Duel de repreneur pour sceller le destin d’Alteo Gardanne
Ce mardi le tribunal de commerce de Marseille examine les deux seules offres de reprises de l'usine d'alumine de Gardanne qui ont été maintenues. Au terme d'une procédure de redressement judiciaire d'un an, il devra prendre une décision dans un dossier aux forts enjeux économiques et environnementaux concernant un site industriel célèbre par ses "boues rouges".
crédit : LC
L'enjeu
L'offre de reprise d'UMS veut arrêter le traitement du minerai de bauxite dit "amont". L'autre offre baptisée Alto souhaite conserver l'ensemble de l'usine.
Le contexte
Sans "l'amont", le problème des "boues rouges" serait reporté en Guinée mais une centaine d'emplois devrait être supprimée. Préfet et région s'y opposent au nom d'un impératif de souveraineté.
Ils ne sont plus que deux repreneurs en lice. Ce mardi, le tribunal de commerce de Marseille examine les offres de reprise de l’usine d’alumine d’Alteo avant de trancher en faveur d’un industriel plutôt qu’un autre. Implanté depuis 1894 à Gardanne, le site est en redressement judiciaire depuis un an et en recherche de repreneur depuis cet été. Ce 17 novembre, le tribunal de commerce avait repoussé sa décision à la nouvelle audience de ce mardi en demandant aux huit candidats “d’affiner” leurs offres, en particulier sur les aspects financiers. Six ont préféré renoncer.
En pointe sur les alumines de spécialité à destination de l’électronique, du matériel médical, ou de la composition d’abrasifs, les enjeux de l’avenir de l’usine dépassent la simple opposition des deux visions industrielles restantes. Les questions de l’emploi et de l’environnement pèsent sur la décision concernant le site devenu célèbre pour ses 300 000 tonnes annuelles de déchets issus des “boues rouges”.
Deux projets industriels divergents
Des huit candidats initiaux à la reprise, dont Marsactu avait détaillé les offres, il n’en reste que deux. Le groupe guinéen United mining supply (UMS), dirigé par Fadi Wazni, spécialisé dans la logistique minière en Afrique de l’ouest, se positionne sur un plan de continuation de l’activité. L’industriel rachèterait l’ensemble des actions d’Alteo aux actuels propriétaires, le fonds d’investissement américain HIG (85 %) et l’actuelle équipe dirigeante (15 %).
UMS entend arrêter les activités “amont” de l’usine – soit la transformation du minerai de bauxite par le procédé Bayer mis au point à la fin du XIXe siècle à Gardanne – pour préférer investir sur les seules activités “aval” de raffinage des alumines de spécialité. De cette façon, l’usine de Gardanne n’importerait plus de minerai sous forme de cailloux rouges mais une alumine brute sous forme de poudre blanche. La transition pour l’arrêt de “l’amont” est prévue sur une période de neuf à douze mois.
L’autre projet, est porté par Xavier Perrier, un ancien directeur opérationnel de l’usine, associé au sein de la société Alto avec Alain de Krassny, le propriétaire des groupes chimiques Kem One en France et Donau Chemie en Autriche. Ce plan de cession prévoit la conservation de “l’amont”. Rappelant que la bauxite est considérée comme “matière stratégique” par la Commission européenne, ils présentent leur projet industriel comme un impératif de souveraineté.
Une offre sans suppression d’emplois
Xavier Perrier et Alain de Krassny assurent que l’ensemble des emplois seraient conservés s’ils venaient à être choisis par le tribunal de commerce. En revanche, l’arrêt de “l’amont” tel qu’envisagé par UMS pourrait occasionner la perte de 98 emplois sur les presque 500 que compte l’usine. “On va essayer d’optimiser le processus de transformation de l’usine. Notre objectif est d’amener ce chiffre là le plus proche de zéro, nous expose Alain Moscatello, administrateur d’UMS. On va trouver des solutions avec des reclassements en interne, des départs volontaires… On souhaite un processus de dialogue avec les syndicats, les élus et l’État qui va durer sur tout la période de transition”.
Quel avenir pour le site de Mange-Garri ?
Après que les rejets en mer de “boues rouges” ont pris fin en 2016, au bout de 50 ans, le site de Mange-Garri est le point sensible de la critique environnementale envers Alteo. Associations, riverains et élus dénoncent des envols de poussières et des infiltrations d’eau chargés de métaux lourds et d’une radioactivité naturelle renforcée, depuis ce site de stockage des résidus déshydratés, sur la commune de Bouc-Bel-Air.
Avec Alto, le site de Mange-Garri resterait en fonctionnement. Le repreneur promet des investissements pour améliorer les dispositifs contre les pollutions, en particulier pour le traitement des eaux pluviales. Selon un projet à l’étude, que Marsactu a dévoilé, Alto exporterait la Bauxaline – le nom commerciale des “boues rouges” déshydratées que les différents propriétaires de l’usine ont cherché à valoriser comme matériau de construction – en Côte d’Ivoire pour en faire des briques. Si cela venait à se réaliser, Alto promet que Mange-Garri serait vidé en six ans.
UMS prévoit pour sa part de ne plus se servir de Mange-Garri après la période de transition sans avancer pour l’heure de piste précise de remise en état du site. “Notre but est de mettre tout le monde autour de la table pour étudier plusieurs possibilités, notamment un processus de couverture”, dit Alain Moscatello. Le préfet Christophe Mirmand a prévu de signer une dérogation de 16 mois pour prolonger l’exploitation de Mange-Garri après l’actuelle autorisation se terminant le 8 juin prochain.
