Dans la poussière des démolitions, la Savine s’interroge sur son avenir

Actualité
le 5 Juin 2023
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À la Savine, les derniers bâtiments de cette cité historique du 15ème arrondissement disparaissent dans la poussière. La cité perchée en bordure du massif de l'Étoile s'interroge sur son avenir, entre renaturation et retour du logement social.

Les cubes affleurent derrière le chantier de démolition du bâtiment K. (Photo : B.G)
Les cubes affleurent derrière le chantier de démolition du bâtiment K. (Photo : B.G)

Les cubes affleurent derrière le chantier de démolition du bâtiment K. (Photo : B.G)

Au milieu de la Savine, des engins de chantier grignotent d’énormes tas de gravats, derniers vestiges de la tour K qui trônait depuis 1973 au milieu d’un bouquet de béton, posé en bordure du massif de l’Étoile. La grande cité qui domine le vallon des Tuves n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été. À l’entrée, le panneau la Savine s’efface peu à peu.

Au centre du plateau, les derniers cubes, vestiges du cœur battant associatif de la cité, survivent dans la poussière du chantier de démolition. Dans une logique de “diminution de son empreinte carbone“, Logirem, le bailleur social qui gère la cité, a fait le choix de recycler une grande partie des gravats sur place, notamment pour diminuer les allées et venues de camions. Une concasseuse est à l’œuvre, dégageant d’énormes nuages de poussière fine et un bruit permanent.

La concasseuse en action masque le bâtiment de l’école, en contrebas. (Photo : BG)

La poussière de la concasseuse

La semaine dernière, c’était infernal, constate Mbaé Tahamida Soly, dit Soly, le fondateur de la Sound musical school porté par l’association B Vice, installée dans un des cubes au centre du plateau. Même la porte fermée, le local était couvert de poussière“. Selon le sens du vent, la poussière vient emboucaner les habitants de la Couronne, à l’entrée du quartier, ou ceux du bâtiment baptisé “l’école” à côté du groupe scolaire de quartier. Les habitants vivent au rythme des trépidations des machines, des bouffées de poussière. Avec, dans toutes les bouches, la hantise de l’amiante. En 2010, le bailleur historique a pris la décision de démolir tous les bâtiments de la cité, après en avoir découvert dans la totalité d’entre eux.

Vous pensez bien qu’on ne travaillerait pas au milieu des gravats, sans aucune protection, s’il y avait la moindre trace d’amiante au milieu, soupire un ouvrier, sous couvert d’anonymat. Maintenant, forcément, on fait du bruit et de la poussière, mais on arrose le plus possible et la concasseuse est dotée d’un système qui mouille la matière réduite en poudre“.

Mise en demeure du bailleur

Ce mardi, une réunion autour de la question du cadre de vie organisée à la maison du projet a tourné au vinaigre. “On n’a pas été gentils, euphémise Kaiser, le charismatique président de la salle de boxe du quartier. On n’est pas des animaux. Il n’y a pas de raison qu’on vive dans la poussière et les gravats“. Son petit club de boxe est situé dans un des derniers bâtiments encore debout où vivent 17 habitants en attente de relogement.

Joint par Marsactu, le bailleur Logirem explique avoir mis en demeure “le 31 mai, de tout mettre en œuvre pour limiter la production de poussière, notamment en arrosant régulièrement”. La pluie des derniers jours fait le reste…

En contrebas, à quelques mètres à peine du ballet d’engins, les salariés des Jardins du cœur ont pris leur mal en patience. Ce matin, ils plantent des tomates, dans le bruit permanent. “J’ai acheté un nouveau lot de masques, soupire Jérémy Beneventi qui encadre les participants au chantier d’insertion. Quand il y a trop de poussière, on s’arrête quelques minutes“. La semaine dernière, les lignes de plans de courgettes et tomates ont blanchi en quelques secondes.

Le retour vers la nature

L’installation de cette agriculture urbaine toute neuve décrit bien le tournant dans lequel se situe l’ancienne cité d’habitat social. Il y a quelques mois, l’association a pris possession de trois parcelles qui ont remplacé les bâtiments de béton. Elle y produit des légumes frais pour les Restos du cœur. Les premières récoltes vont bientôt se faire sur l’emplacement de l’ancien bâtiment J où une serre a été implantée.

