Drame des Flamants : désorganisation et lenteur des pouvoirs publics sont pointées du doigt

Actualité
le 20 Juil 2021
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L'incendie survenu le 17 juillet dans un immeuble squatté à 90%, soulève la question de l'efficacité des politiques publiques en matière de résorption du mal-logement et d'accompagnement des personnes en situation de migration.

Drame des Flamants : désorganisation et lenteur des pouvoirs publics sont pointées du doigt
Drame des Flamants : désorganisation et lenteur des pouvoirs publics sont pointées du doigt

Drame des Flamants : désorganisation et lenteur des pouvoirs publics sont pointées du doigt

Comme une partie de ping pong géante. Trois jours après le drame qui a fait trois morts aux Flamants (14e) – trois hommes d’origine nigériane, âgés en 20 et 30 ans, se sont défenestrés pour échapper à un incendie qui avait pris dans le bâtiment A2. L’enquête se dirige vers la piste d’un feu d’origine criminelle. Malgré tout, reste la lourde responsabilité de l’état de cet immeuble HLM squatté et très dégradé. Sur ce sujet, les acteurs institutionnels locaux ont tendance à se renvoyer la balle.

Depuis des mois, sinon des années, les derniers locataires possédant un titre de location en bonne et due forme alertaient sur la dégradation patente du tripode – vaste édifice en forme de “Y” composé de quatre immeubles aux entrées distinctes. L’ensemble est la propriété de 13 Habitat, le bailleur social du département des Bouches-du-Rhône que préside Martine Vassal (LR). Promis à une démolition partielle, ses habitants sont en cours de relogement depuis des années. Sur ses 147 appartements, 90% étaient squattés, notamment par des demandeurs d’asile ou des déboutés du droit d’asile issus de la communauté nigériane. Le temps d’un reportage, en avril dernier, Marsactu avait documenté les difficultés quotidiennes des résidents et les tensions croissantes causées par la présence des squatteurs et d’un point de deal.

Les escaliers sont régulièrement bloqués par des encombrants qui peuvent à tout moment prendre feu.

Les locataires dans un courrier en 2019

Dans plusieurs courriers que nous avons a pu consulter, les ultimes locataires en attente d’être relogés, décrivent leurs “conditions de vie (…) devenues insupportables”. Le 16 décembre 2019, ils écrivent à Lionel Royer-Perreaut (LR), le président de 13 Habitat et 2e vice-président du conseil de Territoire Marseille-Provence délégué à l’habitat, à l’habitat indigne et au logement. Dans une phrase cruellement prophétique, les habitants préviennent :“les escaliers sont régulièrement bloqués par des encombrants qui peuvent à tout moment prendre feu se propageant ainsi dangereusement car rapidement.” Plus loin encore, ils expliquent : “en cas d’incendie, les issues de secours sont inaccessibles”. Le courrier met en demeure le bailleur de réaliser des travaux pour libérer ces issues afin que la sécurité des occupants “soit pleinement garantie.”

“J’ai ces courriers. Et à chaque fois nous avons fait les travaux sur lesquels nous avons été alertés, assure Lionel Royer Perreaut. Mais dans des immeubles squattés à plus de 80%, vous pouvez faire tous les travaux que vous voulez, c’est un puits sans fond”. Le président du bailleur social est droit dans ses bottes. L’organisme a fait “du mieux qu’il a pu”, répète-t-il : “On a dévitalisé tous les appartements lorsqu’ils étaient inoccupés afin qu’ils ne soient pas squattés, mais on est face à des gens qui dé-soudent les portes à peine nous les avons soudées.”

“La loi est mal faite”

Un bailleur – public comme privé – a 48 h pour faire évacuer des squatteurs de son bien avec le concours de la force publique à compter du début de l’occupation. Passé ce délai, reste la plainte. Le bailleur a déposé 99 plaintes ces derniers mois. Leurs dossiers sont à des étapes diverses de la procédure qui peut durer des mois. “La loi est mal faite, il faudrait une procédure dérogatoire au droit commun”, dit l’élu.

L’organisme qu’il préside n’est donc pas défaillant ? “Non, non, non ! Absolument pas !”, martèle Lionel Royer-Perreaut. “Quelqu’un a mis le feu avec les conséquences que l’on sait, arrêtons de chercher les responsabilités là où elles ne sont pas. La situation existe à Kalliste, Campagne Lévêque et ailleurs ! Nous les bailleurs, on est seuls et personne ne nous aide.” En termes de responsabilité, “chacun a sa part”, assume-t-il.

L’organisme a tardé à reloger les derniers locataires en place. En avril, épuisés par la cohabitation avec les squatteurs, certains d’entre eux avaient manifesté devant le siège de 13 Habitat. Le processus s’est étiré sur plusieurs années, laissant finalement ces immeubles vacants dans leur très grande partie. Une lenteur qui va de pair avec celle de programmes de rénovation urbaine à Marseille. Et la question est cruciale.

Il faut aussi compter avec les tensions politiques locales, forcément aggravantes dans le cas des dossiers de rénovation urbaine comme aux Flamants. Un militant associatif engagé dans la lutte contre le mal logement soupire : “À Marseille, on n’a jamais été bons là-dessus. Sur les programmes de renouvellement urbain, il y a un vrai problème de gouvernance.”

