Dans le viseur de la justice, un club de tir où tous les coups sont permis

Enquête
le 25 Fév 2022
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À Gignac-la-Nerthe, un club de tir très fréquenté par les policiers de la région est sous le coup d'une enquête du parquet d'Aix. La justice s'intéresse au fonctionnement de cette association accusée de pratiquer la location d'armes hors réglementation et de dispenser des formations bidons.

Un stand de tir du club de Gignac. (Photo : capture de la page Facebook du CRETES)
Un stand de tir du club de Gignac. (Photo : capture de la page Facebook du CRETES)

Un stand de tir du club de Gignac. (Photo : capture de la page Facebook du CRETES)

Coincé entre l’autoroute A55 et les immenses parkings d’une société de transport, le club de tir de Gignac-la-Nerthe est bien connu des forces de l’ordre locales. Agents de la police nationale de Marseille, municipaux de Carry-le-Rouet, Sausset-les-Pins, Ensues-la-Redonne mais aussi douaniers, surveillants des Baumettes ou de la maison d’arrêt de Luynes… Les stands du CRETES Sud Est sont, comme le président de ce club associatif aime le répéter, fréquentés par de nombreuses autorités locales. Voire, par “quelques procureurs de Marseille” dit-on dans le milieu.

Mais le CRETES Sud-Est, pour Club régional de tir éducatif et sportif, est aussi bien connu du parquet d’Aix-en-Provence, pour d’autres raisons que ses pas de tir en plein air. Contactée par Marsactu, la justice confirme mener actuellement une enquête “assez large sur le fonctionnement de ce club”. Elle concerne “son administration, son organisation et des questions de normes”, précise le procureur qui ne souhaite pas en dire plus pour le moment. Locations d’armes hors les clous, encadrement de tirs non réglementés, vente de formations bidons… Marsactu a recueilli plusieurs témoignages et consulté des éléments versés à l’enquête qui dessinent un club à la dérive qui pose de sérieuses questions de sécurité.

Arsenal à louer

Carabine 308, Glock, Tanfoglio, Beretta, Sig Sauer, Browning mais aussi Scorpio ou AR 15… Au club de tir de Gignac, il est possible de tester une trentaine d’armes différentes. En règle générale, les licenciés de clubs de tir viennent avec leur propre arme. Mais à Gignac, ce véritable arsenal est disponible pour être loué lors de séances de tirs par tout un chacun, adhérent ou non. Et il est déclaré non pas au nom du club, comme la loi l’oblige, mais à celui de Jean-Michel Segui, ancien policier municipal, et président de cette association, de sa femme ou de son fils, membres du bureau associatif.

“On ne peut pas louer des armes de manière régulière. La loi autorise les clubs à prêter une arme, dans le cadre bien précis d’une initiation pour une ou deux séances, pas plus, et pas à n’importe qui”, explique Michel Baczyk, président de la fédération française de tir qui a homologué trois des neuf stands du CRETES.

Dix euros pour tirer avec une carabine 308 ou un fusil AR15, 7 euros pour un Glock… En 2019, le CRETES a loué des armes à 938 reprises. On peut aussi y acquérir des bons cadeaux d’une valeur de 150 euros pour des “stages de tir à effectuer à Gignac avec plusieurs armes de poing et armes longues”. Une pratique qui dépasse largement le cadre de la mise à disposition occasionnelle tolérée pour les clubs associatifs. Et dont, selon plusieurs sources, l’encadrement laisse à désirer.

Il mettait à la location des armes et des munitions qui lui appartenaient alors qu’il était absent. Son fils pouvait prendre le relais, mais il n’a pas de diplôme.

Un ancien membre

En théorie, les séances d’initiation doivent répondre à trois conditions. S’il n’est pas licencié, le nom du tireur doit être passé au fichier FINIADA, qui recense les personnes ne pouvant acquérir ou détenir une arme. Ensuite, ce dernier doit être accompagné par le licencié détenteur de l’arme prêtée, ou bien dans le cas où l’arme appartient au club, à une personne possédant un brevet ou un diplôme fédéral. “Parfois, [Jean-Michel Segui] mettait à la location des armes et des munitions qui lui appartenaient alors qu’il était absent. Son fils pouvait prendre le relais mais il n’a pas de diplôme, il est juste agent de surveillance de la voie publique (ASVP)”, rapporte un ancien membre de ce club. Un jeu à la limite de la réglementation qui a dérapé, ouvrant la porte à de graves dérives en termes de sécurité. Contacté, le président du club n’a pas souhaité répondre à nos questions, arguant le fait qu’une enquête est en cours.

“Diplôme barbouze”

Marsactu a en revanche retrouvé plusieurs personnes qui disent avoir bénéficié de formations pour devenir moniteur au sein du CRETES. “En une semaine et pour 3000 ou 4000 euros il m’a délivré un diplôme de tir police, raconte Marc (*), sous couvert d’anonymat. Il mettait les armes et les munitions à disposition et faisait passer lui-même la formation. Il m’a fait potasser sur des cours de la police nationale.”

