Déménagement forcé et subvention sabrée : “ça peut être la mort de la Fiesta des Suds”

Actualité
le 17 Mar 2021
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Créé en 1992 le festival de musiques actuelles la Fiesta des Suds est en danger. Euroméditerranée veut voir l'équipe de l'association organisatrice quitter le Dock des Suds au plus tôt. Dans le même temps le département fait fondre la subvention qu'il lui accordait.

Le festival a quitté le lieu historique des docks à partir de l
Le festival a quitté le lieu historique des docks à partir de l'édition 2018. (Photo JV)

Le festival a quitté le lieu historique des docks à partir de l'édition 2018. (Photo JV)

Que seraient les automnes à Marseille sans la Fiesta des Suds pour adoucir le passage à l’hiver ? Des octobres bien tristes assurément. En presque 30 ans, ce festival de musiques du monde accueillant jusqu’à 60 000 spectateurs par édition est devenu le rendez-vous incontournable de l’été indien marseillais.

Or le festival créé en 1992 et porté par l’association Latinissimo est en danger. Dans un communiqué alarmant, la structure fait état d’une double menace : Euroméditerranée désire voir l’équipe de l’association culturelle quitter le mythique Dock des Suds, d’une part. Le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, principal financeur public de l’événement, vient de réduire de façon drastique sa subvention, de l’autre. “Dans les deux cas, ça peut être la mort de Latinissimo et donc, ça peut être la mort de la Fiesta”, s’alarme sans détour Jacques Lantelme, le président de l’association.

Débarquement d’huissiers

Le lieu, d’abord. Le Dock des Suds. Nichée dans un ancien hangar à sucre portuaire, la salle de concerts, créée en 1998, a autant accueilli la programmation de la Fiesta des Suds, les rencontres professionnelles de Babel Med Music (piloté également par Latinissimo), que des séminaires, meetings politiques ou soirées ponctuelles puisque ses 5000 mètres carrés peuvent être privatisés. Mais, depuis le 1er janvier dernier, ce chaudron bouillant dans lequel les Marseillais ont des palanquées de souvenirs n’est officiellement plus loué à Latinissimo.

L’autorisation temporaire d’occupation qui liait l’association au propriétaire du site, l’établissement public Euroméditerranée, est arrivé à échéance le 31 décembre dernier. “Cela fait 22 ans que nous sommes là. Vingt-deux ans que nous exploitons cette salle sans subvention de fonctionnement mais avec des baux précaires, d’abord avec le Port autonome puis avec Euroméditerranée. En juillet dernier on nous a dit que le bail ne serait pas renouvelé pour trois ans. Mais pour un an non-renouvelable. Ce que nous ne pouvions pas accepter”, plaide Jacques Lantelme.

L’association qui paye 160 000€ de loyer annuel accuse un retard de loyer d’un an. Le président de Latinissimo s’énerve : “C’est fort, non ? C’est l’État qui nous interdit d’exploiter le site à cause du Covid-19 et c’est l’État qui nous demande de payer le loyer. Quand on veut noyer son chien…” Le 15 février, considérant que l’association est occupante sans droit ni titre, Euroméditerranée a envoyé des huissiers sur place. “Latinissimo avait des dettes bien avant le Covid”, remarque un connaisseur du dossier. Par jugement du 10 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Marseille a ouvert une procédure de sauvegarde à l’égard de l’association, laquelle a mis sur pied un plan de huit ans pour rembourser les 350 000 euros de créances qu’elle cumulait alors.

2,5 millions de travaux

Comme le révèle le site Gomet’, l’établissement public d’aménagement soutient en lieu et place du Dock un projet immobilier porté par l’entrepreneur Cyril Zimmermann créateur de l’école du numérique La Plateforme. “Depuis des années, l’équipe de Latinissimo se rendait bien compte que les grands événements qu’elle organisait ne pouvaient plus se tenir là. La ville avance et l’environnement change… Pour autant nous n’avons jamais écarté Latinissimo et, à plusieurs reprises, je leur ai dit de proposer des activités culturelles compatibles avec ce nouvel environnement”, affirme Laure-Agnès Caradec (LR), présidente d’Euroméditerranée. “Les équipes de La Plateforme, elles-mêmes, souhaitent maintenir une activité culturelle sur le site. Que ce soit avec Latinissimo ou pas est une autre question”, embraye l’élue.

