Enfance en danger : les inspecteurs de l’Igas éreintent la politique du département

Décryptage
le 6 Juin 2023
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L'inspection générale des affaires sociales (Igas) a rendu son rapport sur la gestion des services de l'aide sociale à l'enfance, pilotés par le conseil départemental des Bouches-du-Rhône. Ce document, consulté par Marsactu, salue des améliorations, mais pointe encore des dysfonctionnements criants.

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L'hôtel du conseil départemental à Saint-Just. (Photo : LC)

L'hôtel du conseil départemental à Saint-Just. (Photo : LC)

Nous sommes terrifiés devant le contenu de ce rapport ! Il met des mots sur ce qu’on dénonce depuis des années. Il faut mettre de l’argent là où on a en le plus besoin, sinon c’est la tragédie annoncée !” Valérie Marque, assistante sociale et secrétaire générale de la CGT au Conseil départemental, n’y va pas par quatre chemins. Pour elle, l’avis définitif rendu par l’inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les services de l’aide sociale à l’enfance, compétence du département des Bouches-du-Rhône, révèle “l’ampleur de la catastrophe”.

De la mi-janvier à la fin avril 2022, l’Igas a mené une vaste enquête sur les services de protection de l’enfance de la collectivité pilotée depuis 2015 par Martine Vassal (DVD). Pour ce faire, le gendarme des affaires sociales a auditionné 450 professionnels du secteur dans le département, une centaine de mineurs et de jeunes majeurs, plusieurs dizaines de parents, visité 21 établissements d’accueil et épluché 50 dossiers individuels d’enfants suivis. Les conclusions de cette inspection, que Marsactu a pu consulter, montrent que trop d’enfants ne sont pas pris en charge – ou de manière insatisfaisante – par le département. Conséquente glaçante, l’Igas en déduit même que cela entraîne “une perte de chance” pour les petits concernés.

La mission des inspecteurs a été diligentée en novembre 2021. En matière de protection de l’enfance, la collectivité traverse alors, et ce depuis 2016, une crise sans précédent. De nombreux dispositifs de la prise en charge dysfonctionnent de manière chronique. Notamment le suivi des enfants en danger qui font l’objet d’une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (l’AEMO est une décision judiciaire d’intervention à domicile d’un travailleur social, ordonnée par un juge pour enfant). En août 2021, le département connaît un triste record: plus de 900 dossiers restent en souffrance. Non traités par l’association Sauvegarde 13 – opérateur choisi par le département pour assurer l’essentiel de ces suivis. La crise concerne, en parallèle, l’accueil incomplet et inefficient des mineurs étrangers non accompagnés (MNA), pour lequel le département est épinglé et condamné par la justice.

Un an après cette enquête, le gendarme des affaires sociales rend son avis définitif. En trois tomes et plusieurs centaines de pages, l’inspection souligne des améliorations mais montre que des défaillances profondes demeurent. “Pour moi, c’est un diagnostic qui est posé là, convient Agnès Amiel, conseillère départementale déléguée à la protection maternelle et infantile, à la famille et à l’enfance. Nous n’en ignorions pas les grands axes. Mais cet état des lieux nous permet d’ouvrir des perspectives à la fois dans la continuation de ce que l’on a bien fait, dans des voies d’amélioration ou de création d’autres pratiques.”

Budgets en hausse mais trop faibles

Le corps du rapport s’ouvre sur une demi-satisfaction. Les dépenses de fonctionnement d’action sociale pour la fonction famille et enfance augmentent. Elles sont passées de 208 millions d’euros en 2017 à 265 millions en 2020. “Pour l’exercice 2023, nous atteignons 297 millions, dont 65 millions pour le suivi des mineurs non accompagnés, ce qui montre une réelle volonté politique”, se satisfait Agnès Amiel.

Mais le constat de l’Igas rappelle aussi combien les Bouches-du-Rhône sont un département inégalitaire qui présente un très “haut niveau de vulnérabilité” des enfants : “Les populations pauvres y sont plus nombreuses et plus pauvres que dans le reste du territoire national. Le taux d’enfants vivant dans un ménage pauvre après redistribution (27,6 %) y est également l’un des plus élevés de France.”  Or, pour les inspecteurs – emmenés par l’ex-secrétaire d’État à la ville de Nicolas Sarkozy, Fadela Amara – ce contexte social lourd réclame, de la part du département, une action d’autant plus forte auprès des populations vulnérables concernées. Ce qui n’est pas le cas.

