Dix ans après, la justice reconnaît une escroquerie aux diplômes à Sciences po Aix

Décryptage
le 17 Avr 2024
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La condamnation de l'ex-directeur Christian Duval et de son adjoint Stéphane Boudrandi ce 16 avril porte un premier jugement quant à la crise qui a secoué la grande école à l'automne 2014 suite aux révélations de Marsactu et Mediapart.

Le bâtiment de Sciences po à Aix. (Photo : Marie Lagache)
Le bâtiment de Sciences po à Aix. (Photo : Marie Lagache)

Le bâtiment de Sciences po à Aix. (Photo : Marie Lagache)

La marchandisation tous azimuts des diplômes de Sciences po Aix était bien une escroquerie, a jugé le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence ce mardi 16 avril. Malgré ses dénégations, l’ex-directeur Christian Duval est condamné à un an et demi de prison avec sursis et son adjoint à neuf mois avec sursis. Dix ans après les révélations de Marsactu et Mediapart sur la vente des diplômes de l’institut d’études politiques (IEP) qui avaient conduit à la démission de Christian Duval en novembre 2014, la justice confirme l’existence d’une tromperie au sein de cette “grande école en Provence”.

Présent au prononcé du jugement, l’actuel directeur et successeur de Christian Duval, Rostane Mehdi, s’est réjoui de cette décision : “Justice a été rendue. Cette reconnaissance de l’escroquerie montre que ce combat mené depuis neuf ans était justifié. Je me félicite que la réputation de notre établissement et son crédit aient été rétablis.” Partie civile au procès, l’IEP recevra de Christian Duval et Stéphane Boudrandi une somme globale de 30 000 euros en compensation du préjudice financier, moral et d’image.

765 étudiants trompés

Le tribunal avait à juger la situation dans laquelle se sont retrouvés 765 étudiants recrutés par des entreprises de formation privées, conventionnées avec Sciences po. Ces organismes étaient établis et recrutaient sur pas moins de trois continents. Ils attiraient leurs clients en agitant le logo et le prestige de l’école de la rue Gaston de Saporta. Pour eux, l’affaire était lucrative puisqu’un seul étudiant pouvait régler jusqu’à 23 000 euros afin de suivre la formation. Seule une maigre part, environ 1000 euros, revenait alors à l’IEP.

Dans ce contexte, une bonne part des étudiants, notamment étrangers, pensaient obtenir un diplôme labellisé IEP quand en réalité, ils se voyaient attribuer un diplôme d’Aix-Marseille université, un master en management de l’information stratégique. “Peut-être que quelques étudiants ont pu être noyés et ne rien comprendre à ce qui se passait”, avait admis du bout des lèvres Christian Duval durant l’audience sans que cela ne constitue un aveu.

Le tribunal ne retient pas le “diplôme maison” comme un diplôme bidon

Cette ambiguïté avait connu son paroxysme quand des syndicalistes de la CGC, qui suivaient des enseignements au sein même de l’IEP via un partenaire privé, avaient appris qu’ils n’obtiendraient pas la précieuse estampille. Face à leurs réclamations pressantes, Christian Duval avait alors fait établir un document mentionnant l’obtention du grade de master aux armoiries de l’institut, qu’il avait signé. Cheville ouvrière de ce système de partenariats, Stéphane Boudrandi évoquait alors dans un mail un “diplôme maison”.

Lors de l’audience avait été largement débattue la nature de ce document. La vice-procureure Nathalie Vergez avait rappelé qu’à ses yeux il s’agissait bien d’un faux, un diplôme bidon. La défense de Christian Duval et Stéphane Boudrandi avait alors argué qu’il s’agissait d’une simple attestation puisque le document ne comportait pas l’ensemble des mentions légalement apposées sur un diplôme. Une version que le tribunal, dont les motivations ne sont pour l’heure pas connues, semble avoir finalement épousée, puisque les prévenus ont été relaxés de l’accusation de faux.

Christian Duval a aussi obtenu une autre victoire : la relaxe sur le détournement de fonds publics. Selon le tribunal, il pouvait donc laisser les organismes extérieurs percevoir les frais d’inscription, sans être condamné. “C’est une victoire de voir abandonnée cette accusation infamante”, a pu se féliciter son avocat Pierre Gassend à la sortie de l’audience et en l’absence de son client.

D’autres délits dans la gestion de l’IEP

Pourtant, d’autres faits, annexes à la question des formations externalisées, viennent colorer négativement le mandat Duval. Il est ainsi reconnu coupable de favoritisme dans l’attribution du marché public de conception du site internet, attribué sans concurrence à des proches de son directeur de la communication. Il est aussi avéré aux yeux du tribunal qu’il a établi des faux procès-verbaux du conseil d’administration pour couvrir sa généreuse politique de primes. Il est encore condamné pour prise illégale d’intérêts en ce qu’il a embauché ponctuellement son fils pour des corrections de copie et en promouvant son épouse, salariée de l’IEP, comme directrice administrative et financière.

Ces faits étaient en réalité la queue de comète d’un dossier judiciaire beaucoup plus fourni qui a débouché sur un procès maigrelet, malgré les tentatives du parquet d’Aix de relancer l’instruction. Cela permet à Pierre Gassend d’estimer que ce dossier ne constitue pour lui qu’un ensemble de “problématiques de gouvernance qui auraient dû se régler par d’autres moyens, notamment avec la démission de Christian Duval”. Mardi 16 avril, il a expliqué que son client, qui maintient que “sa seule volonté était de servir l’intérêt général de l’IEP”, se réserve “la possibilité de faire appel”.

Quatre (ex-)employées condamnées sans peine
Quatre employées ou ex-employées de Sciences po Aix se trouvaient sur les mêmes bancs que Christian Duval et Stéphane Boudrandi pour des faits mineurs exercés sur ordre de leur hiérarchie. Elles ont été jugées coupables mais dispensées de peine par le tribunal.
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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    C’est vraiment peu cher payé pour une telle escroquerie.
    L’affaire a mis trop de temps à être jugée.

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