Dans le bus 31, “le Corona, c’est loin”
La régie des transports métropolitains renforce son service sur certaines lignes en tension. Les bus y dépassent de loin le quota théorique de 10 à 15 passagers qui permet de respecter la règle de distanciation sociale. Reportage dans le bus 31, bel et bien plein.
Le bus 31 contient le double du nombre de passagers prévu par les règles de distanciation sociale.
En ces temps incertains, on va prendre le bus presque comme on va à la guerre. Visage couvert d’un masque FFP2 retrouvé avec un pot de peinture et mignonnette de liquide hydro-alcoolique en poche. Depuis le début du confinement, un certain nombre de lignes du réseau de transports marseillais sont régulièrement montrées du doigt. Les bus y sont bondés, les règles de distanciation et “gestes barrières”, de la pure théorie.
La direction de la RTM a d’ailleurs fait exception au “service du dimanche”. Depuis le confinement général, le rythme ralenti est devenu la règle. Problème, sur certaines lignes, cette baisse de fréquence entraîne une surfréquentation des bus et des tensions entre les usagers.
Bus en renfort
“C’est notamment le cas sur le nord de la ville et la vallée de l’Huveaune, explique Pierre Durand, le directeur général adjoint chargé de l’exploitation de la régie des transports. Sur ces lignes, nous avons mis en place un renfort pérenne tous les jours. Ajoutez à cela une dizaine de bus qui sont prêts à être affrétés si les chauffeurs nous préviennent d’une situation de surfréquentation“. En théorie, les bus ne sont plus censés accueillir plus de 10 à 15 personnes pour satisfaire aux règles de distanciation sociale. La réalité est toute autre.
Au départ du bus 31, rue des Fabres, près du centre Bourse. Ils sont déjà sept à patienter avant le démarrage du bus. Ce dernier serpente lentement à travers la Belle-de-Mai et le 14e arrondissement avant de finir sa route tout en haut des Aygalades. En quelques arrêts à peine, le quota théorique est atteint. Il est dépassé alors que le bus dépasse un camion de CRS qui contrôle systématiquement les véhicules à la Porte d’Aix.
Les forces de l’ordre regardent passer le bus sans un geste alors qu’il charge à nouveau des passagers, faisant exploser le quota théorique. Pourtant, le renforcement des contrôles conjoints avec la police fait partie du dispositif mis en place par la régie pour limiter la fréquentation. Mais ce n’est pas la mission de ces fonctionnaires. “Nos équipes de vérificateurs font déjà un certain nombre de contrôles de prévention à certains arrêts. Ils rappellent notamment l’importance des gestes barrières et la nécessité de limiter ses déplacements, explique le directeur adjoint de la RTM. Mais nous n’avons de pouvoir de police. C’est pour cela que nous allons mener des contrôles conjoints avec la police nationale afin de vérifier si tout le monde possède bien son attestation“. Une manière de vider les bus confirmée par plusieurs chauffeurs.
Contrôles de police “sur 15 points chauds”
Une quinzaine de points chauds ont été identifiés sur le réseau où forces de police, nationale et municipale, et vérificateurs de la RTM doivent agir de concert. Ces contrôles doivent avoir lieu l’après-midi, depuis ce mercredi. Le terminus des Fabres en fait partie.
Mais à l’heure où nous prenons le bus, policiers et contrôleurs sont ailleurs. En revanche, les usagers sont bien là et en nombre. Place de Strasbourg, leur nombre a doublé. Impossible de maintenir la moindre distance. Parmi les passagers, peu de gens portent des masques ou des gants. Certains tentent de maintenir devant leur visage un foulard, voire le haut d’un pull. Barrière bien dérisoire.
“Prendre le bus en sécurité”
Une dame âgée, foulard en tête s’agace. Elle porte un masque et des gants mais trouve que le jeune couple qui vient de grimper est beaucoup trop proche d’elle. Claquettes au pied, les deux jeunes gens parlent en anglais. Le garçon tient un mouchoir devant son nez des deux mains pour imiter la dame qui ne trouve pas ça drôle. Un autre passager lui propose de s’asseoir, ce qu’elle décline. “Non, ce que je veux, c’est prendre le bus en sécurité”, dit-elle.