“Les dépenses d’aide sociale à l’enfance par habitant de moins de 20 ans s’élèvent en 2019 à 480 euros [dans les Bouches-du-Rhône], contre 632 euros dans le Nord et 737 euros en Seine-Saint-Denis. De tels chiffres sont particulièrement surprenants au regard des indicateurs de vulnérabilité”

“Cette hausse budgétaire ne couvre même pas l’inflation! Depuis de nombreuses années, nous dénonçons le manque d’investissement par notre collectivité”, rétorque Valérie Marque. D’ailleurs en dépit de cet effort budgétaire notable, les comparaisons avec des départements aux sociologies semblables sont cruelles : “Les dépenses d’aide sociale à l’enfance par habitant de moins de 20 ans s’élèvent en 2019 à 480 euros [dans les Bouches-du-Rhône], contre 632 euros dans le Nord et 737 euros en Seine-Saint-Denis. De tels chiffres sont particulièrement surprenants au regard des indicateurs de vulnérabilité”, s’étonne l’Igas.

À de nombreuses reprises dans son avis, l’inspection enjoint la collectivité à investir financièrement dans l’aide sociale à l’enfance. “Engager plus de moyens et combien ? Là c’est une question à laquelle je ne peux pas répondre”, balaie Agnès Amiel.

300 enfants sur liste d’attente

“Tous les dispositifs de protection sont saturés” dans les Bouches-du-Rhône, décrit le rapport. Concernant les mesures d’action éducative en milieu ouvert (AEMO), l’enquête revient sur la crise, nécessitant la création d’une liste d’attente comptant jusqu’à 912 noms d’enfants, à son pic en août 2021. Un contrôle réalisé par les services départementaux et la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à partir d’avril 2021 relevait de nombreux dysfonctionnements, au sein de Sauvegarde 13, principale association mandatée par le département pour ce suivi.

Cette “crise se résorbe” assure l’Igas. Mais on est encore loin d’une situation acceptable. La liste d’attente compte aujourd’hui encore 250 à 300 AEMO non traitées. La collectivité explique que le nombre d’associations habilitées est passé de quatre à cinq, permettant “le traitement de 600 mesures supplémentaires”.

Pourtant, aux yeux de Stéphane Pianetti, secrétaire général de la CGT Sauvegarde 13, les solutions mises en place par la collectivité restent trop timorées : “Le schéma départemental [voté en début d’année pour 2023-2027] reste totalement sous-dimensionné et sans lien avec les problématiques sociales aiguës du territoire.” Un schéma que la conseillère départementale en charge de l’enfance décrit, elle, comme “une feuille de route peut-être pas ambitieuse mais réaliste”.

Accueil inadapté et possibles maltraitrances en foyers

Autre point crucial soulevé par l’enquête : l’accueil des enfants dans des structures d’urgence ou des maisons d’enfants à caractère social (MECS), c’est-à-dire des foyers, accueil qui au 31 décembre 2020 concernait 77% des enfants confiés au département. “La dynamique de création de places est venue répondre à l’arrivée de nouveaux publics (mineurs non accompagnés) ou a correspondu à de nouveaux dispositifs (placement à domicile)”, approuve l’enquête. Depuis 5 ans, 1890 places d’hébergement ont ainsi été créées, précise Annie Riccio, directrice générale adjointe chargée de la solidarité au sein du département. Toutefois, les Bouches-du-Rhône restent carencées : “Un manque de places d’accueil pérenne (…) conduit les mineurs à demeurer dans les structures d’urgence pour une durée excessive.”

