“Dans les Bouches-du-Rhône, les terres agricoles servent encore de variable d’ajustement”
Pour contrer le manque de données publiques sur l'artificialisation des sols, France nature environnement 13 publie un nouveau recensement des terres agricoles menacées dans les Bouches-du-Rhône. En deux ans, les zones signalées ont quasiment doublé. Délégué agriculture à FNE, Alain Goléa retrace à Marsactu les enjeux de ce répertoire participatif.
Dans le 13e à Marseille, un terrain agricole a récemment été proposé pour accueillir un commissariat. (Photo Google Streetview)
26 communes, 63 zones, 2 247 hectares concernés… Face à l’urbanisation grandissante du département, l’association France nature environnement (FNE) 13 vient de faire paraître son répertoire 2021 des terres agricoles menacées d’artificialisation dans les Bouches-du-Rhône. Dans un document d’une centaine de pages, les 25 associations locales partenaires détaillent la nature des projets en cours qui visent ces terrains. Des sols naturels, agricoles ou non, qui doivent être aménagés et imperméabilisés pour accueillir des logements ou des infrastructures. Dans beaucoup de cas, de futures zones commerciales ou des contournements autoroutiers y sont prévus. Un formulaire de signalement en ligne sur le site de FNE permettra d’actualiser le recensement.
Au total, le nombre de zones concernées dans les Bouches-du-Rhône représente pratiquement le double des 36 menaces signalées lors du précédent recensement de FNE en 2019. Le département reste le plus touché par ce phénomène dans la région, avec 18,7 % des sols du département artificialisés, contre 8,8% en Provence Alpes Côte d’Azur, selon l’observatoire régional de la biodiversité. Et ce, malgré la mise en œuvre par la métropole d’un projet alimentaire territorial (PAT) et d’un nouveau plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), pourtant censés sanctuariser ces terres respectivement depuis 2018 et 2019.
Pour Marsactu, Alain Goléa, délégué agriculture à FNE, revient sur les enjeux de cette démarche participative de recensement, soutenue notamment par la Confédération paysanne, le conservatoire d’espaces naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur et les AMAP de Provence. S’il alerte sur la difficulté pour les associations d’obtenir une mesure précise du phénomène, le délégué insiste sur l’intérêt de documenter l’évolution des menaces en cours, afin d’interpeller les pouvoirs publics.
Pourquoi France nature environnement a-t-elle mis en place une démarche de recensement, par les associations locales, des menaces d’artificialisation des sols ?
“C’est embêtant, mais ce n’est pas grand-chose” : c’est ce qui nous était répondu à chaque fois que l’on s’opposait à un projet d’artificialisation. Tout le monde voyait quelques hectares menacés par-ci par-là, à l’échelle locale, mais sans partir du principe qu’il fallait arrêter d’artificialiser. Nous avons donc réalisé que c’était uniquement en faisant un travail de recensement que l’on pourrait avoir cette photographie d’ensemble du territoire. L’objectif est de la destiner essentiellement aux élus, pour que personne ne puisse dire “on ne savait pas”.
Aujourd’hui, aucune mairie ne communique sur sur la surface de terre agricole artificialisée dans sa commune. Face au peu de transparence publique sur le sujet, quelles peuvent être les limites de votre étude ?
Le foncier agricole, ce sont des enjeux financiers énormes, de l’affairisme et éventuellement du copinage. C’est en tout cas quelque chose de très opaque et les pouvoirs publics n’aiment pas faire la lumière là-dessus. Les chiffres sont très variables et on ne dispose à ce jour d’aucun instrument de mesure fiable en France.
Nos résultats sous-estiment donc la situation, parce que ce sont des associations locales sur place qui prennent l’initiative de rédiger des fiches détaillées. Or toutes les communes n’ont pas d’associations de ce type. Et c’est aussi une prise de responsabilité : dans quatre ou cinq communes, les gens ont fait un signalement, mais ont eu peur de rédiger la fiche. Enfin, aucun organisme agricole n’a voulu contribuer à notre travail, ce que nous regrettons.
La préfecture évoque 600 hectares artificialisés tous les ans dans le département. Quelle méthode avez-vous utilisée pour parvenir à ce chiffre de 2 247 hectares menacés ?
Cet écart avec les chiffres du préfet est dû au fait que nous incluons dans notre recensement les zones agricoles qui sont menacées d’artificialisation, mais pas uniquement. Nous comptabilisons également des anciennes zones agricoles désormais classées “zones à urbaniser”, pas encore bétonnées et présentant un potentiel agricole. C’est notamment le cas d’un terrain comme celui de La Claire, à Château-Gombert [proposé fin mai par le département pour l’implantation d’un nouveau commissariat, ndlr].
