Derrière la fin de Zibeline, la presse locale indépendante refuse de se laisser enterrer
Le mensuel culturel local s'arrête après 15 ans d'existence. Autre titre indépendant, le mensuel Le Ravi lutte pour sa survie. L'un et l'autre appellent les institutions publiques à stopper l'érosion du pluralisme de l'information locale.
Zibeline, mensuel culturel, arrête ses parutions tandis que Le Ravi lutte pour survivre. (Photo : LC)
“Rideau”. L’annonce est aussi brutale que son titre : le mensuel culturel Zibeline cesse sa parution. L’association éditrice de ce titre indépendant a été placée en liquidation judiciaire en fin de semaine dernière, scellant le sort du média, après 15 ans d’existence. Dans le petit écosystème local de la presse indépendante, la nouvelle a soufflé beaucoup de gens. “C’est inquiétant, ça nous renvoie à nos propres problèmes. On se dit “qui sera le suivant ?””, commente Damien Boeuf, président du quinzomadaire culturel Ventilo. “C’est un titre reconnu pour sa qualité, son exigence, qui participe du pluralisme”, regrette Léo Purguette, président de La Marseillaise, qui distribuait le mensuel en complément de son édition week-end.
À écouter Ludovic Tomas, journaliste au sein de Zibeline, la décision semble pourtant murie. “Depuis sa création, bien avant mon arrivée, le journal a toujours été sur le fil”, rappelle-t-il. Et ces dernières années, baisses des budgets publicitaires, aides variables de l’État et des collectivités ont fait que “le socle financier s’est étiolé. Plutôt que de creuser une dette, nous avons préféré arrêter”.
Appeler à l’aide ou pas ?
Lancer un appel à l’aide ? “Des appels, on en a fait par le passé… Mais on estime que ce n’est pas conjoncturel, c’est un problème de système, de ces aides à la presse injustes qui bénéficient aux gros. Il n’y a pas de pensée politique, à tous les échelons, pour créer un modèle économique viable pour les médias indépendants”, considère-t-il.
Le mensuel Le Ravi cherche 100 000 euros “pour cesser de survivre”.
Son “SOS”, l’équipe du Ravi a elle aussi hésité à le lancer, début mars. Le mensuel régional, qui sort tout juste de six ans de redressement judiciaire, cherche à collecter 35 000 euros “pour passer le mois de mars” et 100 000 euros d’ici mai “pour cesser de survivre”. “On s’est posé la question. La période est extrêmement particulière, entre la guerre en Ukraine, la campagne présidentielle et tout le monde qui sort lessivé par deux ans de pandémie. On savait bien que ça n’allait pas être facile d’être entendus”, raconte son directeur, Michel Gairaud. Comme un clin d’œil, son dernier numéro paru qui a pour mot d’ordre “Mieux vaut en rire” comprend d’ailleurs une analyse des différentes manières d’arrêter un journal…
“Mais on s’est dits que la proposition de l’enquête, de la satire aussi, nous paraissait justement salvatrice dans ce moment”, reprend le journaliste. Il y ajoute “ce sur quoi on n’a pas assez insisté ces dernières années, le fait que les journalistes du Ravi sont à mi-temps investis dans des projets d’éducation populaire, d’éducation aux médias”.
Désengagements
Qu’ils disent stop ou encore, les deux médias pointent en chœur la passivité des pouvoirs publics dans l’érosion du pluralisme, tandis que La Provence se débat entre deux milliardaires. Ils sont rejoints par d’autres, qui connaissent eux aussi cette économie sur le fil. “On ne peut pas se contenter d’un paysage médiatique dominé par Bolloré et des groupes militaro-industriels. Nous pensons qu’il n’y a pas de fatalité et nous avons besoin de toutes les énergies pour que différents titres vivent”, appuie Léo Purguette, dont le journal de tradition communiste a été repris suite à une liquidation à l’été 2020, avec l’investissement d’actionnaires privés et de quelques collectivités, dont la Ville de Martigues.
Dans son texte, aussi incisif que court, Zibeline ne détaille pas les coupes ou les refus qui ont pu conduire à sa disparition. Mais du côté du Ravi c’est une quasi année blanche qui est décrite par le menu en 2021 : après le désengagement total du conseil régional depuis plusieurs années, c’est le conseil départemental qui a coupé sa ligne “aide aux médias associatifs” et réduit les ateliers dans les collèges à 3000 euros. “On n’arrive plus à faire financer le moindre projet d’éducation populaire”, dénonce Michel Gairaud. Quant à la Ville de Marseille, la promesse de soutien du Printemps marseillais tarde à se concrétiser. “On a beau avoir lancé tous ces appels, on n’a toujours pas de réponse très claire.”
