Détournement de fonds et diplômes bidons : l’ex-directeur de Sciences po Aix au tribunal

Info Marsactu
le 12 Fév 2024
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Directeur de l'Institut d'études politiques (IEP) d'Aix-en-Provence de 2006 à 2014, le professeur de droit public Christian Duval comparaît à compter du 14 février devant le tribunal judiciaire notamment pour détournement de fonds publics et escroquerie, pour avoir construit avec des partenaires privés un véritable IEP bis, dont Marsactu et Mediapart avaient révélé l'existence. La justice a compté 765 étudiants trompés.

Christian Duval, ex-directeur de Sciences po Aix.
Christian Duval, ex-directeur de Sciences po Aix.

Christian Duval, ex-directeur de Sciences po Aix.

En décembre 2014, Christian Duval avait dû démissionner de ses fonctions et partir en catimini de Sciences po Aix, qu’il dirigeait depuis huit ans. Il venait d’essuyer la plus grave crise connue par cette “grande école en Provence”. Après la démission de quatre enseignants-chercheurs, une enquête de Marsactu et Mediapart décrivait par le menu comment le directeur et Stéphane Boudrandi, son adjoint, avaient construit avec des partenaires privés un Institut d’études politiques bis permettant à des acteurs privés de marchander des masters bidons à des étudiants sur trois continents.

En Chine, au Congo, sur l’île Maurice, au Maroc, en Suisse ou en Arménie, des instituts privés dispensaient d’onéreuses formations en mettant en scène la marque Sciences po Aix et en délivrant un master d’Aix-Marseille université (AMU). Dix ans plus tard, ce montage baroque va donner lieu à un procès notamment pour détournement de fonds publics et escroquerie devant le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence. Il s’ouvrira le 14 février.

Malgré le soutien public de la ministre de l’époque Najat Vallaud-Belkacem, Christian Duval avait plié face aux protestations des étudiants qui manifestaient sous ses fenêtres, au désaveu des autres instituts d’études politiques et aux audits concomitants de la Cour des comptes et de l’université qui n’allaient pas tarder à confirmer nos révélations. Saisie par plusieurs acteurs dont l’administrateur provisoire qui avait succédé à Christian Duval, la justice avait fini par ouvrir une enquête que la juge d’instruction Karine Lebrun et la vice-présidente chargée de l’instruction Christine Peyrache ont clos en signant une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel le 22 août dernier.

763 étudiants trompés

Dans le détail, l’ex-directeur est renvoyé pour une escroquerie présumée ayant concerné un total de 763 étudiants. Les juges d’instruction lui reprochent des “manœuvres frauduleuses” consistant en “des écrits diffusés via des organismes de formation extérieurs à l’IEP d’Aix-en-Provence” pour faire croire à un diplôme de Sciences po Aix quand ne leur serait délivré qu’un master de l’université. Le but ? “Les déterminer à remettre des fonds”. De fait, l’échantillon d’étudiants interrogés durant l’enquête a mis en avant le prestige de la marque Sciences po comme levier d’inscription.

Il devra aussi répondre de détournement de fonds publics pour avoir “confié à des organismes de formation privés la perception de frais de scolarité d’étudiants inscrits à une formation de l’IEP d’Aix-en-Provence, perception de fonds publics dont la totalité n’est pas reversée à l’IEP”. Au cours de notre enquête nous avions montré comment les étudiants pouvaient débourser jusqu’à 23 000 euros pour suivre une formation quand l’IEP ne touchait que 1000 euros par tête.

Les faux diplômes servis aux syndicalistes de la CGC

À certains étudiants en formation continue – des représentants nationaux du syndicat CGC – il avait même, comme nous l’avions révélé, délivré des diplômes totalement bidons signés de sa main. Il était en réalité pris à son propre piège, l’organisation de cadres salariés réclamant ce qu’elle percevait comme son dû. Créés sur la base du modèle officiel, ces faux mentionnaient un “master d’études politiques” attribué au nom de la “République française”. Problème : l’IEP n’a jamais pu délivrer de master que par l’intermédiaire d’une convention avec l’université et c’est cette dernière qui éditait les vrais diplômes, des masters en “management de l’information stratégique” (MIS), un sous-domaine des sciences de gestion.