Très vite, le ton monte entre eux. Sous son bonnet, le jeune homme assis est en conversation téléphonique et n’accepte pas d’être interrompu. “Mais je croyais que vous me parliez ?”, s’insurge-t-elle. “Laissez moi tranquille, lance le jeune homme. Si vous avez peur, ne prenez pas le bus. Si on est là, c’est qu’on n’a pas le choix. Tout le monde à peur. Moi, j’ai ni masque, ni gants. Et vous, vous avez les deux”. Le jeune homme se lave les mains au liquide hydro-alcoolique plusieurs fois de suite en commentant l’incident avec son interlocuteur. La dame ne tarde pas à descendre. Elle n’aura parcouru que quelques centaines de mètres. Et si cette dernière est âgée, elle n’est visiblement pas la seule à emprunter le bus pour de si courte distance.
“Pour quelques arrêts”
C’est ce que constate David Gimenes, chauffeur de bus syndiqué à la CGT. Sur la ligne 38 qui traverse les 13e et 14e arrondissements de la station Malpassé à Capitaine Gèze “les gens montent parfois pour quelques arrêts alors que le bus est bondé”. Son véhicule de 18 mètres est très rapidement plein, “parfois jusqu’à 40 personnes”. Il dit avoir prévenu sa direction sans que le service soit renforcé pour autant. Il ne constate non plus de contrôles de police sur ses passagers aux différents arrêts. “Mais les gens qui sont là n’ont pas le choix, explique le chauffeur. Soit ils vont faire des courses, soit ils vont travailler. C’est rarement pour se promener”.
Pourtant, parmi les passagers, certains ont des préoccupations commerciales qui n’ont que peu à voir avec les produits alimentaires de première nécessité. Ainsi trois jeunes aux visages diversement couvert discutent à voix haute de trafic de shit. Avec l’arrivée d’un nouveau passager, la conversation dévie sur le coronavirus. “Non, mais c’est comme la grippe, tu risques rien, dit celui qui a le visage non couvert. 80 % des gens qui l’attrapent ne sont pas malades. C’est loin, le corona, j’te dis“. Son collègue modère ses ardeurs : “Y a une fille de 16 ans qui est morte, t’y es fou, ça touche tout le monde”. Les compères descendent à l’arrêt des Rosiers avant de s’engouffrer dans la venelle qui monte à la copropriété.
Ouvrir la porte avec le coude
Ce que tout le monde touche dans le bus, ce sont les boutons d’appel du chauffeur et les barres d’appui. “Certains s’essaient à des acrobaties en ouvrant la porte avec le coude ou avec une canne. On sent que cette situation crée de la tension entre les gens. Dès qu’ils sont trop près les uns des autres, ils s’agacent, explique David Gimenes. Nous, on assure la continuité du service public“. Tous les jours, les bus sont entièrement désinfectés. “Une fréquence qui a augmenté avec l’épidémie, explique Pierre Durand. Notre prestataire nous fournit un PV de contrôle qualité à chaque lavage”.
En montant vers Sainte-Marthe, le bus 31 se vide peu à peu jusqu’à revenir à la barre de 15 passagers. Au village, plusieurs personnes âgées montent à leur tour. Aucune d’elles n’a de protection. On surprend ces gestes anodins qu’on ne remarquait pas il y a quelques semaines. La main qui part de la barre d’appui, touche le nez, la bouche, remonte une mèche.
Présente depuis le départ, une toute jeune femme ne lâche pas son pull qu’elle tient sur son visage. De temps en temps, elle soulève la couverture qui isole un jeune enfant dans une poussette, chargée de course. Elle converse avec un autre passager. “Je n’ai pas peur pour moi, j’ai peur pour mon bébé”, dit-elle alors que le bébé tousse. Ils descendent aux Micocouliers. Non loin du terminus.
“Ils prennent des risques parce qu’ils n’ont pas le choix”
Deux chauffeurs y discutent en prenant leur pause. Le premier est un renfort, nouveau sur la ligne. Il constate la même surchauffe sur plusieurs lignes des quartiers Nord où il exerce. “C’est le cas sur le 31 et le 32 mais aussi le 89 qui va du centre-ville au Canet. En fait, toutes les lignes qui vont du centre vers le Nord et celles qui desservent les grands centres commerciaux”. Il n’est pas inquiet pour lui-même car la rubalise permet de maintenir la distance avec les passagers qui n’ont plus à s’inquiéter de payer leur ticket puisque les validateurs sont dans la zone confinée. “On est inquiets pour les gens parce qu’ils prennent des risques, parce qu’ils n’ont pas le choix, explique le chauffeur. On est aussi inquiets pour nous parce que la situation rend tout le monde nerveux et que ça peut vite dégénérer. Et on fait quoi dans ce cas là ?”
