De Sylvain-Menu à Jean-Giono, le blues des surveillants de collège

Enquête
le 26 Jan 2024
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Depuis plusieurs années, les collèges de Marseille connaissent un boom démographique. Conséquence : les personnels dénoncent une explosion des tensions, faute d'encadrement suffisant, et en particulier d'assistant d'éducation.

De Sylvain-Menu à Jean-Giono, le blues des surveillants de collège
De Sylvain-Menu à Jean-Giono, le blues des surveillants de collège

De Sylvain-Menu à Jean-Giono, le blues des surveillants de collège

Opération vie scolaire morte, ce jeudi, au collège Sylvain-Menu. Après l’intrusion d’une parent d’élève et un énième incident entre un assistant d’éducation et un élève, l’ensemble des surveillants de ce collège du 9ème arrondissement ont fait grève ce jeudi, pour demander plus de moyens dédiés à la vie scolaire. “Ils ont vraiment l’impression d’être sans cesse mis sous tension, analyse Élise Kahlat, qui suit les questions de vie scolaire pour le SNES FSU. Ils ont donc entamé ce mouvement de grève avec le soutien des enseignants. Pour l’instant, ils n’ont obtenu qu’une demi-journée banalisée pour mettre à plat les dispositifs d’encadrement“. Le cas de Sylvain-Menu est loin d’être isolé. Le travail éducatif et pédagogique porté par la vie scolaire apparaît toujours comme le parent pauvre de la répartition des moyens. Et pourtant la démographie scolaire des collégiens est sans cesse en augmentation.

Situé à deux pas du technopôle de Château-Gombert dans le 13e arrondissement, André Malraux accueille aujourd’hui 950 élèves, alors qu’ils étaient cent de moins il y a deux ans. Parmi eux, 850 sont demi-pensionnaires. Le tout encadré par huit AED, ou assistants d’éducation (en termes d’équivalent temps plein).

Une AED, à bout, qui a fini par démissionner le 15 décembre dernier, témoigne : “Ça m’est arrivée de faire quinze kilomètres la journée, alors que je suis à un poste de bureau. On doit être à tous les fourneaux et lorsqu’on prétend être déjà à 200 %, notre hiérarchie nous demande de redoubler d’efforts. Serrez les dents et endurcissez-vous, nous disait-elle”.

“Une gestion de crise permanente”

Quinze jours plus tôt, la vie scolaire comptait trois AED absents, et ce pendant une semaine. “On l’a vraiment senti passer. On était tant débordés qu’on a été jusqu’à demander aux enseignants de surveiller la récréation. On pensait à dix choses à la fois, on ne pouvait pas répondre aux sollicitations des élèves et pour assurer la surveillance, on courait dans les couloirs.”

Une partie de ces absences, étant des congés ou des périodes d’études pour certains AED, sont connues depuis la rentrée. Pourtant, que ce soit à André-Malraux dans le même secteur, à Jean Giono, à Josephine-Baker (anciennement Versailles), situé dans le 3e arrondissement ou à Darius Milhaud, dans le 12e, le disque ne change pas : les remplacer, c’est mission impossible.

L’année dernière, selon Élise Kahlat, pour pallier les absences longue durée, l’académie avait prévu “en renfort” treize équivalents temps plein, alors que le syndicat évalue à 50 les besoins réels. Un seul demi-poste a été ajouté pour cette rentrée scolaire. “Avec des effectifs sous pression, les AED font face à une gestion de crise permanente et comme leurs missions ne sont pas clairement définies, ils deviennent les bouche-trous de l’Éducation nationale”, se désole-t-elle.

Une tension qui grandit…

Clélia Petit, professeure de français à André Malraux depuis neuf ans, raconte s’être retrouvée à la mi-novembre dans une situation qui “n’aurait pas existé” si la surveillance avait pu s’effectuer dans de meilleures conditions : “J’ai face à moi, devant mes élèves, un collégien qui me réclame les carnets que je venais de confisquer pour avoir surpris ses camarades dans le couloir, et qui a une attitude extrêmement opposante. Dix ans en éducation prioritaire, et je n’avais jamais été confrontée à ce type d’aplomb.”