Les salariés des Jardins du cœur sont contraints de travailler masqués. (Photo : B.G)

Tout ceci s’inscrit pleinement dans le projet de “renaturation du site” porté par le bailleur social. “Cela passe par la démolition du bâti, la désimperméabilisation des sols, la revégétalisation du site et la gestion adaptée des espaces, explique le bailleur. L’objectif est de redonner à la nature les moyens de se développer pour permettre l’infiltration et la dépollution des eaux de pluie, offrir un habitat pour la biodiversité et des espaces pour l’agriculture, capter le carbone au plus près des sources d’émission et rafraîchir l’air à proximité des zones d’habitations”.

Plantée en bord de colline, l’ancienne cité a toujours eu un caractère champêtre qui contrastait avec l’identité des autres HLM de Notre-Dame-Limite. Cette porte ouverte à la nature est donc un juste retour des choses maintenant que le vallon des Tuves, en contrebas, accueille désormais la crèche, le centre social et de nouveaux logements.

De nouveaux HLM sur le plateau

Mais l’impératif de reconstruire l’offre de logements démolie dans le cadre de la rénovation est venu bousculer le projet initial de renaturation. Lors du dernier comité national d’engagement avec l’agence nationale de rénovation urbaine (Anru), la Ville et la métropole ont proposé de bâtir à nouveau des logements sociaux en bordure des futurs “corridors écologiques” vantés par le bailleur. “Il y a toujours un différentiel entre ce qu’on démolit et ce qu’on construit, constate Samia Ghali, l’adjointe au maire chargée de la rénovation urbaine. J’ai donc proposé à l’Anru de créer du logement social, notamment en direction des séniors, mais aussi de l’accession sociale à la propriété.

L’adjointe ne communique pas sur le nombre de logements prévus, ni sur les réponses de l’agence nationale. La métropole indique pour sa part qu’il s’agirait de “100 logements sociaux supplémentaires sur le plateau, en plus des 145 déjà réalisés sur site”. Une fois l’avis de l’ANRU rendu, une nouvelle convention sera signée.

Cet ajout de logements sociaux à la Savine même se pose en contradiction avec un des principes de la rénovation urbaine qui prévoit de reconstituer l’offre à l’échelle de toute la ville. La construction de logements sociaux en zone urbaine sensible doit être accompagnée d’une demande de dérogation validée par le préfet. Or, dans le secteur, le taux de logement social flirte déjà avec les 50%.

Après la tour K, le bâtiment D doit disparaître. (Photo : B.G)

Pas que pour les propriétaires

Mais il n’y a pas de raison que ce site naturel qui bénéficie d’une magnifique vue sur mer ne bénéficie qu’à des futurs propriétaires”, revendique Samia Ghali. Forcément, la démarche reçoit un accueil favorable de la part des locataires, très remontés lorsqu’en 2008, des villas avaient pris la place du bâtiment A, sur le haut de la colline.

Et Samia Ghali ne s’arrête pas là. Sur tous les projets Anru, elle impose sa patte. En décembre dernier, elle a fait voter le principe d’une acquisition des anciens bâtiments associatifs, dits “cubes”. Longtemps, les équipements ont formé une sorte de place de village avec la Sound musical school et le centre social. Désormais, les bâtiments les plus proches attendent la démolition et les habitants se font rares.

Création d’une “lisière active”

La Ville projette à cet endroit “une lisière active” destinée à attirer sur place des publics extérieurs à la Savine. Le terme figure dans la délibération soumise au vote en décembre 2022 en conseil municipal. Celle-ci entérine la création d’une maison de la nature et de l’Étoile, destinée à être une des portes d’entrée pédagogiques vers le massif du même nom. Le rapport mentionne également des équipements sportifs et ludiques qui devraient voir le jour, en lieu et place du bâtiment K.

Pour l’heure, la mosquée a rejoint les Restaurants du cœur au côté de la Sound musical school, à titre provisoire. Les négociations pour le rachat “à l’euro symbolique” sont toujours en cours.

Quel avenir pour le B Vice ?
Du côté du “centre culturel à usage de la rue” comme ils aiment à se définir, on goûte peu la perspective d’être la dernière association présente dans la cité qui l’a vue naître. “L’an dernier, nous avions suscité la réunion d’un comité de pilotage avec la Ville, la métropole et la direction régionale des affaires culturelles, explique Soly. Elle concluait plutôt à une installation au Vallon des tuves, à proximité du centre social et du terminus du bus B2”. Un déménagement qui allait dans le sens d’un “projet de territoire” tourné vers un public, plus large à l’échelle des deux arrondissements. “On travaille avec le festival d’art lyrique d’Aix, avec le conservatoire de Marseille, avec des troupes de théâtre, reprend Soly. On a besoin d’une implantation plus accessible et plus sécure pour les adhérents qui viennent de loin”. Visiblement, l’adjointe à la rénovation urbaine, Samia Ghali n’était pas dans la boucle du déménagement. “Moi, je veux bien, mais je ne suis pas sûr qu’on ait le foncier suffisant”, constate Samia Ghali.