Du côté de Latinissimo, à l’inverse, on assure du manque d’entrain des équipes de l’établissement public à vouloir bâtir un projet porteur d’une dimension culturelle. “Ils étaient censés  nous permettre de nous asseoir autour d’une table pour réfléchir à des alternatives de relogement, penser au devenir du site…. Mais ce travail n’a pas été fait”, regrette Jacques Lantelme. Et, quitte à abandonner les lieux, l’association souhaite récupérer les quelque 2,5 millions d’euros de fonds propres qu’elle dit avoir engagés en travaux divers au gré des années.

Baisse de subvention de 73%

Alors que l’édition 2020 de la Fiesta des Suds a dû être annulée en raison du contexte sanitaire, ces incertitudes sur l’avenir du QG historique rendent l’avenir du festival un peu plus flou encore. D’autant plus qu’en décembre dernier la direction du festival apprend que le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, principal financeur public de l’événement, a fait le choix de réduire de manière drastique sa subvention. Celle-ci passe de 460 000 euros en 2020 (en raison de son annulation en septembre dernier pour cause de Covid la Fiesta a touché 250 000 euros du département afin de couvrir les frais déjà engagés) à 125 000 euros en 2021 sur un budget global d’1,2 million d’euros pour chaque édition de la Fiesta. Soit une baisse de 73%.

“Sabine Bernasconi [vice-présidente LR de Martine Vassal en charge de la culture, ndlr] nous a dit qu’il fallait aller voir d’autres financeurs, que le département ne pouvait plus assumer seul ce financement”, résume Jacques Lantelme qui assisté à la réunion. Dans le même temps, le budget de fonctionnement alloué par le département à la culture reste constant par rapport à l’an passé (16,3 millions d’euros en 2021 contre 16,2 millions d’euros en 2020).

Sollicités, le service de communication du département et Sabine Bernasconi n’ont pas souhaité commenter ce choix auprès de Marsactu. Un membre de l’organisation du festival soupire­: “Depuis deux ans, ça se passait très bien avec le conseil départemental. Mais là, on ne peut s’empêcher de penser que c’est une réplique post-municipales et pré-départementales…” Une façon élégante de dire que cet événement culturel, marqué à gauche, est l’objet d’un règlement de compte politique de la part de la présidente du CD13, Martine Vassal (LR) qui sera, sauf surprise, candidate à sa propre succession en juin prochain. Jean-Marc Coppola, l’adjoint (PCF) à la culture du maire de Marseille, y voit pour sa part “une attitude pitoyable, surtout en ce moment de grande souffrance de la culture”.

“La structure va s’écrouler”

Pour compenser cette subvention sévèrement rabotée, la Fiesta des Suds lance un appel à l’État et aux autres collectivités territoriales. “Notamment la Ville de Marseille qui défend la culture populaire, or la Fiesta en est l’emblème à Marseille”, pose Lucie Taurines, la directrice du festival. Elle avertit­: “Si nous n’avons pas de réponse, ce n’est pas juste une annulation de plus en 2021 qui se profile, c’est la fin de l’événement. La structure va s’écrouler.”

La Fiesta dont les éditions 2019 et 2018 avaient eu lieu sur l’esplanade du J4 ne veut pas abdiquer pour autant. “On se bat pour les festivaliers et pour les équipes depuis un an, martèle Lucie Taurines. Cet événement fait travailler au moins 200 personnes à chaque édition : ce sont des gens du territoire, des techniciens, des intermittents, des prestataires locaux. C’est la famille ! Il faut avoir en tête que l’essentiel de l’argent dépensé pour organiser ce festival reste ici.”

Jean-Marc Coppola promet de recevoir l’équipe de la Fiesta des Suds la semaine prochaine. L’adjoint à la culture précise : “Dans ce monde culturel en fragilité on se doit de donner des signaux d’accompagnement. Le sujet ce n’est évidemment pas de se substituer au département, mais d’enclencher une réflexion sur le format de ce festival qui fait partie de l’identité locale.” Des aléas, des tempêtes et même un incendie ravageur à un mois de son édition 2005… la Fiesta des Suds a traversé bien des turbulences, depuis 1992. Vingt-huit ans plus tard, le festival est une nouvelle fois sommé de se réinventer.

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Commentaires

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  1. neom neom

    Pouvez vous nous expliquer pourquoi le festival n’a pas eu lieu aux docks des sud mais au j4 le 2 dernières éditions. L’association est toujours dans les locaux? Je ne comprends pas.