Pour elle, l’équation est simple : moins il y a d’adultes, plus il y a d’angles morts, et plus les collégiens se sentent libres de contrevenir au règlement. “C’est normal de chercher les limites à cet âge-là, même le plus sage inventera une bêtise s’il n’est pas supervisé”, observe l’enseignante.

…Décriée depuis des années à Jean Giono

Au collège de Jean Giono, d’après les calculs de Ramadan Aboudou, cinq AED manquent à l’appel. Depuis des années, le personnel dénonce un climat scolaire qui se dégrade et réclame plus de postes. “D’année en année, la permissivité s’accroît, on est obligés de laisser passer beaucoup de choses et des élèves, qui ne l’étaient pas jusqu’alors, deviennent problématiques. Notre collège est pris dans un cercle vicieux où tout devient de plus en plus ingérable”, réagit un enseignant – qui a souhaité rester anonyme – suite aux évènements du premier trimestre qui ont largement secoué l’établissement.

Peu avant la Toussaint, une professeure s’est vue prescrire trois semaines d’incapacité totale de travail après avoir été frappée violemment par un élève. Quelques semaines plus tard, une autre est prise à partie aux abords du collège par un élève qui tente de l’intimider et qui l’insulte au passage. Elle n’est toujours pas revenue à Jean-Giono. Sans oublier ce collégien qui, inspiré par un défi Tik-tok, a caressé la joue d’une enseignante à la fin de sa classe. À bout, elle finit par se mettre en arrêt le 15 novembre. Pas de retour prévu pour elle non plus. “Tout ça ne serait jamais arrivé si nous avions été dotés d’un accompagnement digne pour nos élèves”, regrette le professeur. Deux autres enseignantes assurent que l’ensemble du personnel partage ce constat.

Suivi éducatif délaissé au profit de l’urgence

Dans un tel contexte, l’objectif premier de la vie scolaire, assurer un suivi éducatif, semble largement compromis. L’ancienne AED d’André-Malraux raconte l’injonction qu’ils recevaient d’écourter au maximum les échanges avec l’élève : “L’enfant a besoin de se confier en dehors du foyer, il trouve refuge auprès de nous, et on devait le rembarrer. J’ai assisté à plusieurs scènes de ce type. Arrêtez de vous en soucier, nous disait-on, juste surveillez-les. Alors qu’en plus, le gros sujet du moment, c’est la lutte contre le harcèlement.” Contactée, la direction n’a pas donné suite à nos questions.

À Darius Milhaud, pour les AED, le compte y est, mais sa vie scolaire est contrainte elle aussi de renoncer au suivi éducatif des élèves. Le CPE du collège, Ramadan Aboudou, a du moins ce ressenti. “Les missions s’accumulent, on ne bosse que dans l’urgence, et on a aucun temps pour travailler la relation avec les élèves”, résume-t-il, préoccupé par des situations de décrochage qui seraient de plus en plus nombreuses.

Il est à noter que le collège est à trois points de l’indice de position sociale qui classe les établissements en éducation prioritaire. Ce qui gonflerait les effectifs de la vie scolaire. “Ça fait quatre ministres que notre catégorie doit être revue, mais on l’attend toujours. Nous sommes face à des situations sociales de plus en plus compliquées, et je suis le seul CPE. Pour 750 élèves, c’est tout proprement scandaleux.”

La politique du redéploiement

Chaque année, les vies scolaires de Malraux, Milhaud et Giono réclament des moyens supplémentaires. “Et chaque année, le rectorat nous répond que nous avons le nombre qui convient. C’est absurde, nous sommes en train de laisser le bateau couler”, dénonce Clélia Petit, l’enseignante de Malraux. Contacté puis largement relancé par Marsactu, le rectorat n’a pas souhaité communiquer au sujet des AED, et de leur répartition.

