Sur les traces des Marseille passées
Sur les traces des Marseille passées
Les manèges, enchantés, sont faits de bric, de brac et de broc : des cadres de vieux vélos, des accoudoirs de chaises en bois, des roues de voitures, des sièges de W.C., des dossiers en fer, des boites de conserve, un tuba muni d’une gueule de crocodile. Le tout fixé, vissé, riveté pour construire des manèges à l’ancienne qui tournent à l’énergie des bras et des jambes des animateurs ou des parents ! La petite blondinette attend d’être installée dans l’avion qui surplombe une moto de guingois, on lui attache un vieux casque sur la tête, l’animateur lance le manège, une maman pédale pour le faire tourner. La blondinette enchantée actionne l’hélice à la main, son grand père lui sourit et la prend en photo, elle vole, elle rêve… Au Tour Insolit’, deux vélos fixes, actionnés par des gamins concurrents, font rouler des minuscules vélos en plastique le plus vite possible entre des boites de conserves décorées. L’animatrice les encourage, lève le bras du gagnant applaudi par les spectateurs ravis. Devant chacun de ces manèges, papas et mamans attendent avec leurs bambins.
À la Cité des arts de la rue, dimanche, étaient donc installés ces magnifiques manèges et leurs étranges attractions, une véritable fête foraine construite de broc et de bric par les artistes catalans de Antigua i Barbuda. On y voyait aussi une exposition, installée à hauteur d’enfants, de gravures, d’images animées, de films de cartomanciens, de femme tatouée et à barbe, d’automates, de baraques et de bonimenteurs, sortis des magnifiques collections d’art forain du Mucem, souvent méconnues. Les familles se pressaient dehors pour manger des barbes à papa ou des gaufres. Cette exposition et cette fête foraine, gratuites, étaient organisées par Karwan, le Mucem et l’office HLM 13 Habitat. La semaine qui s’ouvre, cette expo et ces carrousels sont destinés aux écoles, la semaine suivante aux locataires de 13 Habitat. Et deux ou trois manèges de bric et de broc seront installés le week-end prochain à la Friche de la Belle de Mai pour ses Folies Foraines…
Souvenirs d’une poignée de main
Dans le soleil et le vent froid, visiter ça au milieu de familles charmées, c’était replonger dans un monde d’enfance gai, naïf et rêveur. Le voyage dans le passé avec Henri Dumolié, l’auteur de Mes années 60 à Marseille (Gaussen, 2015) était d’un autre ordre. Dans l’auditorium de la BMVR, il racontait sa vie, l’artiste vidéo Christine Coulange lisait des passages du bouquin – avec talent, on s’y croyait. Quelques morceaux d’actualités télévisées montraient des images de la période, la visite de Nikita Khrouchtchev à Marseille le 5 avril 1960, par exemple. Prises de vue sur le grand port, le cortège escorté de motards tourne au bas de la Canebière. Le jeune Dumolié était à ce jour-là devant l’école maternelle de “la Chave” – disait l’ORTF, il s’agissait du boulevard Chave. Le chef de toutes les Russies devant la visiter, l’accueil militant avait été préparé par le parti communiste. Les drapeaux rouges sont là et Nikita Kroutchev, qui incarne “l’utopie communiste” pour les rouges de tous les pays, s’approche des spectateurs. Il serre la main de… Dumolié ! Les actualités ont raté cette poignée de main historique, mais le livre raconte le choc heureux du jeune homme qui sera un jeune militant actif du PCF, dont le rayonnement intellectuel est immense dans ces années soixante. Il le raconte dans son livre, comme la visite du chanteur Yves Montand à l’Odéon, lors d’un meeting de soutien aux mineurs en grève.
Ces souvenirs de Dumolié racontent sa vie d’adolescent fils de coiffeur à La Plaine, en révolte contre sa famille conservatrice et contre une France dans laquelle il ne se reconnaît pas. Et son éveil au monde par le jazz (par un client de son père) et la politique. Le récit engagé de l’ancien directeur de la programmation de Marseille Citévision et délégué régional de l’INA Méditerranée est intéressant qui raconte la création d’une revue d’amateurs de cinéma d’avant-garde, Contre-Champ et le militantisme pour le PCF entre 1958 et 1968. Cette évocation d’un passé mal reconnu, parce qu’il évolue entre la Libération et Mai 68, deux moments historiques majeurs, émeut les anciens présents dans la salle qui revivent quelques instants de leur propre vie.
Quelques jours après, un autre auteur parlait de son livre à la librairie l’Odeur du Temps. Jean-Christophe Bailly qui, la veille, avait lu des poèmes au “lieu d’expérimentation artistique” Montevideo, présentait Une image mobile de Marseille (Arlea, 2016). Ce marcheur inlassable, qui prend des notes sur un petit carnet partout où il pose ses jambes, racontait comment il avait monté le boulevard Aune, incroyablement pentu, pour rallier Notre-Dame de la Garde dont il découvrait qu’elle recèle surtout des émouvants ex-voto. Il cite, en petites capitales, celui du commandant A.-F. Mattei : “Le 4 décembre dans l’océan Indien, désemparé et assailli par un épouvantable cyclone, reconnaissant à Notre-Dame de la Garde, pour nous avoir sauvé.” Mais Bailly, qui connaît bien les légendes sur la ville, en soulignait deux qualités singulières et rarement mentionnées : l’immense étendue du territoire et un relief tourmenté, qui lui fait dire qu’il n’est “pas prévu pour une ville”. Descendant les escaliers monumentaux de la gare qui “atterrissent dans la réalité”, il cherche et trouve les traces d’Artaud mais surtout des lieux qui, d’une manière ou d’une autre, “évoquent toutes les tragédies du monde”. Et puis, admirant l’ombrière du Vieux-Port, il en dit une qualité essentielle : “Chaque passant peut, en levant la tête, constater qu’il est déjà lui-même un souvenir.”
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