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    • Coralie Bonnefoy Coralie Bonnefoy

      Bonjour,
      Les locaux du Dock des Suds servent à la fois de bureaux à Latinissimo et de lieu de concerts ou de séminaires (la jauge est de 2500 personnes). Or la Fiesta des Suds (organisée par Latinissimo) nécessite un espace bien plus grand, deux ou trois scènes, dont une en extérieur, pour avoir lieu. En 2018 et 2019 (et si elle s’était tenue en 2020) la Fiesta s’est déroulée au J4 parce qu’il ne lui était plus possible de s’installer sur les extérieurs du Dock des Suds (ce qui était parkings ou terrains vagues environnants ont été construits).

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  2. Pierre12 Pierre12

    460.000 euros de subvention en 2020, pas de fiesta en raison du covid, le loyer qui n’a semble-t-il pas été payé, ils ont servi à quoi les 460.000 euros ??

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    • 147 147

      Oui c’est une bonne question merci. Ce serait intéressant d’avoir une réponse sur ce point.

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    • Coralie Bonnefoy Coralie Bonnefoy

      Vous avez raison, c’est une bonne question! En 2020, du fait de son annulation, la Fiesta des Suds a touché 250 000 euros sur la subvention initiale devant s’élever à 460 000 octroyée par le département. Cette somme a permis, précise la direction du festival, de couvrir les frais déjà engagés pour l’organisation de l’événement (qui, pour mémoire a été annulé un peu plus d’un mois avant sa date).

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    • Pierre12 Pierre12

      Merci pour ces précisions.
      Annulé un peu plus d’un mois avant sa date, organisation en octobre si je ne me trompe pas, donc informé depuis bien 6 mois que ce serait injouable.

      La subvention minorée semble permettre largement de payer son loyer :
      « L’association qui paye 160 000€ de loyer annuel accuse un retard de loyer d’un an. Le président de Latinissimo s’énerve : “C’est fort, non ? C’est l’État qui nous interdit d’exploiter le site à cause du Covid-19 et c’est l’État qui nous demande de payer le loyer. Quand on veut noyer son chien…”

      Ah la culture…avec les impôts des autres ! Jean Marc va bien compenser, je ne suis pas inquiet.

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    • 147 147

      Oui enfin, je ne porte pas la Fiesta des Suds dans mon cœur mais bon, Pierre12, vous y allez un peu fort.
      Durant l’été 2020, on pouvait encore espérer organiser qq chose à l’automne. Donc il est raisonnable de penser que l’équipe a bossé fort jusqu’à cette date là, en se projetant sur une issue positive.
      Et à propos d’équipe, et bien les gens travaillent donc il faut les payer, même si au final l’événement est annulé. Il n’y a pas que le loyer qui est couvert avec la sub, il y a tout le fonctionnement d’une organisation assez conséquente. Donc là, pour le coup, ça ne me choque pas trop.
      Et merci Coralie Bonnefoy pour votre réponse.

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  3. Alceste. Alceste.

    Ce qui est évident dans cette décision , c’est que nous connaissons maintenant mieux les goûts et les couleurs de nos “zélus” départementaux . Goûts sans surprises ; le château de la Barben pour les “tutu panpan ” qui va être le temple dédié à nos Tartarins locaux et autres Cabro qui malheureusement ne sont par d’Or . Or ,quand même refilé aux copains à hauteur de 6 millions d’euros contre ce pourboire accordé aux Docks. Nous allons sans doute avoir de la part du département un méga concert cet été sur le parking du Géant Casino de la Valentine ( chaises roulantes et déambulateurs obligent) destiné aux “maisons du bel âge” avec l’idole des anciennes, Franck Mickael, et surtout chose exceptionnelle, un véritable collector en sus, une photo dédicacée de Martine Vassal avec la star des anciens des jeunes.
    Que voulez vous il y a des incompatibilités notoires , l’on ne peut adorer Didier Barbelivien bien à droite et le Habanera Cubano .

