Après trois jours de procès, l’ex-directeur de Sciences po Aix risque deux ans avec sursis

Reportage
le 16 Fév 2024
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Depuis mercredi se tenait le procès de l'ancien directeur de l'institut d'études politiques d'Aix. Au côté d'anciens collègues, Christian Duval a maintenu que les formations externalisées qu'il avait mises en place au sein de l'école ne relevaient pas de l'escroquerie.

Le bâtiment historique de Science po Aix. (Photo : ML)
Le bâtiment historique de Science po Aix. (Photo : ML)

Le bâtiment historique de Science po Aix. (Photo : ML)

Au beau milieu de son procès, Christian Duval se met à pleurer. Le directeur n’a toujours pas digéré d’avoir dû quitter la direction de Sciences po Aix en décembre 2014. Avec le recul, assure-t-il, il n’aurait pas dû démissionner après la crise née des révélations de Mediapart et Marsactu sur l’externalisation massive des diplômes de l’institut d’études politiques (IEP) : c’était “une erreur” commise “par faiblesse”. Jugé notamment pour escroquerie et détournement de fonds publics, il est accusé d’avoir trompé 765 étudiants à qui il aurait fait miroiter un diplôme de Sciences po Aix, alors qu’ils n’appartenaient pas au cursus officiel.

Durant trois jours, face au tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence, Christian Duval a tenté de montrer qu’il n’avait jamais fauté durant son mandat. “Je me suis dévoué corps et âme à l’IEP”, assure celui qui en a été le directeur à partir de 2006. “Pour moi, poursuit-il, la recherche de ressources supplémentaires, c’était essentiel.” N’a-t-il pas aussi développé “136 partenariats internationaux”, “une convention avec la CMA-CGM à hauteur de 100 000 euros” moyennant l’organisation de tables rondes, recruté Christine Lagarde comme présidente pour le prestige du conseil d’administration ? “Folie des grandeurs”, répondent plusieurs acteurs du dossier dont l’administrateur provisoire qui lui a succédé, Didier Laussel venu rappeler à la barre comment il avait dû en catastrophe trouver une solution pour les étudiants de ces formations externalisées qui se retrouvaient “le bec dans l’eau”.

“J’aurais cru à un diplôme”

Lors de son arrivée, il avait pu récupérer un audit demandé par Aix-Marseille université (AMU) et les premiers éléments de la Cour des comptes qui inspectait l’établissement pour constater que nos révélations étaient fondées. L’université ajoutait avoir découvert des diplômes de master estampillés IEP, agités comme preuve-clé à l’audience et qualifiés de faux dans les préventions.

Régulièrement, ce document portant les mentions “master” et “République française” aura été brandi par la présidente Estelle Lassaussois. “On m’aurait donné ça, j’aurais cru à un diplôme”, lâche-t-elle au cours des débats. Des syndicalistes de la CFE-CGC en formation continue s’étaient étonnés de ne pas recevoir à l’issue de leur cursus de diplôme siglé IEP. Christian Duval, qui savait que l’IEP ne faisait passer des masters qu’au nom d’Aix-Marseille université, avait alors signé ce document. À l’audience, il a estimé avoir seulement délivré “une attestation” puisque plusieurs mentions légales n’apparaissaient pas et que lui-même n’avait “pas le droit de signer de diplôme”. Collé à lui sur le banc des prévenus comme dans son discours à la barre, son ancien adjoint Stéphane Boudrandi est resté sur la même défense : “Pour moi, il n’y avait aucune ambiguïté”. Et qu’importe si un de ses mails de l’époque commandant leur impression qualifie ces documents de “diplômes maison”.

Ces documents participent aux yeux de l’accusation d’une confusion entretenue sur le diplôme réel ainsi commercialisé. Tout porte à croire que c’est bien “le macaron Sciences po”, selon les termes d’un étudiant, qui permettait à l’IEP d’Aix de développer son business sur trois continents, de l’Île Maurice à la Chine en passant par plusieurs pays européens. C’est ce qui vaut aux deux prévenus l’accusation d’escroquerie à laquelle s’ajoute le détournement de fonds publics visant la perception des frais d’inscription en lieu et place de l’IEP par les organismes privés. En répression, la vice-procureure réclame deux ans de prison avec sursis et une amende de 20 000 euros pour Christian Duval, un an de prison avec sursis et 5000 euros d’amende pour Stéphane Boudrandi.