Des établissements présentant des conditions matérielles, d’hygiène, d’entretien et d’aménagement inadaptées à l’accueil d’enfants

Le rapport de l’Igas

Surtout, les inspecteurs ont conduit 21 visites – annoncées ou inopinées – dans des lieux d’accueil. Le rapport égraine de nombreux dysfonctionnements, parfois préoccupants. “Certains établissements adoptent des pratiques et des comportements proches de la toute-puissance”, s’alarment les inspecteurs qui décrivent “des établissements présentant des conditions matérielles, d’hygiène, d’entretien et d’aménagement inadaptées à l’accueil d’enfants”. Ils évoquent également “opacité” et “approches inadéquates dans la prise en charge de l’enfant”, “propos rabaissants et humiliants”, “jugements dévalorisants”… 

Autant d’éléments qui peuvent concourir à des “maltraitrances”. Mauvais traitements qui ont tendance à finir sous le tapis : ces “maltraitances dont peuvent être victimes les enfants sont régulièrement euphémisées (…) et ne donnent pas lieu à une procédure de réparation formalisée.” Les syndicats militent pour la création d’un corps de contrôle spécifique à ces établissements. Ce que préconise également l’Igas.

Des actions éducatives à domicile trop parcellaires

L’inspection juge par ailleurs que les actions éducatives à domicile (AED) décidées par le département restent trop rares. Leur taux est même l’un “des plus faibles de France”. À ce sujet le rapport exhorte le département “à allouer des moyens humains et budgétaires cohérents aux maisons départementales de la solidarité (MDS). À défaut (…) le département risque de reconduire une répartition des capacités incohérente, source d’inégalités.”

L’élue promet des moyens humains avec l’embauche prochaine de 30 éducateurs dédiés aux actions éducatives à domicile. Leur nombre passera de 15 à 45. Agnès Amiel, tout comme Annie Riccio, déplore “la grande difficulté à recruter, en raison du manque d’attractivité des métiers du social”. 

Ces renforts, les syndicats les réclament depuis des années, pointe Valérie Marque : “Pour les AED, on fait des gorges chaudes sur le recrutement de 30 éducateurs. Mais ils seront recrutés sur des contrats de projet, des CDD de trois ans, qui ne leur permettront pas de mener leur mission correctement et de rentrer à terme dans la collectivité. Arrêtons de précariser les missions et les personnels!”   

Du mieux dans la prise en charge des mineurs étrangers

L’accueil et la prise en charge des mineurs étrangers non accompagnés (MNA) a longtemps fait partie des faiblesses manifestes de la politique de protection de l’enfance départementale. L’Igas souligne une meilleure prise en charge globale de ces jeunes avec la création de 774 places d’hébergements. La chambre régionale des comptes, dans son rapport de synthèse sur les suites données à ses recommandations, assure également que le département a suivi l’essentiel des préconisations faites en 2020 sur le sujet.

Fin 2021, le département accueillait 836 mineurs non accompagnés. Aujourd’hui 1022 MNA sont hébergés par les services départementaux. “Aucun mineur non accompagné n’est à la rue et nous avons considérablement amélioré les délais de mise à l’abri qui sont tombés à un jour et demi”, assure l’élue. En outre, salue le rapport, le conseil départemental 13 devrait peu à peu ne plus avoir recours à l’accueil en hôtel, inadapté à l’accueil de ces jeunes. Les inspecteurs regrettent néanmoins un suivi éducatif parfois “négligé”. Régulièrement, des associations pointent aussi le fait que les jeunes non reconnus mineurs sont sortis des dispositifs de logement immédiatement, alors même qu’ils ont fait appel de l’évaluation concernant leur âge.

Moyens humains trop faibles et désorganisés

“Je n’ai plus les moyens de travailler, il y a des injonctions contradictoires, je reçois les gens et je leur dis “ah ok, il vous arrive ça mais je ne peux rien faire”, il y a une perte de sens.” La mission a entendu des personnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE) du CD13. Et les témoignages recueillis – comme celui d’un employé d’une maison de la solidarité du département – montrent le “malaise” d’agents. En témoigne aussi le récent mouvement de grève dans les MDS, qui réclament créations de postes et moyens en adéquation. “Les postes budgétaires de l’Aide sociale à l’enfence augmentent de 11 %, tandis que le nombre de mineurs et jeunes majeurs accueillis augmente de 52 %”, synthétise le gendarme des affaires sociales.

