio Gazelle connaît un épisode pénal. Le président de l'association qui gère cette radio communautaire, Mustapha Zergour, était renvoyé devant le tribunal correctionnel pour escroquerie et abus de confiance.

Richard N., Nora B. et Mustapha Zergour devant le tribunal présidé par Pierre Jeanjean. Dessin Ben 8.
Richard N., Nora B. et Mustapha Zergour devant le tribunal présidé par Pierre Jeanjean. Dessin Ben 8.

Richard N., Nora B. et Mustapha Zergour devant le tribunal présidé par Pierre Jeanjean. Dessin Ben 8.

“Dans les tribunaux, quand on entend le nom de Radio Gazelle, la première réaction est un soupir, voire pire”. Avocat d’une des parties civiles, Lionel Febbraro résume d’un effet de manche, ce que tout le monde ressent. Support d’une radio communautaire, implantée à Marseille depuis 1981, l’association Rencontre et amitié Radio Gazelle encombre les juridictions jusqu’à la cour de cassation, depuis 20 ans. Cela n’empêche pas les responsables politiques de s’y presser à chaque élection en espérant faire entendre leur voix auprès de la communauté maghrébine.

L’objet de “cette bataille de chiffonniers” est la présidence de l’association pour laquelle d’anciens amis se déchirent avec application. “C’est simple, c’est une affaire qui m’a donné envie de changer de métier”, soupire encore Lionel Febbraro. L’avocat représente un des hommes qui se dit président de Gazelle, Otmane Aziz, dont le combat depuis 15 ans a nourri une grande part des procédures. Lui se voit comme “un lanceur d’alerte” et c’est suite à ses plaintes que, pour la première fois depuis longtemps, l’affaire radio Gazelle échoue devant la justice pénale.

Otmane Aziz, partie civile et président revendiqué de l’association. (Dessin : Ben 8).

Les deux présidents côte à côte

À quelques mètres d’Otmane Aziz, qui s’est constitué partie civile, un autre président, Mustapha Zergour, comparaît pour des faits présumés d’abus de confiance et d’escroquerie. Il lui est reproché d’avoir minoré les revenus publicitaires de la radio, en détournant ses fruits vers une autre association, Gazelle TV dont il avait la présidence. Cela dans le but de percevoir les subventions du Fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER) de 2012 à 2016. Il est également accusé d’avoir détourné de diverses manières des fonds de l’association à son propre profit ou à celui de ses proches.

Face à Pierre Jeanjean, président de la sixième chambre correctionnelle, l’homme fort de Gazelle apparaît diminué au sens plein du terme. Conséquences d’un diabète dévastateur, il est aveugle depuis près de 15 ans, amputé des deux jambes, dyalisé trois fois par semaine et régulièrement victime d’accidents vasculaires-cérébraux. À ses côtés deux de ses proches, poursuivis pour des faits de recel : Richard N., le bras en écharpe, est le technicien. Chignon serré et tunique à fleurs, Nora B. est secrétaire. En emploi aidé ou bénévole, ils sont au côté de leur président depuis plusieurs décennies.

Difficile pour Mustapha Zergour, qui s’est battu pour avoir la présidence, de nier ses responsabilités dans la gestion de l’association.

Paradoxalement, le combat permanent de Mustapha Zergour pour se faire reconnaître comme le seul président légitime de radio Gazelle apparaît aujourd’hui comme son pire argument de défense. “Je ne m’intéresse pas à cette question, elle est tellement conflictuelle qu’on va l’éviter”, balaie Pierre Jeanjean. Pour le tribunal pénal, cette présidence place Mustapha Zergour en pleine responsabilité des actes poursuivis.

Mustapha Zergour. (Dessin : Ben 8)

Minorer les pubs pour toucher les subs

Cela vaut notamment pour l’escroquerie reprochée à l’encontre du FSER. C’est en tant que président de l’association qu’il a volontairement minoré ses revenus publicitaires pour passer sous la barre des 20%. C’est aussi lui qui a créé l’association Gazelle TV pour l’installer dans les locaux de la radio, au nez et à la barbe de l’administrateur judiciaire qui gérait cette année-là la radio sur décision de justice. Emmanuel Douhaire dira aux enquêteurs ne rien connaître de cette association, ni de la convention qui lie les deux entités et permet les transferts de ressources. Pour Gazelle, elle est signée par Guy Brun, l’ancien président, alors qu’il n’avait plus le droit de rien signer.

L’examen des liasses fiscales de l’association permet d’établir le jeu de vases communicants : la publicité chute alors que la case “produits exceptionnels” explose grâce à des fonds de mécénat qui ne convainquent personne. Et ces fonds finissent sur le compte de Gazelle TV. “C’est parce que nous avons fait beaucoup d’actions à l’extérieur”, justifie Mustapha Zergour dans un filet de voix. “Mais pourquoi ne pas avoir fait ces actions avec la radio ?, interroge Pierre Jeanjean. On a l’impression que c’est radio Gazelle qui réalise les prestations et Gazelle TV qui touche l’argent”. C’est “la machine à cash” décrite par les détracteurs de Zergour. Pierre Jeanjean rappelle les tarifs : “750 euros pour 120 spots. 1200 euros pour 360 spots”.

