Des maires du pays d’Aix invités au Crazy Horse pour parler “projets immobiliers”

Une quinzaine d'élus de la région ont assisté à un spectacle du célèbre cabaret, le 22 novembre. (Photo : Rémi Desclaux/Crazy Horse)

Du 20 au 23 novembre 2023, la capitale accueillait l’annuel congrès des maires. L’occasion pour de nombreux élus des quatre coins du pays d’échanger sur leurs difficultés communes. Mais aussi, pour une poignée d’entre eux, de poursuivre la soirée du 22 novembre au cabaret du Crazy Horse, sur invitation des maires de Bouc-Bel-Air, Simiane-Collongue et Cabriès-Calas. Le tout, financé par l’Office foncier solidaire (OFS) Tous propriétaires, une association basée à Bouc-Bel-Air qui favorise l’accès à la propriété des ménages modestes, et qui compte les trois édiles dans son conseil d’administration.

Invitation reçue par un maire du département à la soirée au Crazy Horse. (Photo : DR)

Soirée de travail, soirée festive, ou mélange des genres ? L’invitation envoyée aux élus annonce un “évènement OFS Tous propriétaires” et déroule le programme : après le spectacle, dont le lever de rideau est attendu pour 20 heures, l’idée est d’enchaîner sur un “dîner convivial au Ginger Restaurant”, lui aussi situé dans le cossu 8e arrondissement de Paris. Prix par personne, affiché par l’établissement : 200 euros, offerts par l’association aux élus. “Lors du congrès des maires, on a l’habitude d’être conviés à tout plein de soirées”, explique à Marsactu le maire d’une commune des Bouches-du-Rhône. Ce dernier a décliné l’invitation. Mais d’autres se sont laissés tenter.

Selon nos informations, au moins “une quinzaine de maires et collaborateurs de la région” se sont rendus à la soirée du Crazy Horse. Le chiffre, c’est Thierry Schifano, président de l’association OFS “Tous propriétaires”, qui l’avance lui-même. Contacté par téléphone, l’homme d’affaires assume avoir voulu “faire une soirée promotionnelle”. Et déroule : “L’association a vocation à se faire connaître. Si d’autres maires y adhèrent, ils pourront mettre en place des projets immobiliers chez eux, qui permettent aux plus précaires d’acheter une maison.”

Gagnant-gagnant

L’OFS “Tous propriétaires” est une association régionale à but non lucratif, agréée par l’État, et fondée à Bouc-Bel-Air en 2019 par son maire (Les Républicains), Richard Mallié. Sa mission est de faciliter l’accès à la propriété des ménages les plus modestes. Cela passe par le dispositif du bail réel solidaire (BRS), créé en 2015, qui permet aux Offices fonciers solidaires de vendre du bâti à bas prix, tout en restant propriétaires du foncier. Il existe de nombreux OFS en France, et ces derniers peuvent être portés par des collectivités, des bailleurs sociaux où, comme c’est le cas ici, une mairie. Au fil des années, les communes de Simiane et de Cabriès ont, elles aussi, rejoint le conseil d’administration de la structure, afin de mettre en place des projets immobiliers sur leur territoire.

Mais ces trois mairies ont un autre point commun : elles ne construisent pas assez de logements sociaux. Au regard de la loi dite SRU, elles sont donc carencées, et ont dû régler des pénalités à l’État. Mais certaines actions permettent de faire baisser la note, et c’est le cas des subventions votées en faveur d’un Office foncier solidaire. “On construit du logement, et on baisse le montant de notre pénalité. C’est du gagnant-gagnant”, résume sans détour la maire de Cabriès, Amapola Ventron. Cette dernière a fait adopter une subvention au bénéfice de l’OFS pour financer la transformation d’une bastide. Comme la mairie de Simiane, qui a voté une subvention de 190 000 euros en 2022, à l’OFS Tous Propriétaires. À Bouc-Bel-Air, la dernière subvention date du 20 novembre 2023, et se chiffre à 220 000 euros.

Je ne suis pas fan de l’idée. Mais je pense qu’il ne faut pas y voir autre chose qu’une opération de communication, visant à faire connaître l’OFS.

La maire de Cabriès

Mais l’édile de Cabriès a plus de mal à vanter les intérêts de la soirée au Crazy Horse. Elle ne s’y est pas rendue, et n’a été prévenue que la veille de l’évènement : “Mon nom figure sur l’invitation car je siège au conseil d’administration, mais ce n’est pas mon initiative. Je ne suis pas fan de l’idée. Mais je pense qu’il ne faut pas y voir autre chose qu’une opération de communication, visant à faire connaître l’OFS .”

“Je vais vous dire, ça pue.”

Thierry Schifano ne dit pas autre chose : “J’ai cherché un lieu. J’ai cherché, cherché, cherché, il ne restait pas grand chose, en plein congrès des maires, c’est difficile ! Et c’est là qu’un de mes collaborateurs m’a parlé du Crazy Horse. Il m’a dit qu’il avait déjà organisé par le passé un évènement promotionnel ici, et qu’il avait obtenu de très bons résultats, un carton plein.” Les deux hommes ne semblent pas avoir eu vent de la polémique qui avait éclatée en 2022, lors du précédent congrès des maires, chez nos voisins varois. Même jour, même lieu, l’association des maires du Var avait elle aussi réservé sa soirée au cabaret, révélait Var Matin. Avant de rétropédaler, par peur du scandale.

Mais cette année, avec l’OFS Tous propriétaires, les élus invités ont pu voir le show, en toute discrétion. C’est après l’évènement que la polémique éclate. Lors du conseil municipal du 15 décembre, le maire de Simiane, Philippe Ardhuin (LR), est interpelé sur ce sujet par une élue d’opposition, Isabelle Mazeaud (divers centre). “Je ne vous demanderai pas ce que vous avez fait le 22 novembre, en revanche, je ne vous dirai pas où j’étais”, esquive le premier magistrat de la Ville en réponse, comme l’atteste un enregistrement de la séance. L’élue d’opposition poursuit : “Pensez-vous qu’il s’agit-là d’une bonne utilisation de l’argent public ?” La conseillère municipale fait référence à la subvention votée en 2022. Et le maire, embarrassé, de répondre : “Je vais vous dire, ça pue. Demandez ceci au président de l’OFS, pas à moi.”

“C’est joli, c’est artistique”

Mais selon Thierry Schifano, “les subventions des communes sont directement fléchées sur les projets immobiliers. Les opérations de communication, comme la soirée au Crazy Horse, sont financées par d’autres partenaires.” Lesquels ? Le président de l’association préfère donner un rendez-vous ultérieur pour nous les communiquer en détail. Pour son cas, il assume être allé à la soirée du Crazy Horse. Dommage : il aurait pu, à la place, se rendre aux journées annuelles des OFS qui se tenaient au même moment à Lyon, les 21 et 22 novembre.

Richard Mallié, le maire de Bouc-Bel-Air, assume lui aussi s’être rendu au Crazy Horse : “D’ailleurs cela devait être la troisième fois dans ma vie. C’est joli, c’est artistique, il faut le voir comme une opération commerciale pour l’OFS, qui a besoin de nouveaux maires parmi ses clients.” Des potentiels clients qui ont été “ciblés” en vue de cette soirée spéciale : “On a invité des maires qui sont carencés en matière de logements sociaux. Le but est de leur expliquer qu’en faisant financer des projets via l’OFS, ils baissent leur pénalité, et au lieu de construire du social, ils construisent des copropriétés. Moi, je préfère avoir des copropriétaires.” Voilà qui a le mérite d’être clair.