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Commentaires

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  1. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Vaste escroquerie que le PRU de la Savine et même ce quartier tout entier depuis sa création. Allez, historique.

    Fin des années 70 : construction. Plus de 1000 logements.
    Début des années 90 : premières démolition, car c’est vide.

    Point d’étape : on a trop construit, au bénéfice de qui ? Pas les entreprises du BTP, qui n’ont fait qu’exécuter des marchés et ne décident pas de la taille du programme. Mais bien le bailleur unique, LOGIREM, qui n’investit rien puisqu’il réalise tout avec des subventions, dont il ponctionne une partie (théoriquement logiquement) pour ses frais de fonctionnement… reste à savoir quelle partie.

    Fin des années 2010 : PRU de la Savine. Restent 220 familles à reloger. Programme ? On démolit tout, on reconstruit sur la “lisière active” pour les y reloger.

    Point d’étape : la “lisière active”. Bonne blague. A la Savine, seul le plateau voit le soleil de manière décente et est épargné par l’humidité du Vallon des Tuves. La “lisière active”, c’est envoyer les logements sociaux dans le Vallon, à l’ombre et à l’humidité. D’ailleurs le PRU prévoyait initialement de raser aussi l’école pour créer un grand accès au plateau. Traduction : votre petite vie de pauvres en mode village c’est terminé, on libère le plateau d’où on peut avoir vue mer en contruisant une forteresse en mode kibboutz et on vous balance à l’ombre et à l’humidité, histoire que vous n’oubliiez pas votre place.

    Anecdote : c’est la SOLEAM (si si) qui a réussi à faire modifier le projet d’espaces publics pour qu’il contourne l’école et qu’elle soit conservée. Comme quoi…

    Années 2020 : les opérations du PRU sont presques finies, les logements sociaux sont positionnés loin des emplacements les plus valorisables. Les bâtiments sont outrageusement laids et bas-de-gamme, et la légionellose est offerte. Le plateau est bientôt libéré pour y faire un grand… quoi ? Forcément maintenant c’est un peu plus dur d’affirmer avec arrogance qu’on va y faire un ghetto de néo-riches avec vue mer, mais quand même : regardez la trame plantée affichée par MAMP, elle ressemble méchamment à un tracé de futures rues délimitant des ilots.

    Quant aux jardins partagés : ils n’ont de partage que le nom, car leur production ne va pas aux habitants du quartier qui n’y travaillent pas non plus, règles incompréhensibles d’insertion obligent. En revanche LOGIREM et MAMP les développent autant que possible, surtout en dépit du bon sens, car chaque m2 de jardin est généreusement subventionné.

    Et au milieu trône Samia, noyauteuse en chef des assos locales dont les membres deviennent subitement conducteurs de minibus en période électorale. Question de vocation j’imagine.

    Bref, ici c’est Marseille bb. Et ça va le rester.

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    • neplusetaire neplusetaire

      Ah quel plaisir de vous lire, quelle arnaque cette rénovation. On a juste voulu récupérer le terrain pour un projet en direction d’une autre classe sociale. C’est le grand remplacement. Quant aux jardins partagés oui tout à fait d’accord terrain à disposition de personnes venant d’ailleurs avec très très généreuses subventions au nom de l’écologie. Finalement, aucun profit pour les locataires.
      Sur le site des Créneaux aussi, démolition très difficile pour les locataires. Les derniers locataires sont restés isolés durant plusieurs mois. suppression de la VMC , chauffage…deux déces de personnes agées dans l’attente depuis plusieurs mois de travaux dont l’installation d’un WC dans le nouveau lieu d’habitation dans un diffus. souffrances, solitude, abandon. Ignorés totalement pas les élus ……A ce jour ce terrain est abandonné et le projet toujours pas fini…Par contre La cité des arts de la rue bénéficie de largesses financières mais ce lieu est dédié à l’ART et ne profite pas du tout aux habitants des alentours.

