Des apprentis comédiens de Saint-Mauront à l’assaut de Londres, in english please
Dans le 3e arrondissement de Marseille, l'association Ph'Art et Balises accompagne des jeunes issus des quartiers populaires qui rêvent de faire carrière dans le théâtre ou le cinéma. Marsactu a assisté à la répétition d'une pièce qu'ils vont prochainement jouer à Marseille, puis à Londres. Tout en anglais.
Répétition du mardi 28 mai 2024 (Photo : AC)
“Ok bravo, on y est presque. Ça avance mais il faut vraiment que vous bossiez tous les jours. Si vous êtes toujours dans la recherche du texte, c’est compliqué de jouer”, insiste Barbara Do, l’encadrante de cet atelier théâtre qui se tient dans les locaux de l’association Ph’Art et Balises, situé à deux pas du métro National (3e). Assis en cercle, les quatre comédiens ont sur leur genoux la prose d’Edward Bond sous forme de livre, de tablette, de smartphone ou de photocopies.
Alors qu’ils sont encore au stade de perfectionnement de leur prononciation anglaise, les comédiens de 20 à 31 ans joueront la pièce intitulée Red Black & Ignorant le 14 juin au théâtre l’R de la mer à Marseille. Barbara Do les accompagnera ensuite à Londres, où elle a vécu, pour présenter leur pièce. La représentation devant un public complètement anglophone aura lieu le 4 juillet au Dartmouth House à Londres, dans les locaux de l’English Speaking Union. “Il va falloir porter beaucoup plus la voix, imaginez des spectateurs sur plusieurs rangées”, les prévient-elle.
On cible des jeunes qui ne se seraient peut-être pas senti légitimes à faire du cinéma ou du théâtre.
Déborah Nambodokana, administratrice de l’association
L’association Ph’Art et Balises et son académie d’éducation populaire baptisée Moovida forment une sorte de “classe prépa officieuse” pour les aspirants comédiens, résume Déborah Nambodokana, l’administratrice. Pour le prix d’une adhésion symbolique de cinq euros, les jeunes peuvent s’essayer à différents arts. La structure les aide à développer leur projet de réalisation, d’écriture de scénario, et leur fait parvenir les offres de casting. “On cible des jeunes qui ne se seraient peut-être pas senti légitimes à faire du cinéma ou du théâtre”, poursuit-elle. Parmi les apprentis de Moovida, 20 % habitent le 3ᵉ arrondissement et 40 % sont issus des autres quartiers prioritaires de Marseille. Les différents talents artistiques de l’équipe ont été mis à contribution : Sajjad a créé la musique de la pièce, Ana le visuel de l’affiche ainsi que le costume du personnage du monstre, joué par Sabry et Nassim.
“Pousser le plafond de verre”
Le projet d’atelier théâtre en anglais est né d’une rencontre avec Nicolas Hill. Il finance à travers l’English Speaking Union des projets qui favorisent la prise de parole en anglais. Pour Déborah Nambodokana, il peut s’agir là d’une compétence précieuse compte tenu de la présence croissante des productions américaines à Marseille : “C’est un plus sur le CV des jeunes de pouvoir jouer en anglais, ce sera utile pour leur insertion professionnelle en tant que comédiens. Et surtout, ça participe à repousser le plafond de verre.”
Il est 17 heures passées, les derniers comédiens arrivent au compte-goutte dans la salle. Après l’italienne, une répétition sans mettre le ton, Barbara Do propose un “filage arrêté”. Petit moment de flottement. Tout le monde n’est pas certain de bien comprendre la consigne. “C’est un filage classique où je peux vous interrompre”, explique avec bienveillance l’intervenante. Le décor de la pièce est volontairement épuré. Les jeunes installent un banc sur le plateau et se saisissent de quelques accessoires. Un casque et une veste pour Nassim qui joue le soldat. Son pistolet est mimé. “On ne va pas prendre l’avion avec un faux flingue et des Arabes [dans la troupe]”, lance l’intervenante à tout le groupe hilare. L’arme factice sera achetée directement au Royaume-Uni pour “simplifier les choses”.
Sabry bute sur son texte. “Waaa, je le connais pourtant”, s’exclame celui qui joue le rôle du monstre avec un accent marseillais prononcé. Barbara Do reprend Ana sur sa manière d’interpréter le personnage de la mère : “Moins de pathos, si tu en fais moins, ç’aura plus d’impact, n’oublie pas que tu joues un archétype”.
Tarek bataille pour trouver la bonne manière de prononcer le mot “bread”. Il décrit la metteuse en scène comme étant très “minutieuse” : “Elle aime la perfection et souhaite nous pousser vers le haut”. Si Barbara Do est à cheval sur cette scène 8, c’est parce qu’il s’agit du dénouement de la tragédie. En juillet 2023, une partie des comédiens en avaient déjà présenté les premières scènes dans les locaux de la société nautique de Marseille.