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    • petitvelo petitvelo

      le puy du fou du sud c’est la promesse de recettes touristiques en continu, la Fiesta un peu moins …

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    • Hde mars Hde mars

      les recettes touristiques que cela soient avec le puy de la Barben , les bateaux de croisières ou autres sont pour Marseille une vraies Arlésiennes et un mensonge de chiffre fait à la louche par des fonctionnaires aimant faire plaisir à leur élues (idem pour le cinéma)

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  4. mrmiolito mrmiolito

    Je commence par dire que j’ai d’excellents souvenirs à la Fiesta et je ne veux pas trop tirer sur l’ambulance.
    Mais quand on connaît le monde de la culture locale, on sait qu’historiquement Latinissimo a toujours été subventionnée un max (au delà de 400 000 € par an depuis … toujours ?).
    Alors toutes ces années on s’est bien gavés, on s’est fait plaisir en invitant tous les potes (très peu de gens semblaient payer leur place … au point de pouvoir par exemple blablater tranquillement sous la scène pendant qu’Alain Bashung, très malade, donnait son dernier et poignant concert…).
    Donc tant qu’on était le bras armé culturel du CD 13 tout allait bien. Encore eut-il fallu sentir le vent tourner et le guérinisme vaciller !
    “La cigale ayant chanté tout l’été…”

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    • gastor13 gastor13

      Pas de souci pour le guérinisme, il a encore de beaux jours devant lui (il suffit de regarder le pédigrée de certains élus de la nouvelle majorité) Et là la Mairie va se faire un plaisir de trouver de l’argent pour subventionner même si soit disant les caisses sont vides (elles ne le seront pas pour tous)

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    • 147 147

      J’allais faire un commentaire mais le votre reflète parfaitement le fond de ma pensée. Je n’aurais pas pu faire mieux. Merci.

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  5. Alceste. Alceste.

    Bien sûr vous avez raison, mais au moins les cons c’est à dire les contribuables ou citoyens lambda avaient l’occasion de participer à la gabegie , alors que d’habitude ce ne sont que les “happy few” qui en profitent.
    Soyons positifs de temps en temps ou faussement naifs

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    • mrmiolito mrmiolito

      C’est pas faux ! Mais la politique de l’invitation, à long terme, nuit forcément : ça déprécie l’événement, ça écarte des gens qui auraient pu être intéressés, ça donne la mauvais habitude de la gratuité de la culture…
      Or entre inviter 50 % du public, ou n’inviter personne mais diviser le prix des places par deux (afin qu’il soit accessible à tout le monde), ça génère mathématiquement la même recette, il me semble…

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    • Hde mars Hde mars

      La politique de l’invitation à profusion a change à la Fiesta sauf pour le conseil général .D’autres festival invitent bien plus maintenant

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  6. kukulkan kukulkan

    une honte d’avoir sciemment construit des logements tout autour de cet objet culturel magnifique ! des bureaux auraient très bien pu coexister avec la fiesta et les soirées… Politiques décideurs de*****

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  7. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    460 000€ pour 3 jours, il n’y a que moi que ça choque?

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    • Hde mars Hde mars

      dans les choses pouvant etre choquante on a aussi
      -aide à l’open 13
      -aide à l’om
      -aide quand vous achetez une voiture

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    • Court-Jus Court-Jus

      13€ par spectateur en moyenne, c’est pas non plus dingue de chez dingue. A mettre en parallèle des fameux 400 000€ que la mairie voulait verser pour un unique concert de David Guetta en 2013 (au final c’est David Guetta qui avait refusé suite au tollé).
      Ca reflète surtout une tendance de fond des collectivités qui veulent de moins en moins financer les festivals.

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  8. raph2110 raph2110

    Évoquer la gestion de ce lieu emblématique pour de nombreux marseillais, sans véritables chiffres, me semble hasardeux. Pour autant quand les grands chefs de toutes institutions confondues, reconnaissent l’intérêt du projet pour les habitants et pour la Ville, il est possible de s’asseoir autour d’une table (ou visio, COVID oblige) pour trouver des solutions : nouveau lieu, recherches de nouvelles sources de financement, accompagnement pendant le redressement…
    Là je trouve la structure bien seule face à son principal soutien financier, où est la DRAC, la Région ?
    J’espère que la seule raison de laisser couler le bateau tient au fait qu’il n’y a rien à sauver. Dans le cas contraire, s’il s’agit de représailles, les élus seraient dans un abus de pouvoir déguisé et ce n’est pas pour ça qu’ils ont été élus.

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    • petitvelo petitvelo

      peut-être qu’à la faveur d’un automne libéré du Covid nos élus troqueront la paisible Fiesta contre des Rave Parties et autres fiesta sauvages à travers tout le département ?

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  9. didier L didier L

    Ah le bon temps du CD 13 … (lol)

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    • Hde mars Hde mars

      il est toujours là .Ce n’est juste pas les mêmes personnes(bien que ) qui en profitent .

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