Mais alors qu’il pense pouvoir utiliser son diplôme pour travailler dans ce secteur, Marc est contacté par les pouvoirs publics. “Ils m’ont dit que mon diplôme était un faux, que je ne devais pas m’amuser à l’utiliser. C’est un diplôme barbouze, une escroquerie.” Souhaitant également rester anonyme, un deuxième homme témoigne : “J’ai payé au CRETES une formation pour être instructeur au tir police. La formation a duré une semaine mais le diplôme est bidon. Il n’est pas reconnu, n’existe pas”, fulmine-t-il.

Pour un troisième homme, qui préfère lui aussi taire son nom, le processus a été stoppé en cours de route : “J’ai essayé de me faire financer la formation par un organisme public, mais le dossier bloquait. Au bout d’un an, on m’a dit que le centre n’était pas agréé.” Une situation dans laquelle s’est aussi retrouvé Paul*, qui raconte sensiblement la même histoire à Marsactu.

Un faux diplôme obtenu au CRETES il y a plusieurs années. (Document : DR)

Si l’on se fie aux numéros inscrits sur les faux diplômes délivrés lors de ces pseudo-formations, ils seraient une quarantaine, au moins, à s’être fait piéger. “C’est strictement interdit, seule la fédération fait des formations de cet ordre et ce ne sont même pas des formations de tir police mais de tir cible”, rappelle Michel Baczyk. Les formations de tir police sont elles réalisées par … la police. S’ils se défendent d’avoir eu à former ou encadrer des policiers par la suite, certains anciens membres interrogés par Marsactu confient en revanche avoir encadré les fameuses séances d’initiation, lors desquelles l’arsenal décrit plus haut était utilisé. Tous disent aujourd’hui avoir arrêté cette activité bénévole.

“C’était la pagaille”

Pour l’un de ces anciens encadrants, le large choix d’armes proposé aux débutants pose également problème dans ce centre. “Ce n’est pas censé être la fête foraine. Normalement on apprend sur un pistolet à plomb, puis sur une carabine 22 long rifle, et après on voit. Ce n’est pas les États-Unis ici ! “, s’agace-t-il.

Parfois je prenais des gens sans savoir s’ils étaient licenciés, c’était la pagaille. Il arrivait qu’il n’y ait même pas de moniteurs.

Un ancien encadrant

Parmi les personnes qui encadraient les tirs au CRETES, Marsactu a retrouvé un animateur de la FFT. Mais celui-ci a depuis quitté le club. “Pour des raisons humaines mais aussi de sécurité, justifie-t-il. Si quelqu’un veut faire du tir, il vient, on le passe au fichier, il essaye du 22 long rifle et ça s’arrête là, il n’est pas censé être question de gros calibres.” Il ajoute : “Moi je suis resté dans le cadre de la FFT, mais il y avait des choses pas nettes. Parfois je prenais des gens sans savoir s’ils étaient licenciés, c’était la pagaille. Il arrivait qu’il n’y ait même pas de moniteurs. Ce n’était plus un club affilié à la FFT, mais un club privé.” 

La question des munitions est aussi délicate. Pour les personnes interrogées par Marsactu, leur vente manquait cruellement de contrôle. En temps normal, la totalité des douilles correspondant aux balles tirées est censée être ramenée au vendeur après la séance. “Il n’y avait pas de contrôle, c’est déjà arrivé que des gars prennent quatre boîtes et restent 5 minutes sur le pas de tir…”, assure-t-on.

La FFT alertée à plusieurs reprises

Plusieurs alertes ont été envoyées à la fédération française de tir, dont une en mai dernier, que Marsactu a pu consulter. Émanant d’un membre du club, le courrier décrit une structure qui ressemble plus à une entreprise familiale qu’à un club sportif associatif, où les bénéfices semblent passer avant la sécurité et le loisir des adhérents. Parmi les membres du bureau, le président, le vice-président, la secrétaire, la secrétaire-adjointe et le trésorier portent le même nom. Ces alertes ne seraient pas remontées jusqu’au président de la fédération qui ne peut justifier l’inaction de sa structure dans ce dossier.

Du côté de la police, on assure utiliser seulement les infrastructures de ce club. “Les séances de tir demeurent encadrées par les moniteurs de la police nationale ; en aucun cas les personnels de la structure utilisée n’encadrent, ni a fortiori ne “valident” des tirs”, répond la préfecture de police interrogée à Marsactu.

Elle précise que seuls les stands homologués par la FFT et conventionnés par l’administration sont utilisés. “Si des éléments transmis à l’autorité administrative par le parquet conduisaient à ce que la FFT retire son agrément à un stand de tir, la convention passée avec [le stand CRETES à Gignac] serait remise en cause”, poursuit la préfecture de police. D’autres ont pris les devants. C’est le cas de la commune de Gignac-la-Nerthe, dont le maire a interdit à ses policiers municipaux de fréquenter les lieux.

* Le prénom a été modifié

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