Et pour la conduite à la mer ?
Longue de 50 kilomètres, la canalisation a transporté les boues rouges au large de Cassis de 1966 à fin 2015. Par le jeu des courants marins, plusieurs dizaines de millions de tonnes ont pollué durablement la Méditerranée entre Fos et Toulon. Elle rejette toujours des effluents liquides, dans les normes depuis cet été. Ce qui ne signifie pas l’absence de tout rejet polluant, comme Marsactu l’a rappelé.
Le projet Alto propose d’améliorer encore le traitement de l’eau utilisée lors du processus “d’attaque” de la bauxite. “On pourrait la rendre au canal de Provence, ce qui permettrait d’autres usages plutôt que de la renvoyer en mer”, évoque Xavier Perrier. Dans ce cadre, “la possibilité de rejets aqueux à la mer ne sera utilisée qu’en cas de fortes pluies pour rejeter des eaux d’écoulement préalablement testées et validées”, précise le document du projet Alto déposé au tribunal de commerce, que nous avons pu consulter. In fine, le démantèlement de la conduite est envisagé par les deux candidats. Ce qu’ils conditionnent à un soutien des pouvoirs publics.
L’ancien propriétaire paiera-t-il la dépollution ?
Les deux candidats repreneurs espèrent pouvoir bénéficier de la “garantie environnementale” qui lie l’ancien propriétaire de l’usine, Rio Tinto à Alteo. Celle-ci prévoit l’engagement financier de Rio Tinto pour garantir la remise en état des installations d’Alteo, dont Mange-Garri et la conduite à la mer. En septembre, Rio Tinto avait signifié au tribunal de commerce que cette garantie ne serait cédée qu’à un repreneur qui conserverait “l’amont”, comme l’avait rapporté Le Monde. L’acteur majeur du secteur de l’aluminium est toujours fournisseur en bauxite de l’usine de Gardanne. C’est probablement le positionnement de Rio Tinto qui a dissuadé les six autres candidats de poursuivre leurs offres. Même s’il souhaite arrêter “l’amont”, UMS affirme pouvoir bénéficier de cette clause. “C’est très clair parce que l’on achète Alteo holding. Nos avocats sont confiants”, considère Alain Moscatello.
Des élus partagés sur le meilleur candidat
Du côté des élus, les préférences sont diverses. Dans un courrier au tribunal de commerce cosigné avec le préfet, que Marsactu a révélé, le président LR de la région Renaud Muselier a affirmé sa volonté conjointe avec l’État de conserver “l’amont”. “Il nous semble impératif de tout mettre en œuvre pour faire émerger une solution qui préserve l’ensemble de l’activité de l’entreprise, de l’amont à l’aval”, y est-il écrit. État et région veulent soutenir financièrement la valorisation de la Bauxaline à hauteur de deux millions d’euros pour un premier projet visant à démontrer son potentiel de réutilisation et se disent prêts à suivre pour l’investissement que nécessiterait une version plus aboutie, chiffré à 25 millions d’euros.
Même s’il aurait préféré “une prise de contrôle par l’État”, le député (Liberté Écologie Fraternité) François-Michel Lambert veut lui aussi voir poursuivre “l’amont”. “Grâce à ses investissements, Alteo maîtrise l’impact de la pollution. On pourrait aller encore plus loin et on lâcherait tout alors qu’on a un acteur qui propose une stratégie ?”, dit-il en fustigeant les élus qui ont choisi de soutenir UMS.
Jusque-là opposés à propos de Mange-Garri, les maires LR de Gardanne et de Bouc-Bel-Air ont affirmé conjointement dans un communiqué leur confiance dans l’offre d’UMS, considérée comme la plus solide économiquement. Le maire de Gardanne aurait préféré défendre “l’amont”, mais considérant la fragilité financière du projet Alto il ne reste à ses yeux “qu’un seul repreneur potentiel, UMS. Malheureusement, il comprend la suppression de 98 emplois, liés à la fermeture de l’activité amont, mais permet d’en sauver plus de 360. Sans UMS, c’est Alteo qui disparaît totalement avec ses 2000 emplois directs et indirects”, nous précise Hervé Granier. Quant à son homologue de Bouc-Bel-Air, il a envoyé un courrier commun au tribunal de commerce avec les maires de Simiane-Collongue et de Cabriès pour réaffirmer leur volonté de fermer Mange-Garri.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
« impératif de souveraineté » : naïveté ou nouvelle esbroufe pour nous faire croire que les entreprises ont les mains libres pour choisir leur destin ? Si on devait faire la liste des fleurons nationaux passés aux fonds de pensions domiciliés dans les paradis fiscaux après avoir englouti des milliards, Muselier serait la énième marionnette à ouvrir le chéquier.
Quant à la pollution en mer, au regard des constats de rejets « sournois » qui se pratiquent régulièrement en sortie de stations d’épuration du littoral (avec la bénédiction du Préfet), on se demande bien qui va aller vérifier la composition des effluents en profondeur : Ballesta ?
Sur le papier, tout est magique. Dans la réalité, il n’y a plus personne pour contrôler (Lubrizol en fait la démonstration). Les élus de PACA n’ont pas fini de vouloir nous faire avaler des couleuvres.
Se connecter pour écrire un commentaire.