Le cercle vicieux de squat en squat

Aux yeux de Florent Houdmon directeur de l’agence régionale de la Fondation Abbé-Pierre, la question du relogement des derniers locataires titrés apparaît toutefois comme “presque anecdotique”, même s’il faut s’attendre à de nouvelles vagues de renouvellement avec le démarrage du NPNRU 2, prochain programme de rénovation attendu. Florent Houdmon recentre le débat sur la question de l’hébergement des demandeurs d’asile et des sans-papiers : “Ce drame, c’est celui de la non prise en charge de gens en grande pauvreté par l’État. La loi – via le code de l’action sociale et de la famille – est formelle : toute personne à la rue doit être hébergée de façon pérenne. “

Le directeur régional de la Fondation Abbé-Pierre pointe la responsabilité de l’État dans le manque de places d’hébergement. Il dessine un cercle vicieux imparable : “Les gens n’ont pas de quoi se loger. Ils squattent. Leur squat brûle. On les envoie pour 10 nuits dans un hôtel, qu’ils quittent au bout d’une nuit parce qu’ils ne peuvent pas s’y faire à manger… Ils retournent dans un squat et ça recommence. En fait, on place ces personnes dans la main de marchands de sommeil et d’emprises mafieuses, juste parce que pour des raisons politiques on ne veut pas regarder la réalité en face… C’est une gestion absurde. Elle coûte plus cher au contribuable et elle est inhumaine”, dénonce-t-il.

Saïd Ahamada, lui, saisit la balle au bond et la renvoie… dans le camp des acteurs locaux. “Il y a eu a minima une absence d’actes qui a amené à ce drame, des erreurs par omission, des manquements. De la part de qui : du bailleur ?, des institutions locales ?, des forces de sécurité ? Je ne sais pas. Mais on savait depuis des mois que ça allait arriver”, commente le député La République en Marche de la 7ᵉ circonscription des Bouches-du-Rhône. Il pique : “Après le drame de la rue d’Aubagne, sur la question du mal-logement, l’État a fait ce qu’il fallait. Il a créé une société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN), il a mis de l’argent. Mais vous avez vu la Ville de Marseille se saisir de la question, vous ? Et la métropole ?”

À la recherche d’une nouvelle méthodologie

Adjointe au maire de Marseille en charge des affaires sociales, Audrey Garino (PCF) rappelle que la ville n’a pas de compétence dans le logement (métropole) et dans le domaine de l’hébergement d’urgence (Etat). Pour autant, elle en convient, “la réalité nous prouve que les politiques publiques ne sont pas efficientes en la matière. Raison pour laquelle nous avons signé avec l’État un contrat territorial d’accueil et d’intégration des réfugiés (CTAIR) pour accompagner au mieux les personnes en situation de migration dans tous leurs droits, y compris l’accès au logement. On veut être proactifs sur cette question.” Mais avec quelque 2000 places d’accueil tous publics confondus et l’ambition d’en créer 1000 dans les années à venir, pour 12 000 personnes sans abri sur la ville, c’est peut dire que Marseille connaît une situation de sous-dotation manifeste.

Maire-adjointe en charge de l’équité et de l’égalité des territoires, Samia Ghali ne l’ignore pas : l’incendie des Flamants et l’évacuation des quatre bâtiments du tripode n’a fait que déplacer le problème, sans le résoudre. “Il ne faut pas focaliser sur les Flamants, d’autant qu’une enquête est en cours”, glisse celle qui a dans ses attributions la relation avec lʼAgence nationale de rénovation urbaine (ANRU). “Mais au-delà du drame, le problème, c’est la méthodologie du traitement de ces questions. On ne peut pas être dans un système où il faut tout le temps gueuler auprès des services de l’État pour obtenir quelque chose !”

“La seule certitude c’est qu’en continuant comme ça on aura d’autres drames.”

Le député LREM Saïd Ahamada dit avoir missionné le préfet pour organiser à la rentrée une réunion avec tous les acteurs de la question – les bailleurs publics et privés, les institutions dont les compétences se chevauchent, les associations. Samia Ghali, elle aussi, insiste sur la nécessité d’une action concertée.

L’initiative, si elle ne se perd pas en réunions surnuméraires et accouche de décisions concrètes, pourrait aussi convaincre les acteurs associatifs. Car sur le terrain, la situation se tend très sensiblement. “Avant les Flamants, il s’est passé des choses similaires au bâtiment A de Corot, à la Tour B de Kallisté… Tous les ans, il y a des incidents plus ou moins graves, à cause d’une gestion absurde, déplore Florent Houdmon de la Fondation Abbé-Pierre. Demain, cela peut arriver aux Rosiers. La seule certitude, c’est qu’en continuant comme ça on aura d’autres drames.”