Selon Ramadan Aboudou, le rectorat n’étudie pas les besoins, mais est contraint d’opérer à enveloppe fermée : “Il déshabille Pierre pour habiller Paul, en grignotant un quart par-ci, puis un quart par-là.” En effet, suite aux évènements de Jean Giono, les enseignants du collège, la SNES et la CGT-éducation assurent que le rectorat répondait : “Alors nous, on veut bien créer plus de postes, mais on les prend où ?”

Par cette politique de redéploiement, Joséphine-Baker, classé en réseau d’éducation prioritaire, a perdu sur les dernières années un demi-poste. “Ça peut sembler peu, mais on l’a clairement ressenti, surtout depuis cette rentrée, avec nos 25 élèves en plus. La vie scolaire ne fait que tirer sur la corde, et elle ne peut pas gérer à la fois les cas de violence, les décrochages et les situations de famille complexes”, s’inquiète Sophie Bietrix, une professeure du collège. Selon Ramadan, les moyens sont principalement piochés dans les collèges en éducation prioritaire, laissant à terme l’éventuel présage d’une tension plus généralisée.

Une explosion démographique dans les collèges marseillais

Selon une étude du rectorat de l’académie d’Aix-Marseille et du département publiée en 2016, Marseille comptera près de 3 800 collégiens supplémentaires en 2025 par rapport à l’année 2015. Sur les vingt-neuf collèges publics d’un arc nord-est de Marseille, neuf d’entre eux ont accueilli à la rentrée 2023 au moins une centaine d’élèves de plus qu’il y a neuf ans. L’établissement Alexandre Dumas, situé dans le 14e arrondissement, en compte par exemple 204 de plus.

Quant au collège de Jean Giono, (13e), ses effectifs ont plus que doublé, jusqu’à atteindre 740 élèves à la rentrée. “En trois ans, l’établissement a grossi de manière exponentielle. Ils ont été jusqu’à casser des cloisons pour agrandir leurs classes. La démographie explose à Marseille, mais s’il y a bien un collège qui a eu son lot, c’est Giono”, constate Nicolas Bernard Hayrault, secrétaire départemental du SNES-FSU.

L’étude du rectorat devait permettre d’anticiper la démographie future pour “faire évoluer la capacité d’accueil et de fonctionnement” des établissements. Un fonctionnement en partie conditionné par les moyens accordés à la vie scolaire, chargée d’assurer le suivi éducatif des collégiens pendant les périodes entre les cours. Pourtant, Ramadan Aboudou, représentant du personnel au SNES qui siège au groupe de travail pour la répartition des postes de conseillers principaux d’éducation (CPE), souligne que sur les trois dernières années et pour la rentrée prochaine, le ministère de l’Éducation n’a doté l’académie d’aucun poste supplémentaire.

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Commentaires

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  1. leb leb

    Article à mettre en parallèle avec celui sur le port des uniformes. En gros, de l’argent pour l’école publique il y en a, mais surtout, surtout pas embaucher davantage de personnel comme le demandent les enseignants depuis des années. Non, ce budget doit servir à financer les opérations de com des politiques locaux et nationaux, à coup de tablettes numériques, uniformes et cie.

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  2. julijo julijo

    et oui, de moins en moins de personnels, de plus en plus d’incidents…mais au moins ils seront en uniforme et personne (?) ne porte d’abaya.

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    • Alceste. Alceste.

      Vous préfériez peut-être l’inverse,.l’abaya pour tout le monde et pas d’uniformes ?

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  3. Alceste. Alceste.

    Macagna!

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  4. petitvelo petitvelo

    Et comment ils font dans le privé ? Ils font payer les parents et éjectent les gêneurs ? Si le public veut rivaliser et inclure tout le monde, il faut plus de moyens …

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