De la mairie à la ministre : imbroglio autour d'une association marseillaise

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le 4 Août 2010
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De la mairie à la ministre : imbroglio autour d'une association marseillaise
De la mairie à la ministre : imbroglio autour d'une association marseillaise

De la mairie à la ministre : imbroglio autour d'une association marseillaise

Le nom avait été flairé par Marsactu comme porteur d’une affaire potentielle : Xavier Giocanti, entrepreneur marseillais, ami du député UMP Renaud Muselier et surtout mari de la ministre de l’Economie Christine Lagarde. Ainsi qu’ancien directeur du Centre de promotion de l’emploi par la micro-entreprise ( CPEM), condamné par l’Europe à rembourser 1 million d’euros de subvention. Et ce après une enquête de l’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf), qui a constaté « plusieurs irrégularités sérieuses« . Fraude, subvention publique, ministre de l’Economie : un cocktail explosif. Surtout en pleine affaire Woerth-Bettencourt, sans compter le laisser-aller des secrétaires d’Etat Christian Blanc et Alain Joyandet…

Une révélation qui fait du bruit

Mais le Canard Enchaîné a été plus vite que vos serviteurs, en publiant aujourd’hui un article titré « La malédiction des conjoints de ministres plane sur Bercy« . Inutile de dire que l’information a été immédiatement reprise par de nombreux médias. Et souvent comme une révélation, alors que le premier article sur l’affaire date de 2007 et que la presse locale s’est fait écho il y a quelques jours de son dernier rebondissement : l’ordonnance de la Cour européenne de justice donnant tort au CPEM, qui contestait la décision rendue en première instance par le tribunal de l’UE d’approuver le retrait de la subvention.

Toujours est-il que le couple Giocanti/Lagarde, lui qui aime s’afficher dans la presse people, se retrouve sur des charbons ardents. « Je m’occupe de son ‘PIB’ : son plaisir intérieur brut« , s’amusait-il dans Paris Match. Il vaudrait mieux parler maintenant de « problèmes intérieurs bruts »… Qu’a-t-il à dire pour sa défense ? « Je ne suis pas concerné : j’ai été nommé directeur salarié du CPEM en 2003, et j’en suis parti en avril 2005« , affirme-t-il, accusant le Canard de vouloir monter une nouvelle affaire ministérielle « à travers » lui. Mais « c’est bien pour sa gestion [que les limiers de l’Olaf] se sont passionnés« , maintient l’hebdomadaire satirique.

Problème de dates

Emballé c’est pesé ? Pas si sûr. Contactée par nos soins, l’avocate du CPEM, Me Bonnefoi, affirme que « Xavier Giocanti n’était directeur que pendant la période des échanges de courriers, de l’émergence de la plainte et qu’il est parti 1 ou 2 mois avant le contrôle » de l’Olaf. Alors que le hic porte sur la période 1999-2002, pendant laquelle le CPEM a demandé et obtenu une subvention de la Commission européenne pour un « projet pilote« , qui a été mené jusqu’en 2002.

Ce qui donnerait donc tort au palmipède qui s’emmêle d’ailleurs les pattes dans les dates plus tôt dans son article puisqu’il fait remonter la création de l’association à 1999 au lieu de 1994. Et n’évoque jamais la distinction entre le projet pilote lancé en 1999 et l’action de l’association de manière générale. Ceci expliquerait cela. Conclusion : à trop vouloir se payer un mari de ministre, le Canard et ceux qui l’ont suivi ont peut-être été un peu vite en besogne (attendons néanmoins la réponse de l’animal, qui a généralement de la ressource). Au risque de jeter le doute sur les autres affaires, même les plus solides. Le gouvernement n’en demandait pas tant…

Une Europe trop tatillonne pour le CPEM

Sur le fond, Me Bonnefoi ne se range toujours pas à l’avis de l’Olaf, puis de la Commission européenne, puis de deux tribunaux. Et il faut dire que sa rhétorique, qui limite la question à « un débat juridique » est convaincante à première vue. Pour résumer : l’Europe ne reconnaît pas les spécificités du droit français et applique des réglements de manière rétroactive (c’est à dire reproche au CPEM de ne pas respecter en 1999 des législations créées plus tard). Elle assure aussi qu’ »il n’y a pas eu détournement de fonds, que toutes les factures sont justifiées et que tous les projets ont été menés à bien« .

Seule concession : l’augmentation du budget prévisionnel au vu de « besoins spécifiques de terrains qui s’étaient déclarés« , n’a fait été confirmée qu’oralement par la Commission. Mais tout ça pour risquer les emplois des salariés de l’association et la clôture des prêts accordés, ça tient de l’acharnement.