Sur le trajet retour, le bus est moins plein. Certaines personnes âgées croisées à l’aller font aussi le retour, cabas remplis. Dans ces quartiers, pour trouver une boulangerie ou faire les commissions, il faut parfois marcher longtemps. Deux jeunes filles masquées et tirées à quatre épingles montent à leur tour, pour trois arrêts. “Moi je me change à chaque fois que je sors”, dit l’une alors qu’elles s’assoient côte à côte. Très vite les portables sortent et les masques sautent. Tant pis pour la barrière. Elles éclatent de rire, pliées en deux, l’une contre l’autre. La vie avance. Le virus aussi.
Commentaires
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Lamentable, cette inaptitude de la RTM à adapter son offre à la demande. Et ça fait des jours que le constat est posé. Même quand la fréquentation est faible l’offre est insuffisante. Il faut vraiment le faire exprès.
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Cher 8e , cela est pire encore , ils ne le font pas exprès ,c’est une volonté affirmée. Que voulez vous quand vous avez au conseil , encore et toujours le père TIAN et qui contribue à décider du sort des “usagers” (Personne qui fait usage d’un service public ou du domaine public.) , terme totalement inapproprié dans ce cas précis, car ce fameux service n’est pas assuré. Marseille , capitale de la ségrégation .
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Bravo Marsactu,
Encore une fois, un article bien écrit, au ton juste qui décrit notre réalité avec toutes ses nuances.
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Pendant ce temps, passe à fond sur le bd Michelet, aussi bien à la montée qu’à la descente le B1 immense, avec son accordéon et quasiment vide, à une fréquence de dingue. Il va si vite que les horaires ne sont pas respectés. La RTM aurait au pu au moins mettre un bus classique non ?
Ben non… Y zi ont pas pensé
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Le chauffeur doit être pressé d’arriver au terminus pour… bah pour rien.
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Bravo les chauffeurs!
Bravo Marsactu!
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Mais Pierre Durand, directeur général adjoint chargé de l’exploitation de la régie des transports, vous avez une solution dont l’organisation ne vous a jusqu’à présent posé aucun problème….les “bus fantomes”
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De telles situations n’arrivent pas dans les bus pour Bompard ou Mazargues. Et quand ça pourrait arriver avec les bus des plages, il y a des lignes clandestines pour la clientèle de ces quartiers !
Comme la mairie de Marseille, la RTM pratique de fait la ségrégation sociale et géographique.
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Les gueux, les ”sans dents”, les gens ”qui ne sont rien”, le Peuple en un mot comme en mille n’est qu’une variable d’ajustement pour consommer et travailler.
Comme il ne décide plus, il n’a que les Maitres qu’il mérite.
Relisez ”la servitude volontaire, le contre’un”, d’Étienne de la Boétie.
Et pendant ce temps là, ils vont nous concocter la restriction de nos liberté comme cela le fut contre le terrorisme. Amen…!
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La semaine dernière, les forces de l’ordre ont arrêté le car de la ligne Marseille Cassis et ont vérifié comme il se doit les laisser-passers du chauffeur et du seul passager à bord…
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C’est bon pour les statistiques dont le pouvoir rafole
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au lieu de réduire les bus et métros il fallait au contraire les multiplier et limiter les passager à 10!
Au lieu de pleurnicher que ce n’est pas possible remettez un contrôleur par bus et filtrez les entrées sur les quais du métro de façon à ne pas laisser rentrer plus du quota de 10 personnes par bus ou wagon .
Ce que les magasins d’alimentation, parviennent à faire la RTM en serait incapable ?
La RTM se comporte comme le gouvernement : pas de préparation ,pas d’idées et surtout aucune volonté de participer à la non propagation du virus .
Le font ils exprès ? j’espère qu’ils devront rendre des comptes !!!
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Bon à rien et mauvais en tout.
D’ailleurs prenez la ville et la RTM, ce sont les mêmes. Les mêmes au département, les mêmes à la métropole. Même cause même effet
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De plus en plus, la RTM justifie sa réputation de sévice public.
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Certaines villes ont mis en place des infrastructures cyclables urgentes pour encourager la pratique du vélo, où les distances de sécurité entre personnes sont naturellement respectés. Surtout pour des distances courtes (entre 500 mètres et 5km) comme le montre l’article “quelques arrêts de bus”
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Un petit bilan de ces aménagements urbains d’urgence ici : https://blogs.alternatives-economiques.fr/vidalenc/2020/04/05/semaineconfinement3-ideespourapres-oser-l-urbanisme-tactique-pour-adapter-nos-villes-au-post-covid-19
Remarque : ça ne se passe pas en France. Où l’on attend que ça redevienne “comme avant”.
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