Comment la société familiale d’une élue LR est passée entre les gouttes de l’affaire Chervet

Enquête
le 27 Oct 2022
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L'entreprise Chailan, qui appartient à la famille de l'élue LR Monique Robineau, n'a pas été poursuivie dans ce dossier de corruption au département des Bouches-du-Rhône. De nombreux éléments posent pourtant question sur son comportement.

Le siège du conseil départemental. (Image LC)
Le siège du conseil départemental. (Image LC)

Le siège du conseil départemental. (Image LC)

“C’est qui Pivert ?”, demande mardi 25 octobre Céline Ballerini qui préside toute la semaine le tribunal qui juge l’affaire Chervet, du nom de Renaud Chervet, un cadre du département ayant favorisé contre rémunération un ensemble d’entreprises amies. Face à elle, Lionel P. répond d’un simple “Julien” à plusieurs reprises sans donner le nom de famille. L’entrepreneur, poursuivi pour association de malfaiteurs dans le cadre de ce pacte de corruption ne souhaite pas donner le nom de celui qui est son cousin. Il s’agit de Julien Robineau, un des actionnaires du groupe Chailan, une entreprise familiale de travaux forestiers cofondée par Monique Robineau, élue municipale d’opposition LR à Allauch après avoir notamment été conseillère régionale LR jusqu’en juin 2021.

Aux yeux de la justice, cette société et ses dirigeants sont officiellement hors de cause. Julien Robineau n’a pas retourné notre demande d’entretien cette fois mais en 2016, d’autres membres de la famille nous avaient répondu. Monique Robineau avait insisté sur la “droiture” de l’entreprise familiale. Le gérant Philippe Chailan avait lui aussi nié toute intervention pour obtenir un marché public du conseil général sur lequel pesaient pourtant de lourds soupçons.

Le nom de la société Chailan revient à plusieurs reprises dans le dossier pénal sans pour autant faire l’objet d’un renvoi en correctionnelle. Cette entreprise a longtemps été soupçonnée d’avoir été favorisée dans le cadre d’un marché d’entretien des espaces naturels départementaux. En 2016, Marsactu et Le Ravi avaient révélé comment elle avait pu déposer son offre hors délai, constituant un dossier étrangement très proche des attentes de la collectivité.

Face aux questions posées par notre enquête journalistique, la présidente (alors LR) du département Martine Vassal avait arrêté en toute hâte la procédure et écrit un courrier qui confirmait l’ensemble de nos informations. Il était adressé directement au procureur de la République de Marseille qui le recevait le 6 juin 2016 et étendait l’action judiciaire à ces faits dans le cadre d’un réquisitoire supplétif. Cette dénonciation s’inscrivait explicitement dans le cadre de l’affaire Chervet, tout juste mis en examen, puisque c’est au sein de son service qu’était géré ce marché. “Il est fortement probable que les BPU [les bordereaux de prix unitaire, le contenu principal d’une réponse à un marché, ndlr] ont été établis postérieurement à l’ouverture des plis des offres, c’est-à-dire une fois que toutes les offres ont été révélées.” Elle en voulait pour preuve la date d’impression du document de l’entreprise qui indiquait une transmission deux mois après la limite de dépôt des candidatures.

“Je lui ai permis de rencontrer Renaud”

Ces BPU étaient les documents-clés sur lesquels Renaud Chervet avait la main pour orienter l’attribution d’un marché. Qui plus est, dans le dossier, il est très clair que Renaud Chervet avait, comme l’assistant de la collectivité sur ces marchés Jérôme Disdier, des contacts avec l’entrepreneur. Les écoutes téléphoniques au printemps 2016 témoignent même d’un rendez-vous dans un café entre le haut fonctionnaire du département et l’entrepreneur. “Je l’ai eu une ou deux fois au téléphone. C’est lui qui m’a contacté. Il voulait rencontrer Renaud et je leur ai permis de se rencontrer. J’imagine qu’ils voulaient se voir pour des marchés”, avait admis lors de sa première garde à vue Jérôme Disdier.

C’est sur ces mêmes écoutes que les policiers ont pu comprendre que Julien Robineau avait, à l’instar d’autres mis en cause, un surnom : “Pivert” en référence aux travaux forestiers. Les juges d’instruction retiendraient plus tard “l’usage de pseudonymes” comme un indice sur l’existence d’une association de malfaiteurs.

Chervet a voyagé aux frais de la société

Les enquêteurs avaient aussi pu établir que c’est aux frais de la société Chailan que Renaud Chervet et une poignée de ses amis entrepreneurs s’étaient rendus au mondial de l’auto de Genève. C’était en mars 2015, quelques mois avant le marché douteux.