Une pièce politique
Le choix de cette pièce n’a pas été fait au hasard. À l’origine, le projet proposé par le mécène, Nicholas Hill, impliquait des saynètes du répertoire de boulevard. C’est finalement cette tragédie politique et dystopique, écrite dans un contexte de guerre froide, qui a été choisie par le groupe. “Il faut que tout le monde ait bien conscience qu’on va jeter un pavé dans la mare entre le cocktail et le buffet”, prévient Barbara Do. La pièce décrit un monde post-apocalypse nucléaire, où les questions morales s’affrontent à la mort qui rode. Aux yeux de beaucoup de comédiens, elle résonne avec l’actualité internationale
“Cette pièce parle aussi du potentiel monstrueux qui est dans chaque être humain. C’est un peu la question impossible à résoudre : durant la Seconde Guerre mondiale, aurions-nous fait partie des résistants ou des collaborateurs ?” Sabry s’exclame : “Même pas besoin de remonter jusque-là, on peut penser à la situation au Congo, aux Ouïghours, à Rafah…” Une réflexion collective s’amorce : faut-il explicitement exprimer leur soutien à la Palestine sur scène ? Rien n’est encore acté.
Après avoir fait quelques étirements et des exercices d’occupation de l’espace scénique, un petit litige éclate. Pamela ne connait pas suffisamment bien son texte. Moment délicat pour la jeune comédienne qui apprend qu’elle risque d’être remplacée. Elle promet de faire ses preuves d’ici à la date fatidique. “Le défi est d’arriver à faire avec une ambition à la hauteur d’un projet professionnel, de ne pas faire de concession concernant la qualité artistique, et en même temps avec cette vocation sociale forte du projet”, explique Barbara Do.
Tarek, par exemple, se frotte aux planches pour la première fois. “Ça me faisait assez peur de faire du théâtre, c’est pour cela que je voulais en faire. Et maintenant, j’apprécie vraiment !”, explique le jeune homme de 27 ans. En revanche, il a déjà participé à la réalisation de plusieurs projets cinématographiques avec l’association.
Il est 21 h 40, le cours se termine sur un dernier exercice. Conscients du travail qui reste à accomplir, les jeunes semblent impatients de décoller. Ce sera la première fois à Londres pour plusieurs d’entre eux. Sur un tableau blanc accroché au mur, ils ont noté les visites qu’ils comptent faire sur place : National Gallery, Tate Britain, Camden, Oxford Street, Notting Hill, les studios Harry Potter, assister à un open mic, voir du street art… de quoi décompresser après leur représentation et continuer à parfaire leur culture british.
Actualisation le 7 juin à 17h : modification d’une citation
Commentaires
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Un très beau projet, une belle exigence, bravo à l’association et à toute la troupe ! Il faudrait des centaines de projets comme cela. Les jeunes ont besoin d’activités de ce type, encadrées, exigeantes, mixtes, ambitieuses -respectueuses aussi de leurs choix- qui leur ouvrent des fenêtres (et des portes) sur le monde, et leur donne confiance en eux…
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Malheureusement le sujet de Rouge, noir et Ignorant n’est pas un sujet sur la résistance ou non. La piece de cet immense auteur qu’était Edward Bond ( et malheureusement pas du tout documenté par la journaliste) est beaucoup plus ambiguë. Un des themes de predilection du dramaturge , c’est de montrer que l’humain ne fait pas ce à quoi on s’attend et qu’il devrait faire. Bond va meme jusqu’à théoriser que cette capacité à l’action irrationnelle constitue une, sinon la spécificité de l’espèce.
Le contexte de guerre froide évoqué dans l’article parait aussi étrange tant il transparait peu dans l’oeuvre. Ensuite, il aurait été aussi de bon aloi d’évoquer la trilogie dénommée “Pièces de Guerre” dont Rouge, Noir et Ignorant est la première partie.
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Et pour finir, car je ne sais pas pourquoi mais mes commentaires se publient toujours avant que je n’appuie sur le bouton, s’il est super de mettre un coup de projecteur sur cette initiative, quid de toutes les autres?
Marseille regorge depuis 30 ans d’artistes qui font un travail de dingues avec le public défavorisé comme on dit. Un travail passé sous licence et souvent discrédité.
Et de temps en temps, un media, gros ou petit, de tempsen temps , sort de ce bain artistique et social un projet et en montre l’excellence. Pourquoi celui-ci? Va savoir…souvent un journaliste qui se trouvait là par hasard. Et les centaines d’autres qui cravachent restent dans l’ombre …
A quand un article de fond et un bilan sur tous ces projets…il y en a tellement que c’est sans doute à un universitaire de s’y coller.
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bravo
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