“Ils n’auraient pas dû obtenir de bac +5”

Au fil de ses réquisitions, Nathalie Vergez avait rappelé que la définition de l’escroquerie aurait pu être étendue : “Cette politique d’externalisation à tout-va a entraîné des cours qui ne correspondaient plus aux attentes d’un master AMU. Les cours et les enseignements ne correspondaient plus à la maquette. La conséquence, c’est qu’AMU, si elle avait su que la maquette était dévoyée, n’aurait pas délivré ces masters. Ces étudiants, en quelques heures d’enseignement, ont bénéficié d’un bac +5. Pour la plupart d’entre eux, ils n’auraient pas dû obtenir de diplôme bac +5 tout court”.

Christian Duval, lui, ne fait que peu de cas de ces étudiants qui l’ont échappé belle. “Je me souciais moins des masters que des diplômes de l’IEP [qui valide le parcours complet de cinq années d’études à l’IEP, ndlr]. J’étais directeur de l’IEP après tout”, explique-t-il. De fait, les étudiants apparaissaient parfois avoir été baladés dans les méandres de l’IEP bis qui avait été mis en place. C’est ainsi que certains avaient été domiciliés fictivement au sein de l’université professionnelle d’Afrique, basée à Kinshasa, afin de pouvoir bénéficier du précieux partenariat avec Sciences po. Tout en ne voyant, pour certains, jamais le centre-ville d’Aix-en-Provence et la rue Gaston-de-Saporta où se situe le siège de l’IEP.

Pour la représentante du parquet, la gestion de l’IEP par Christian Duval était “irrégulière et frauduleuse”.

Quand il s’est agi de démêler l’écheveau, la tâche a été particulièrement complexe, rappelle Romain Kail, l’avocat de Sciences po Aix. Il fallait fouiller dans les placards pour retrouver les conventions […] Ça a un prix de faire le ménage, ça a un prix de répondre aux questions des enquêteurs. C’est du temps de travail occupé qui n’est normalement pas occupé à une mission qui n’est pas celle de cet agent”, explique celui qui a réclamé 139 000 euros de dommages et intérêts pour un institut dont, expliquait-il, l’image et la réputation avaient été considérablement “dégradées“. De fait, les autres éléments de ce procès soulignent les errements de la mandature Christian Duval, professeur de droit public qui se révèle peu regardant sur les procédures. “Je qualifie aujourd’hui cette gestion d’irrégulière et frauduleuse“, souligne la représentante du parquet d’Aix-en-Provence. Nathalie Vergez constate des “faits très graves” dont la révélation a déclenché “un véritable séisme” au sein de l’IEP.

Les oublis de Christian Duval

Plusieurs fois à la barre, le directeur se montre flottant, voire hésitant. Niant tous les faits reprochés, il se retrouve ainsi confronté à la signature d’une analyse des offres pour le site Internet de l’IEP quand le candidat semble, selon plusieurs témoignages et documents, avoir été choisi bien avant. Mais il concède rapidement qu’il n’a pas participé à une réunion de ce type et que s’il a signé ce document, c’est qu’il ne l’a pas lu. À d’autres reprises, il dit la distance avec laquelle il regarde certains papiers qui lui sont soumis.

Il en va ainsi des procès-verbaux de conseil d’administration présentés comme antidatés et faux par l’accusation. S’il explique que c’est bien sur la base de ses notes qu’étaient rédigés les compte-rendus, il indique aussi que les mentions de vote litigieuses échappaient à son écriture quand bien même la personne chargée de compléter le document n’était pas présente dans l’enceinte de la réunion. Souvent, il s’abrite derrière les autorités de contrôle : l’agent comptable qui validait les dépenses, mais aussi Aix-Marseille université qui ne tiquait pas sur la délivrance de ses masters.

À quel moment on nous condamnerait pour la relation qu’il y a eu entre les étudiants et leur organisme de formation ?

Cédric Ferrier, avocat de Christian Duval

Durant leur plaidoirie, ses avocats – comme avant eux Christophe Bass pour Stéphane Boudrandi – pointeront une défaillance des deux autres maillons de la chaîne : les partenaires privés et les étudiants. “À quel moment on nous condamnerait pour la relation qu’il y a eu entre les étudiants et leur organisme de formation ?”, s’interroge Cédric Ferrier qui fustige “la crédulité des élèves”. Son confrère Pierre Gassend tentera de réhabiliter Christian Duval en visionnaire, ayant souhaité diffuser à un plus grand nombre “l’excellence” de Sciences po Aix. Ses contempteurs ne seraient en réalité que des “tenants de l’ancien monde”, assure-t-il. Christian Duval et Stéphane Boudrandi étaient-ils des bons ou des mauvais génies ? Le tribunal donnera sa réponse le 16 avril.

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Commentaires

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  1. Christian Christian

    Dans ce dossier compliqué, un élément apparaît clairement : cet ex directeur a confondu service public et bidouillages commerciaux.

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  2. Gabriel Gabriel

    Une cabale contre un directeur qui a voulu le rayonnement international de l’IEP d’Aix 🙂 !

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