Michel Samson vous présente
Chronique du Palais

Selon les étages

Chronique
le 3 Mai 2016
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Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. Cette semaine, il s’intéresse aux différentes audiences qui se déroulent simultanément dans le même tribunal, et au choix des chroniqueurs judiciaires qui en raconteront une plutôt que les autres.

Ce mardi 26 avril après-midi, rez-de-chaussée à gauche, la “7ème ch.COLL.Correctionnelle”. Présidente : Marion Menot, assistée de Patrick Ardid et d’Anne Tarelli. Procureur : Eric Emmanuelidis. Greffier : Nathalie Jauffret. Lit-on sur le rôle[1] “édité le 21 avril 2016” que me prête l’huissier. Quatre mis en examen – deux noms manifestement corses, deux prénoms espagnols – sont encadrés par cinq policiers dans le box des détenus. Quatre autres – trois noms probablement corses et un métropolitain – sont assis côte à côte sur le banc des prévenus, face au tribunal. Un absent pour maladie, nom corse lui aussi, est représenté par son avocat, ainsi qu’une femme de 69 ans. Ces dix personnes comparaissent pour “participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime”. Et pour “participation à une association de malfaiteurs pour la préparation d’un délit puni de 10 ans d’emprisonnement”. “Faits commis courant janvier 2010 et jusqu’au 1er décembre 2013 à la JIRS de Marseille”, la juridiction inter-régionale spécialisée locale[2]. Le procès, qui a commencé hier et doit durer jusqu’au 4 mai, se tient donc à Marseille, puisque sa JIRS s’occupe de toute la côte méditerranéenne (Nice/Perpignan) et de la Corse. Ce qui contribue à noircir la réputation de la ville : des affaires qui se sont déroulées ailleurs y sont jugées. D’ailleurs dans les lieux de naissance des dix accusés du jour – indice faible mais qui colore souvent la nature de la bande – un seul est né à Marseille.

Les lieux de rencontre des accusés, qui circulent beaucoup et ont été filés et écoutés par la police durant deux ans, sont Toulon, Marseille, Bagnolet, Livry-Gargan, Toulouse, Bordeaux, Pélissanne… Ce mardi, Pierre Alérini, “détenu pour une autre cause”, est interrogé. Pull sur l’épaule cet homme brun aux yeux clairs est un silencieux. La présidente : “Vous êtes à Bagnolet, vous allez dîner à Livry-Gargan avec deux nord-africains – ça fait rêver votre voyage à Paris…! – Pourquoi allez-vous là-bas ?”. Pierre Alerini, écartant les mains : ” … “ . La présidente : “Lors d’une écoute, vous êtes à Pélissanne, on parle de ‘voie aérienne’, ‘on est bloqués en bas’, ‘t’es d’accord ?’”. Pierre Alérini, presque inaudible : “Pour moi c’est du charabia”. La présidente, lisant un interrogatoire : “Il est très précis, Mattéi”. P.A. : “Il a pris peur en garde à vue, je sais pas”. Il se montre tranquillement las d’entendre la présidente lui poser des questions auxquelles il affirme n’avoir pas de réponse. Et ne sourit très légèrement qu’en regardant quelqu’un(e) du maigre public (4 personnes) – à qui un policier de la salle fera justement une remarque.

Après ce long interrogatoire creux, la présidente demande à ses assesseurs, au procureur et aux avocats, ils sont sept, s’ils veulent poser des questions au dénommé Pierre Alérini. Non. Elle passe au suivant, Benoit Mattéi, absent représenté par son avocat. Elle en lit le casier judiciaire, assez plein, puis ses déclarations en garde à vue ou devant le juge d’instruction. Il était plus bavard et précis que Pierre Alérini – ce qui semble agacer celui-ci. Puis elle lit des documents détaillant des extraits des dizaines d’écoutes téléphoniques de cet absent, qui s’est décrit lui-même comme faisant partie de “l’association de malfaiteurs (…) quelqu’un qui met en contact les uns avec les autres”. Il évoque même, dans une déclaration, “la coke”. La présidente lit ces procès-verbaux durant plus d’une heure, devant des accusés et une salle silencieuse, elle sourit de sa propre lassitude. Et continue. Je finis par comprendre que cette après-midi la renommée 7e chambre juge – je traduis en journalisme simple – “une bande de Corses qui voulaient importer de la coke avec des Espagnols et un Colombien”.

David Coquille, lui, disposait de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (ORTC) et de ses, dit-il, “150 pages filandreuses à souhait mais tellement riches d’insularité”. ORTC évidemment écrite en langue judiciaire. Le bon journaliste qu’il est a traduit et résumé l’affaire dans La Marseillaise. Sous le titre De la “cigale blanche” dans le maquis corse et le sous-titre : “Dix prévenus jugés pour association de malfaiteurs en vue de l’importation de cocaïne en bande organisée. Le procès survole le parc naturel régional de Corse”. Il raconte par exemple : “Les enquêteurs ont établi que le duo et leurs complices ont survolé le 2 avril 2011 en hélicoptère une zone indéterminée de la Corse pour y effectuer des repérages. L’hélicoptère avait été réservé par un responsable de service du parc régional pour 1h30 de vol avec prises de vue. Et c’est le parc, grand seigneur, qui a réglé l’ardoise ! Des rencontres corso-ibériques se sont tenues à « l’aéroport de la sardine » (Marseille) et dans la « ville avant les moules » (Toulouse) suivant les innombrables interceptions décryptées”.

Un étage au-dessus, dans la salle des comparutions immédiates, une avocate défend avec verve un jeune homme attrapé pour un petit trafic de stups dans sa cité. Détenu depuis un mois, “il est fils d’une maman atteinte de la maladie de Crohn, présente, et frère d’une sœur aînée, présente elle aussi”. Dans l’autre salle du dessus, au deuxième étage donc, la chambre examine le cas de deux escroqueries à l’assurance, les deux accusés – dont l’un est absent – ayant prétendu que leur voiture était volée, alors qu’ils avaient été arrêtés avec leurs voitures par des gendarmes venus contrôler un parking devant un garage. D’ailleurs “le fait que le garagiste ne soit pas mis en examen” agace l’avocat du prévenu présent qui demande la relaxe pour son client.

En bas la 7e chambre continue de délibérer. Elle en a encore pour cinq jours pleins. Rien ne s’y déroulait à Marseille, mais il était quand même plus amusant à raconter, ce procès JIRS, que les dizaines qui se succèdent quotidiennement aux étages supérieurs… Même si le pointilleux Coquille en raconte souvent aussi !

1 Registre civil sur lequel sont inscrites toutes les affaires en cours devant un tribunal.

2 Les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction et sont spécialisées en matière de criminalité organisée, de délinquance financière mais aussi pour les affaires où la complexité justifie des investigations importantes (meurtre commis en bande organisée,  blanchiment, crimes aggravés d’extorsion…)

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