Renaud Chervet, qui a fait des aveux progressifs face aux avancées de l’enquête, a nié toute intervention en faveur du groupe Chailan. “On n’a pas pu savoir d’où venait la fuite. Mais je tiens à dire que ce n’est pas parce qu’il s’agit de quelqu’un au conseil général que ça vient forcément de moi. […] La société Chailan, dont je connais le directeur, n’a pas fait l’objet d’arrangement avec moi.”

Normalement, les mêmes causes devraient produire les mêmes effets. Mais certaines entreprises sont renvoyées et d’autres non, malgré des éléments flagrants dans le dossier, sans que l’on ne comprenne vraiment la logique.

Frédéric Monneret, avocat de Renaud Chervet

Les enquêteurs n’ont jamais interrogé “Pivert” ou tout autre responsable du groupe Chailan. Ils ne sont pas allés plus loin que les dénégations de Renaud Chervet. Au moment de clore leurs investigations, ils se sont contentés d’indiquer que “l’enquête n’a pas permis de recueillir suffisamment d’éléments matériels pouvant être corroborés afin de caractériser formellement une infraction pénale”.

Le dossier “Pivert” est un des multiples sous-dossiers mis de côté dans cette affaire. Frédéric Monneret, l’avocat de Renaud Chervet, le reconnaît lui-même, il y a des flous dans l’affiche du procès : “Normalement, les mêmes causes devraient produire les mêmes effets. Mais certaines entreprises sont renvoyées et d’autres non, malgré des éléments flagrants dans le dossier et sans que l’on ne comprenne vraiment la logique.”

Une stratégie de limiter la taille des dossiers

D’autres sources judiciaires interrogées par Marsactu sous le sceau de la confidentialité, ne cachent pas leur trouble quant à ce dossier à trous et notamment sur le cas Chailan, le seul à approcher la sphère politique. Cité dès 2016 par Xavier Monnier dans Les nouveaux parrains de Marseille, un enquêteur de la brigade financière regrettait “un dossier malmené. On aurait pu remonter plus loin mais les chefs et le parquet ont voulu faire du chiffre et boucler cela rapidement”.

Depuis la tentaculaire affaire Guérini – dont tout un pan concernant les marchés publics du département croupit toujours à l’instruction 13 ans après – consigne a été passée de circonscrire les dossiers. En résumé, cela consiste à arrêter d’élargir les investigations quand le dossier est ficelé contre les principaux protagonistes. Quitte à en laisser d’autres impunis.

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Commentaires

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  1. MaxMama13 MaxMama13

    Et c’est ainsi que les mêmes pourris restent aux commandes quand le justiciable de base, lui, n’échappe pas aux poursuites. Le message est clair: si vous fraudez, faites-le à grande échelle, en profitant des faiblesses de la Justice.

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  2. Zumbi Zumbi

    Et Pivert de créer une société de “gestion de fonds” en 2017… je dis ça je dis rien.

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  3. Emile Emile

    Encore des chapacans qui échappent aux mailles du filet !
    Cette pauvre ville de Marseille a bien du mal à s’en débarasser.

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  4. 13agacé 13agacé

    Autant, c’est le tonton célèbre de la dame Monique qui a stoppé les pandores dans leur bel élan…. Faut dire qu’il avait de sacrées relations Tonton Pasqua…

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  5. Marc13016 Marc13016

    “On aurait pu remonter plus loin mais les chefs et le parquet ont voulu faire du chiffre et boucler cela rapidement”, dixit un enquêteur de la brigade financière.
    Curieux … La justice, normalement, ça aime bien démêler les pelotes de laine pour atteindre du lourd. Mais là, quand les nœuds commencent à toucher la zone politique, ben, hum, bof, on va prendre ce qu’on a trouvé et on gratte pas plus que ça !?
    De là à ce que R. Chervet ait servi de fusible, la question peut se poser. On lui a certes offert quelques bons restos et des belles virées par ci par là. Mais n’y avait il pas un deuxième niveau de profiteurs ? (plus gourmands peut être, et plus affamés, les campagnes électorales, ça coûte cher !) La manière dont il avoue ferait presque penser à une forme de collusion, du genre “si tu remues la m. , tu vas aggraver ton cas. Fais profil bas, on t’amènera des oranges en prison, mais comme ça tu es à l’abri d’un accident physique …” Et la cécité de l’institution du Conseil Départemental face à ses agissements, pourrait s’expliquer par autre chose que de la naïveté ou de l’incompétence …
    Je délire peut être façon “polar d’automne”. Mais quand même, ça perturbe, ces faisceaux d’indices. Faudrait éplucher les affaires des sociétés qui ont trempé. Job de juge d’instruction.

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