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  2. Andre Andre

    On continue…
    La Savine, cité marseillaise qui, avec les Flamants au Merlan, fut le résultat des opérations “coup de poing” d’Albin Chalandon ministre de Giscard. La première, perchée en pleine colline loin de tout, la seconde dans un trou. Tout juste construites, on commençait déjà à les réhabiliter et, depuis, les actions de réhabilitation se sont succédées chaque fois avec le même insuccès à tel point qu’on a finalement décidé de détruire La Savine.
    Mais voici donc qu’on pense à récidiver, construire de nouveau dans cet endroit improbable. Ce lieu, logiquement voué à la nature, comme ses futurs habitants seraient alors victimes d’un Etat qui se réveille à Marseille après 25 ans de sommeil et court après les chiffres, d’un gouvernement dont la politique nationale est un frein à la construction et à la réhabilitation, d’une élue Mme Ghali qui ne veut pas perdre son potentiel électif et enfin une mairie prise de panique suite aux injonctions du Préfet.
    Il y a des solutions pourtant.
    Construire certes, et pas n’importe où (La Savine) mais ce n’est pas l’unique solution.
    Construire mieux pour ne pas avoir à y revenir dans 10 ans. A ce sujet l’État qui parle beaucoup de développement durable à réduit ses aides.
    Faire vraiment obstacle à la location saisonnière en centre ville. Là dessus aussi on attend le gouvernement pour que les abattements très importants dont bénéficient les revenus locatifs saisonniers soient fortement réduits.
    Poursuivre une politique sérieuse de réhabilitation des logements anciens. Cela nécessite aussi des aides d’État accrues mais la Ville pourrait commencer par remettre en état les logements dégradés dont elle est proprio. Si le maire ne sait pas où ils sont, ses services des périls pourront le lui indiquer.
    Et pourquoi ne pas préempter des logements vacants en centre ville comme le propose la fondation Abbé Pierre ?
    Concernant le social, le répartir sur tout la ville (dans le 7me Sud et le 8me par exemple …)
    et surtout le planifier à l’échelle de la Métropole, plutôt que de sursaturer certains secteurs comme le souhaite Samia Ghali dans ses 15/16.
    Mais je crains que ce soit trop compliqué pour nos édiles et pour le Préfet qui préfèreront les effets d’annonce de constructions neuves, à La Savine par exemple.

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    • Mars, et yeah. Mars, et yeah.

      Le problème de la réhabilitation de logements existants, c’est que le ratio “coût / production de logements” est “insatisfaisant” quel que soit l’opérateur.

      Quand on prend de l’existant, s’ajoutent une liste interminable de contraintes : faire l’état initial, gérer les interfaces avec les avoisinants, respecter le patrimoine tout en mettant en conformité règlementaire, etc., je ne vous apprends rien.

      Je finis par me dire qu’une vraie politique du logement à Marseille serait pour la collectivité (état / région / département / métropole / ville) d’accepter de subventionner de manière spécifique ces réhab tout en coupant le robinet aux constructions neuves (il y a déjà un écart, mais pas assez vu l’écart de rentabilité).

      Mais alors se posera le problème de trouver les opérateurs (les privés, notamment les promoteurs, n’y trouveront probablement jamais leur compte et se désintéresseront de ces opérations, plus encore qu’actuellement) pour faire.

      Et il restera la question de la cadence production : en réhab d’existant, par exemple au centre-ville de Marseille (idem à Marignane ou La Ciotat d’ailleurs, même configuration très urbaine), difficile d’atteindre les objectifs définis par la préfecture. Et c’est un euphémisme.

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    • Soly Soly

      Éclaircissements très instructifs pour ceux qui ne sont pas au fait de ce qui se passe dans ce quartier. Merci Mars, et yeah ainsi que André 🙏

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    • petitvelo petitvelo

      on rêve s’une nouvelle vagues de castors s’entraidant pour construire, entretenir, se professionnaliser …

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  3. LOU GABIAN LOU GABIAN

    Allez petit rappel pour les anciens : la bande a Gaston appelait cela les cages a lapin,
    Finalement ca a pas trop changé avec leur successeur

    En fait vous n ‘avez rien compris , Samia a préempté le terrain pour faire sa villa avec piscine

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    • Mars, et yeah. Mars, et yeah.

      Haha si seulement c’était ça ! Mais comme tous les zélus, Samia ne va pas s’abaisser à aller habiter avec ses électeurs : il fait bien meilleur au soleil du Roucas Blanc, les pieds dans l’eau de sa piscine illégale régularisée par une modification du PLU (ce n’était pas encore le PLUI à l’époque) arrivée comme le Deus Ex Machina, évènement fréquent dans la carrière de ces gens-là.

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    • Andre Andre

      Lou Gabian, Mars, malheureusement celle qui entretenait son relationnel auprès de l’équipe Gaudin au point qu’on fasse modifier le Plu à son avantage, a réussi à asseoir son pouvoir et son influence auprès de la nouvelle équipe municipale, avec auprès d’elle toute une clique d’anciens guerrinistes ou leurs héritiers. Les Marseillais voulaient changer de politique à ce qu’on disait?…..

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