Pour la métropole, l’arrivée en 2019 du nouveau plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), à l’échelle du conseil de territoire de Marseille, se voulait être un gage de protection pour les terres. Qu’en est-il ?
On observe un statu quo du côté de Marseille en termes de projets. Mais toutes les autres communes n’observent absolument pas une sanctuarisation des zones agricoles. Ces terres servent encore de variable d’ajustement, dans une logique d’étalement urbain.
Pour protéger les zones agricoles, le gouvernement vise pourtant le “zéro artificialisation nette” d’ici 2030, tandis que la métropole s’est lancée dans une démarche de projet alimentaire territorial qui favorise les circuits courts depuis trois ans. Quel regard portez-vous sur la prise en compte de cet enjeu par les pouvoirs publics ?
On nous parle de zéro artificialisation nette, ce qui signifie que les hectares artificialisés devraient être compensés par des hectares remis en production. Mais en réalité, dans les Bouches-du-Rhône le solde est toujours totalement négatif. Cela entre en contradiction avec les plans d’action développés par la métropole. Si cette dernière veut davantage de production agricole locale, alors même que l’on table sur une augmentation de la population, on va devoir préserver les terres existantes, et non pas les supprimer !
Avec près de 18,7 % de terres artificialisées, les Bouches-du-Rhône sont toujours largement au-dessus de la moyenne régionale qui est de 8,8 %. Pourquoi cette particularité dans le département ?
La pression foncière et immobilière est très forte dans cette zone. Les plateformes logistiques cherchent à s’installer dans la plaine de la Crau, à proximité du port de Fos et du nœud autoroutier. Et certaines communes créent même artificiellement ce besoin – c’est le cas de le dire – en prenant elles-mêmes l’initiative de bétonniser des espaces pour ensuite les mettre à disposition. Aujourd’hui, l’artificialisation ne sert plus tant à créer des logements comme dans les années 2000, mais à accueillir des zones commerciales ou des infrastructures autoroutières [à hauteur de 55 % selon l’AGAM, agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise, ndlr].
Deux ans après le lancement de ce nouveau PLUi et la parution du premier répertoire de FNE, quelles sont les autres grandes évolutions que l’on peut observer ?
Après les municipales, beaucoup de nouveaux élus des communes concernées souhaitaient avoir un aperçu actualisé de la situation. Ce qui ressort clairement, c’est que les surfaces menacées ont continué d’augmenter : on passe de 36 à 63 zones concernées, et de 1 919 à 2 247 hectares. Depuis 2019, quatre nouvelles communes sont concernées : Ensuès-la-Redonne, Saint-Victoret, La Barben et Marignane. Le nombre de zones concernées augmente plus vite que le nombre d’hectares touchés, car les projets de plus petite taille se multiplient.
Sur les 2 247 hectares menacés au total, Arles fait par contre figure de principale victime avec près de 1 200 hectares menacés, notamment dans le cadre d’un projet de contournement autoroutier…
En termes de nombre d’hectares, c’est le projet le plus inquiétant. On va accaparer des centaines d’hectares pour faire gagner vingt minutes aux camions ! Mais deux autres communes présentent beaucoup de risques en termes de nombre de projets en cours : comme Aubagne ou encore Aix, où près de huit menaces ont été recensées. Certains projets sont aussi particulièrement problématiques, du fait des spécificités des zones concernées. C’est le cas des Charmerettes à Marseille, de La Serviane, La Grognarde et La Barben [où FNE a porté une plainte au pénal contre les travaux en cours, ndlr]. Il faut se rendre sur place pour voir à quel point ces terrains sont des joyaux.
Quelle réaction attendez-vous des pouvoirs publics suite à la parution de ce répertoire ?
Une esquisse de loi sur le foncier agricole nous a été promise depuis trois ans par le président de la République. En attendant, nous demandons a minima un moratoire sur le sujet : que ces projets soient gelés pour permettre un véritable état des lieux. Nous aimerions aussi voir se constituer un véritable organisme régional de gestion du foncier agricole.
En parallèle, nous souhaitons organiser une table ronde avec les pouvoirs publics, pour les mettre face à leurs responsabilités. Mais il s’agit aussi de pouvoir travailler avec eux sur des projets alternatifs. Pour chaque projet, les associations ont imaginé des projets d’agriculture urbaine, d’agro pédagogie ou encore de potager communal. Pas des propositions hors sol – sans mauvais jeu de mots.
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Plusieurs formulations incertaines voire fausses affaiblissent le propos. C’est dommage. Plus fondamentalement c’est sur le zonage, en amont des modifications qu’il faut faire porter l’effort collectif.
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