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Commentaires

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  1. Andre Andre

    Question hérétique s’il en est : déboutés du droit d’asile, que faisaient ils encore aux Flamants?
    Cela met une fois de plus en lumière l’absurdité de notre politique migratoire. Déboutés ils n’avaient plus, je pense, droit à un hébergement adminustratif et donc livrés à eux mêmes dans un pays où ils ne veulent pas rester mais empêchés d’en partir pour aller en Angleterre, sans être reconduits pour autant dans leurs pays d’origine.
    Des places d’hébergement il en faudrait sans doute plus mais dans la situation actuelle, ce ne sera jamais assez.
    Alors? C’est évident que 13 Habitat, la Ville, la Métropole, la Pref des B du Rh auxquels ont pourra toujours reprocher des lenteurs, sont dépassés par la situation.
    Les vrais responsables ne sont pas ici.
    Quefait l’État, que fait l’Europe?
    Et s’ ils arrêtaient d’exploiter d’Afrique et de soutenir des gouvetnements corrompus?

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  2. didier L didier L

    A André … votre question n’est pas hérétique, elle remet les choses à leur place. Une ville, une cité, un quartier ne peuvent pas être les réceptacles uniques d’une mondialisation aveugle et corrompue.
    Des Nigerians qui fuient la misère er viennent se ” réfugier” à Marseille alors que leur pays est le premier producteur de pétrole du continent africain, devant l’Algérie et l’Angola, cela pose question. Le Nigeria n’est pas un pays pauvre. Une répartition juste de la richesse du pays devrait permettre à chaque Nigerian de vivre décemment dans son pays, sans risquer sa vie pour rejoindre le ” confort” des pays occidentaux, aux économies capitalistes. mais ce n’est pas le cas. Donc cette idée que l’Europe peut ou doit accueillir tous les migrants devrait être revue à travers ce prisme. Il faut arrêter de verser des larmes de crocodiles à chaque nouveau drame et voir les choses en face, ainsi que le dit André : l’exploitation de l’Afrique et le soutien des gouvernements corrompus doivent cesser. Voeux pieux ? Alors le ” jamais assez continuera” ainsi que les drames à répétition et le délitement et fractionnement lent de notre société, dont on voit les prémisses.

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    • corsaire vert corsaire vert

      Bien .. la solution serait là mais les puissances occidentales sont elles engagées dans ce combat ?
      Non puisque l’occident entretient et soutient les politiques désastreuses pour la population des despotes qui les servent .
      Alors , qu’importe la vie de quelques migrants auxquels on a fait miroiter le mirage de l’Europe ?
      Leur vie face aux intérêts financiers ? elle ne pèse pas lourd .

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  3. Oreo Oreo

    Le bailleur social est clairement dans son tort, et c’est lui même qui l’explique : il était parfaitement au courant de la situation de sécurité dégradée alarmante de l’immeuble, il n’était pas/plus en mesure d’assurer les travaux indispensables de mise en sécurité des occupants. Il aurait du 1/ démontrer et faire constater cette impossibilité, 2/ la signaler aux service compétents de la ville et de l’État pour que l’immeuble soit évacué.

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    • didier L didier L

      Facile à dire , mais dans les faits évacuer un squat de plusieurs dizaines de personnes mélange de réelles personnes en souffrances, de dealers, de gangs etc est à la fois une décision politique et d’ordre public. Tous les habitants de ce squat ne relèvent pas du même statut, très loin s’en faut. L’intervention de la police est nécessaire alors quand et comment utilise- t-on la force public, bref les flics pour faire ce boulot pas très agréables mais quelque fois nécessaires ? Le préfet, le maire, le conseil départemental etc … pensaient pouvoir passer l’été tranquille en touchant du bois pour cette situation malsaine dure encore un peu, c’est raté

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    • petitvelo petitvelo

      L’industrie du squat s’est parfaitement adaptée aux textes de lois. L’Etat beaucoup moins au “droit au logement opposable” …

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  4. Oreo Oreo

    Didier L, ça été fait par la Ville, la Métropole à Corot, dans un copropriété privée, ça a été fait au Petit Séminaire, dans les 2 cas avec les concours efficaces de la police et des services de l’État. Aux Flamants, Le bailleur n’en a pas fait la demande, pourquoi ? Un bailleur social n’aurait t-il pas l’obligation d’interrompre l’exploitation d’un immeuble dangereux pour les occupants, de mettre ses locataires en sécurité et de neutraliser le bâtiment ?

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  5. Alain PAUL Alain PAUL

    Je suis d’accord avec Oreo, la responsabilité en incombe uniquement au propriétaire qui doit assurer la sécurité des locataires en titre.
    Il n’est pas normal que les squatteurs aient pris possession de cet immeuble sans intervention forte.
    Les moyens de neutralisation existent : murages des portes, démolitions partielles des escaliers, équipe de sécurité sur place surtout qd l’immeuble est presque vide.
    Ce n’est pas une question d’argent mais de service à rendre par le propriétaire qui DOIT le faire.
    Les squatteurs, par définition, squattent ce qui est disponible.
    Il est trop facile d’incriminer tout le bataclan administratif dont on sait qu’il n’en peu mais.
    Il n’y avait pas la volonté de protéger les locataires, c’est tout.
    Le propriétaire n’a pas pris son immeuble en main et a laissé la situation devenir indémerdable.

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