Surtout, l’aide sociale à l’enfance du CD13 ne dispose pas de projet de service à jour : “Les professionnels rencontrés témoignent de façon large d’un sentiment d’absence de culture commune du travail social (…) et d’un défaut d’objectifs stratégiques.” La nécessité de “renforcer les capacités de pilotage stratégique”, de “réorganiser et clarifier la répartition des missions”, s’impose pour éviter une gestion “au fil de l’eau”.

Cette réorganisation profonde, là encore, les syndicats l’appellent de leur vœu et demandent “à y être pleinement associés”. La directrice de l’enfance et de la famille du département a été démise de ses fonctions, à la toute fin du mois de mai. “C’est un changement de poste.  Même si je conviens que la temporalité peut être troublante, cette décision n’est pas consécutive du rapport de l’Igas”, jure Agnès Amiel. Avant de convenir que ce mercato s’inscrit dans la volonté de refonte des services affichée par la collectivité. À moins qu’il ne s’agisse là, comme souffle une source interne, que “d’un fusible qu’on fait péter à cause du rapport”.

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Commentaires

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  1. Karo Karo

    Martine préfère les vieux ils votent !

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Et ils votent “bien”! On pourrait recycler les Maisons du Bel Age qui serviraient enfin à quelque chose.

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    “Engager plus de moyens et combien ? Là c’est une question à laquelle je ne peux pas répondre”… Évidemment, c’est compliqué de financer à la hauteur des besoins le soutien aux plus précaires quand, par ailleurs, on dépense sans compter pour acheter le vote des maires au travers du fameux “soutien aux communes”.

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  3. julijo julijo

    que ce soient des aed ou des aemo, des placements en foyer, ou maintenus au domicile, bref c’est une catastrophe au niveau de la gestion des mineurs.
    que ce soit au niveau de la ville, ou un dossier douloureux sort quasiment chaque semaine, du département ou de la région, les héritiers de gaudin ne savent rien gérer sérieusement.
    effectivement les mineurs non accompagnés ne votent pas, effectivement il faut des sous pour acheter les maires….effectivement le travail social n’est pas ce qui passionne vassal et les mna n’ont pas d’influence et ne rapportent rien.

    je reste toujours effaré de voir ou d’entendre ou de lire, ces gens là, de noter leur certitude, leur arrogance….et ils ne font que de la m…e.
    et il y a encore des gens -pas que des vieux- qui votent pour eux. quelle honte, quelle tristesse.

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  4. Manipulite Manipulite

    Pourquoi ces politiciens se présentent-ils aux élections départementales alors qu’ils ont un mépris total pour les compétences (en l’occurrence sociales) du Conseil départemental ?

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  5. barbapapa barbapapa

    Jusqu’à 900 gamins laissés sans suivi, cela fait combien d’enfants violentés, martyrisés, et pour sûr certains violés… Madame Vassal et Compagnie, arrêtez les maisons du bel âge, arrêtez les redistributions aux communes trop riches, arrêtez les foulards Hermès, faites votre travail, tout simplement, pour l’amour des enfants d’où qu’ils viennent, de quelque milieu ils soient !

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  6. ISJ ISJ

    Peut on avoir accès à ce dossier de IGAS?

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  7. Hector Vigo Hector Vigo

    Notre société s’honore de la protection qu’elle offre à ses enfants. La piétiner ainsi est désastreux. A ce niveau, la question n’est plus financière, ni politique. Elle est morale.

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  8. kukulkan kukulkan

    combien de millions gaspillés dans les maisons du bel age pour combien d’utilisateurs ? un gachis !

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  9. marseillais marseillais

    Marsactu, je vous l’avais déjà proposé, une enquête sur les Maisons du bel âge serait à mon avis révélatrice du gaspillage de deniers publics par le CD13. Comparons le public nombreux et nécessiteux des MDS (maisons de la solidarité) marquées par l’absence de moyens, avec les maisons du bel âge trés souvent sans public, avec pourtant pléthore de personnels à se rouler les pouces toute la journée. Expérience vécue dans plusieurs quartiers de la ville.

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