Une défense qui ne tient pas

Sauf qu’à la lecture du long arrêt du tribunal de l’UE (la CEJ se prononce uniquement sur la forme et lui a donné raison sur cet aspect), les limites, voire les approximations de cette défense tombent. Que reproche-t-on exactement au CPEM, et à Marseille Service Développement (MSD), l’association qui était chargée de la gestion du projet ? Pas d’avoir détourné des fonds publics, donc pas de « fraude » au sens où on l’entend généralement, mais d’avoir pris des libertés avec la structure du financement. C’est-à-dire, pour reprendre les termes du Canard Enchaîné, d’avoir tenté de « masquer » le fait que « l’Europe est pratiquement la seule à banquer » pour son projet (et non pour son budget, comme l’hebdo l’écrit).

C’est là que les collectivités locales, toutes partenaires historiques de l’association, entrent en scène. La technique utilisée, connue sous le nom de « valorisation« , consiste en « l’imputation de dépenses encourues par des collectivités publiques, dans le cadre de leurs missions respectives, sur les contributions financières qu’elles sont censées apporter à un projet« , résume le tribunal.

Les fonds manquants du CG13 et de la Mairie

Le tribunal cite le cas du Conseil général des Bouches-du-Rhône, qui devait mettre au pot 200 000 euros, les a couverts au moins en partie via « des dépenses de la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle des Bouches-du-Rhône (DDTEFP), effectuées dans le cadre de sa politique en matière d’emploi et de réinsertion de chômeurs« . En bref, au lieu d’allonger le cash, le CG13 a voulu s’en tirer avec l’argent qu’il dépense pour sa propre politique. Et le CPEM s’en est contenté.

Il n’est pas le seul à avoir eu du mal à délier les cordons de sa bourse. Il manquait au minimum 120 000 euros au chèque de la mairie de Marseille, qui devait abonder de 274 231 euros. Pire, d’après le rapport de l’Olaf, « ni le CPEM ni MSD n’ont contraint la ville de Marseille à exécuter ses obligations financières« . Pourquoi ? Le gendarme de l’UE y voit la marque des liens de dépendance entre ces deux structures et la Ville.

Dépendance

S’il restait encore un doute à la Commission européenne pour savoir si elle devait retirer son aide ou non, ce point-là a dû finir de clore le dossier. Car il était destiné à
des organismes à but non lucratifs, mais privés. Sauf que c’est la Ville de Marseille (époque Robert Vigouroux) qui est à l’origine du CPEM. Et que « le CPEM et MSD sont dépendants de la ville de Marseille quant à leurs locaux, leur personnel et leur fonctionnement et mettent en œuvre certains aspects de la politique de la ville« , rappelle le Tribunal, reprenant les conclusion de l’Olaf.

Un lien qui se retrouve jusque dans les status de MSD : qui précisent qu’il « doit mettre en œuvre ses actions de formation « dans le cadre de la politique de formation professionnelle définie par le Conseil Municipal » et que l’aide aux organismes de formation professionnelle de Marseille, notamment par la mise à disposition de locaux, se fait « après accord du Conseil Municipal »« , poursuit le Tribunal. Pourquoi pas, à condition de ne pas le faire avec des fonds européens sans le dire…

Actualisation :

Pour être tout à fait complet, la mairie de Marseille a envoyé hier un communiqué (on a dû être oubliés malgré notre coup fil dès le début de matinée), titré « Une association autonome qui agit en faveur de lʼemploi ». Si la deuxième partie de la phrase est indéniable (« depuis sa mise en service, le Centre de Promotion de lʼEmploi par la Micro-entreprise (CPEM) a permis la création de plus de 2 500 entreprises et 4 000 emplois directs« , d’après la Ville), la justice en a décidé autrement pour la première.

De même, lorsque le texte argue que « la Ville de Marseille, au même titre que lʼEtat, la Région, le Département, MPM, la Caisse des Dépôts et Consignations et les entreprises privées, nʼa pas été sollicitée par la Cour de Justice européenne dans lʼaffaire judiciaire concernant la gestion du CPEM« , il oublie de préciser que « en 2005, assistés par la police et la justice françaises, les enquêteurs européens entendent notamment une élue UMP et deux hauts fonctionnaires de la Ville », selon La Provence.

Dans l’un des rares articles évitant les erreurs consacrés au sujet, La Marseillaise d’aujourd’hui précise de plus que le dossier a été transmis au Parquet de Marseille « il y a pratiquement deux ans » et cite Michel Raffin, procureur adjoint de la République : « on a peut-être quelque chose dans les tuyaux« .

Un lien Var : Alain Joyandet coulé par le béton, sur Marsactu

Un lien Un commentaire éclairé sur l’article de Paris Match et le PIB de Lagarde

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Commentaires

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  1. Christian Pellicani Christian Pellicani

    affaire à suivre !

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  2. Jerome Jerome

    Ca alors, « Une association autonome qui agit en faveur de lʼemploi » ! Exactement comme l’affaire de l'”Espace Agir Ensemble”, association aixoise, pépinière d’entreprise, liquidée dans la plus grande opacité avec un passif de plus de 324.000 euros, financées par toutes les collectivités territoriales, et qui a vu un dénouement on ne peut plus honteux, ces derniers jours :
    http://www.lamarseillaise.fr/justice-faits-divers/la-directrice-d-eae-condamn-e.html

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