En se penchant sur la mandature Duval, les enquêteurs ont encore relevé de nombreux manquements de divers ordres. On lui reproche par exemple d’avoir établi des faux procès-verbaux pour justifier des partenariats avec les organismes de formation privée. Mais il aurait aussi tiré des intérêts personnels en procédant notamment à l’embauche de son fils et à la promotion de son épouse : agent de base, elle est devenue responsable administrative et financière sur décision de son mari.

Stéphane Boudrandi, l’organisateur du système

L’enquête a en revanche établi que Christian Duval, dont l’avocat n’a pas répondu à notre demande d’entretien, ne s’est pas enrichi personnellement dans ces montages et errements. La situation de son ex-bras droit Stéphane Boudrandi est moins claire : lui possédait une société qui a joué les intermédiaires pour la délivrance de diplômes. Mais si “le bénéfice (appréhendé non pas d’un seul point de vue économique) de Stéphane Boudrandi [est] évident du fait du fonctionnement actif de son entreprise mais son intention de participer volontairement à des faits de recel [de détournement de fonds publics, ndlr] [n’est] pas suffisamment établie”.

Sans être enseignant-chercheur ni même docteur, l’homme avait été recruté comme directeur adjoint devenant le stratège de l’externalisation des diplômes. C’est dans ses réseaux que s’était forgée la petite équipe qui organisait une bonne part des formations aux quatre coins du monde. C’est lui aussi qui pilotait les multiples parcours d’un master MIS devenu couteau suisse de l’IEP pour adapter les cours aux desiderata des clients privés. Bien souvent, malgré le grade Bac + 5 qu’il accordait, les modules de formation étaient assurés par des consultants ou des experts mais pas par des enseignants-chercheurs dont l’apport est crucial et obligatoire dans une formation de ce niveau. Seul un même professeur émérite était, de l’aveu même de Stéphane Boudrandi, “mis à toutes les sauces” et propulsé comme tête de gondole chez chacun des partenaires. L’ancien directeur adjoint, dont l’avocat n’a pas retourné notre demande d’interview, comparaîtra in fine pour les mêmes motifs que son ancien patron sur la partie formation externalisée.

À leurs côtés et pour des faits annexes, quatre employées ou ex-employées de l’Institut d’études politiques seront elles aussi jugées. Sur le banc des parties civiles, la chambre de commerce de l’Île Maurice expliquera en quoi elle s’est sentie flouée par le système mis en place. À ses côtés s’installera l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, une institution qui a réussi à survivre et à se ragaillardir : Sciences po Aix “ne s’est pas contenté de restaurer une crédibilité entamée par une grave crise de gouvernance en 2015” mais a “dépassé” cette crise, a constaté le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur dans un rapport d’évaluation publié fin septembre 2023. Et cette autorité indépendante de souligner la “forte implication de l’équipe de direction au service de l’établissement”. Dans cette phrase, tous les mots sont importants.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Ils auraient même délivré des diplômes de dermatologie à des analphabètes.

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  2. jacques jacques

    Et même des diplômes de kiné à des manchots des 2 bras.

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  3. Lissia Lissia

    Cette histoire est bien perplexifiante ! Cet ex directeur de l’IEP, dont l’enquête a établi « qu’il ne s’est pas enrichi personnellement dans ces montages et errements », quels ont bien pu être les motifs de ses actes qui mettaient en péril la réputation de l’Institut, sa propre carrière, celle de certain(e)s de ses collègues et la respectabilité d’un organisme public ?
    On ne peut qu’admirer son abnégation à servir sans contrepartie des intérêts qui ne lui profitaient en rien. Et presque le féliciter.
    D’autre part, il est bien évident que les équipes qui lui ont succédé à la tête de l’IEP n’ont sans l’ombre d’un doute rien à voir avec ces pratiques, et heureusement pour l’institution. On peut quand même noter que le rapport du Haut Conseil tombe bien opportunément en 2023 pour souligner que la « crédibilité entamée par une grave crise de gouvernance en 2015 » été restaurée et même « dépassée », comme une façon de dire que finalement, ce n’était pas une crise grave puisqu’elle a pu être surmontée brillamment.

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  4. Zumbi Zumbi

    selon sa fiche Wikipedia, l’escroc
    ” préside, de 2003 à 2015, la Conférence nationale des directeurs d’instituts et centres de préparation à l’administration générale.

    De 1997 à 2002, il a été codirecteur du Centre d’études juridiques de l’urbanisme (CEJU).”

    On disait jadis que l’enseignant transmettait à ses élèves son propre exemple, encore plus que le contenu de sa discipline… ça fait peur pour les administrateurs de la République !

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