Malgré l’évocation par son avocat du rôle du précédent président, l’audience laisse clairement percevoir l’omniprésence de Mustapha Zergour. En 2002, un jugement pour escroquerie et travail clandestin le présente déjà comme le dirigeant de fait de l’association.

Quick, TGV et pompes funèbres

Son usage de l’argent de Gazelle TV à des fins personnelles illustre cette position prédatrice. Résumé en huit faits, l’abus de confiance présumé donne le vertige. Avec la carte bleue, il fait ses courses à Quick, Auchan et aux Galeries Lafayette. Il paie des allers et retours en TGV, s’achète des voitures et les répare. Il offre aussi un voyage aux Comores payé à un animateur régulier “pour y faire des reportages”. Il y a même un versement de 5000 euros à une société de pompes funèbres. Le patron est un adhérent de l’association, mais l’argent correspond à des pubs non passées.

Il fait aussi des prêts avec le chéquier : 10 000 euros pour lui-même. “Les avez-vous remboursés ?”, demande Pierre Jeanjean. “Non, à cette époque, j’ai eu plusieurs AVC”, répond Zergour.

Le technicien Richard N. a obtenu un prêt de l’association ainsi qu’un scooter, immatriculé à son nom.

Richard N. a aussi bénéficié d’un prêt de 2900 euros qu’il remboursera, promet-il, quand il aura retrouvé son emploi. Il a aussi obtenu un scooter de fonction “qui permet de venir vite quand il y a un problème technique”. Sauf que le technicien bénévole a fait faire une facture à son nom, assure que le scooter a été payé par chèque alors que la facture cite une carte bleue. Quant au véhicule, il l’a immatriculé à son nom.

Prêts personnels et retraits en liquide

Nora B. a pour sa part touché 5000 euros d’un prêt consenti par Gazelle TV. “Mais j’ai tout remboursé en payant les factures EDF parce qu’à l’époque l’association avait clôturé tous ses comptes”, justifie-t-elle. Elle a même fini par rembourser plus “parce qu'[elle] n’arrivait pas à tomber sur la somme exacte”. Pierre Jeanjean souligne que ces remboursements font suite à la garde à vue de l’intéressée. “Cela a-t-il un rapport ?” “Non”, répond Nora B. “Cela arrive souvent devant les tribunaux que les gardes à vue aient cet effet-là”, susurre Pierre Jeanjean.

Et puis il y a ces retraits en liquide qu’effectue Mustapha Zergour en 2013 et 2014 pour un montant total de 53 600 euros. Il les justifie par des travaux entrepris au siège de la radio. Il a d’ailleurs des factures. Mais pas de contrat, ni de reçu. Le procureur Matthieu Vernaudon pointe des incohérences dans leur rédaction. Mustapha Zergour s’alarme. Sa voix se perd dans les aigus : “On m’a tout volé. Tous les papiers. J’ai porté plainte. J’ai indiqué qui je soupçonnais, mais l’enquête n’a rien donné. Et j’étais fatigué, très malade”.

La maladie, la faiblesse, la mémoire qui flanche. Mustapha Zergour tient là sa ligne de défense. Elle ne convainc personne. Le procureur trouve l’affaire “assez simple”, “l’escroquerie évidente”. Il demande deux ans de prison avec sursis pour Zergour, assortis de cinq ans d’interdiction de gérer et d’exercer une activité liée à la radio. Pour les deux receleurs présumés, il demande 2500 euros d’amende. Au nom du FSER, l’État demande 120 000 euros de dommages et intérêts “imputables à monsieur Zergour”. La décision sera rendu le 13 septembre 2021.

L’imam et vice-président du CRCM, Abderrahmane Ghoul assiste à l’audience. (Dessin : Ben 8).

Son avocat Emmanuel Berthier pointe les faiblesses de l’enquête. Il aurait préféré une information judiciaire pour aller plus loin dans la mise en évidence des preuves des délits. “Est ce que c’est monsieur Zergour qui a pris un Ouigo pour voir Mickey à Marne-La-Vallée ?, demande-t-il. Nous n’en savons rien”. Il va plus loin, pointant des acteurs qui tirent des ficelles : “Dans quelle mesure Zergour n’a pas été mis en place [par d’autres] pour agir avec plus de liberté ?” 

Exceptionnellement, à la fin de la plaidoirie, Mustapha Zergour est autorisé à quitter la salle d’audience. Un homme se précipite pour pousser son fauteuil. Il s’agit d’Abderrahmane Ghoul, imam et animateur permanent des émissions sur l’islam. Les ennemis de Zergour voient en lui le successeur du président. Le feuilleton radiophonique n’est pas fini.

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