“Je suis prêt à prendre une part de responsabilité dans cette question fondamentale pour notre démocratie malade, mais la première responsabilité est celle de l’État “, nous répond l’adjoint délégué à la culture, Jean-Marc Coppola (PCF). L’élu ne cache pas que “des priorités ont été posées face aux défis très importants mais nous essayons de desserrer l’étau pour, dans un deuxième temps du mandat, pouvoir mettre en place un soutien”.
“Il n’y aura de solution que globale”
Face aux décisions unilatérales et aux pressions, les titres rêvent d’un cadre de financement plus clair.
Une situation observée avec recul par le journal Ventilo, qui a misé sur une large palette de petits annonceurs. “Heureusement qu’on ne compte pas sur les collectivités. À l’époque de Jean-Claude Gaudin, il nous arrivait d’avoir des annonces pour les expositions, du musée d’art contemporain notamment. Et puis on a publié deux éditos et on nous a dit clairement qu’on n’aurait plus rien, raconte Damien Boeuf. Lors du changement de mandature, on a pris rapidement rendez-vous avec Jean-Marc Coppola pour lui expliquer cette situation et, là, plus d’un an après, on commence à avoir de premières annonces.”
“La pub, il faut être capable d’en prendre mais aussi de s’en passer”, abonde Michel Gairaud, qui ne se résout cependant pas au zéro actuel de la part des collectivités. “Il ne s’agit pas de sauver un titre dans une relation clientéliste”, martèle-t-il, mais d’équité, dans une politique générale de soutien au pluralisme. “Il n’y aura de solution que globale, approuve Léo Purguette. L’intérêt de défendre le pluralisme, ce n’est pas que lorsqu’on est menacés soi-même. Par définition, c’est aussi les autres.”
“Je suis d’accord, assure Jean-Marc Coppola. Mais quand on récupère la ville dans cet état, avec une administration qui n’est pas opérationnelle, il faut plusieurs années pour mettre en œuvre tous les choix politiques. Les choses vont commencer à se mettre en place, avec la définition de critères pour les subventions culturelles lors du prochain conseil municipal en avril et dans les prochains mois sur la question de l’éducation aux médias.”
Du temps, c’est ce qui manque au Ravi et c’est ce qu’a décidé de se donner l’équipe de Zibeline. “Nous sommes convaincu·es qu’un avenir sera de nouveau possible pour un journal culturel à l’image de Zibeline quand chacun et chacune s’appropriera notre combat et en réalisera les enjeux”, conclut l’édito du magazine. Ludovic Tomas réfléchit déjà à “mobiliser les énergies pour voir ce que l’on peut reconstruire”. Même morte, la presse bouge encore.
Et Marsactu alors ?Pour un journaliste, informer sur les médias et leurs enjeux est un exercice particulier. Au-delà des liens professionnels avec les équipes des titres et des partenariats qui peuvent exister (voir notre rubrique “Coulisses”), nous partons et nous parlons forcément de quelque part.
En l’occurrence, Marsactu, en tant que journal et en tant qu’entreprise, a pris position publiquement sur la question du financement des médias par les institutions publiques. Nous avons publié en fin d’année dernière un appel à la transparence sur les montants alloués et des critères de répartition. Nous avons également signé la pétition lancée par le Ravi en faveur d’“une autre politique publique de financement des médias” ainsi que l’appel de 87 médias indépendants de toute la France.
Enfin, nous avons nos propres choix – refus de la publicité et de tout financement des collectivités locales – et notre propre situation financière. Si nous avons bouclé deux exercices à l’équilibre en 2020 et 2021, faire vivre Marsactu est un combat permanent. En cohérence avec notre engagement de transparence, et sans anticiper davantage le bouclage de nos comptes 2021, nous vous renvoyons pour plus de détails à nos présentations régulières (les comptes 2020 ici et nos vœux 2022 là).
Commentaires
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Quant à la Ville de Marseille, la promesse de soutien du Printemps marseillais tarde à se concrétiser.
se ce sera peut-être trop tard pour le ravi mais je m’en souviendrai le moment venu.
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avec Coppola c’est toujours : ce n’est pas de notre responsabilité, c’est celle de l’Etat et de Gaudin .. Donc attendez … Attendre quoi !!!! Coppola l’adjoint de l’attente …
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Effectivement la presse locale indépendante est nécessaire,néanmoins et ce qui est quand même étonnant c’est que cette presse ne trouve pas un nombre de lecteurs suffisant pour continuer et ceci sur un bassin de population de 900 000 habitants.
En prenant le cas de Marsactu, son tarif est tout à fait abordable, ce n’est donc pas un frein.
Alors des intraveineuses d’argent public,oui sans doute mais pas que . Qualité du rédactionnel, qualité des lecteurs, ces derniers seraient t’ils spécialement étanches à cette typologie de presse ,pour rester courtois, je n’ai pas la réponse,mais visiblement il y a un soucis d’adéquation entre les lecteurs et la production ?
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