Michel Samson vous présente
Arts et essais

Du Merlan à Arenc par le chemin du jerk au free jazz

Chronique
le 6 Déc 2016
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Photo : Anne Du Parc
Photo : Anne Du Parc

Photo : Anne Du Parc

Michel Samson explore les créations, lieux, acteurs et publics de la culture. Son idée, notre idée, est de proposer un regard sur ces propositions culturelles et artistiques qui interrogent la ville, parle d’elle et de (certains de) ses habitants. Pour ce nouvel épisode de la série, il traverse les quartiers Nord, de la scène du Merlan au jazz échevelé d’Akosh S.

Ils sont dix-neuf en jean et t-shirt, ils dansent sur une sorte de quadrillage dessiné au sol et, immédiatement, je reconnais la musique, je la connais presque par cœur. Ces jeunes filles et garçons courent, se croisent, se jettent au sol, battent des bras, s’accroupissent, tournent les mains, se font face. Sur les rythmes de la musique électronique de Pierre Henry, ils s’allongent, se lèvent, se portent dans cette sorte de danse des années 70 qu’ils maîtrisent parfaitement. Cette jeune troupe de danseurs rejoue, ou à peu près, la partie jerk de la Messe pour un temps présent que Maurice Béjart, né à Marseille et disparu en 2007, inventa sur le grand plateau du Palais de papes d’Avignon en juillet… 1967. Une révolution chorégraphique sur une musique qui n’était pas moins révolutionnaire : la danse classique explose avec lui en France, emportée par les allures et les idées d’une jeunesse qui bouleverse le monde, des USA à la France, celles qui précèdent et annoncent Mai 68.

Grand remix

Nous sommes au théâtre du Merlan le 1er décembre 2016 devant 380 spectateurs de tous âges manifestement séduits. Et puis les danseurs se regroupent en rythme, bras en l’air, mettent des capuches sur la tête, la musique entre alors dans ce siècle, les rythmes se saccadent, le Grand Remix, c’est le nom du ballet en cours, tient ses promesses : il a repris les jerks de Béjart mais les dépasse en évoquant désormais les rave-parties. Pierre Henry, toujours en action à 89 ans, a lui-même revisité son œuvre pour ce ballet contemporain créé par un de ses anciens élèves, Hervé Robbe. Le chorégraphe de ce Grand Remix l’explique d’ailleurs très bien après le spectacle : il a dansé avec Béjart et revisiter l’œuvre de son ancien maître lui a d’autant plus plu que ce sont des jeunes gens, les (brillants) élèves de l’École supérieure du Centre national de danse contemporaine d’Angers qui allaient le danser. Et qui (re)découvraient ce qu’était la danse contemporaine il y a… 50 ans ! Avec un enthousiasme qui se sent quand on les regarde danser.

Archives communes

On est une vingtaine dans un joli petit pavillon de l’Estaque, à deux pas de la salle de l’’Harmonie du même nom. Divan déplacé et chaises dépliées face à l’écran déployé. Ce soir Images et Paroles engagées présente des morceaux de films ou des montages d’images du quartier avec Hôtel du Nord, cette coopérative d’habitants des lieux « où se cachent des trésors d’histoire et de culture, un patrimoine foisonnant et souvent méconnu que des habitants révèlent, fouillent, interrogent et nous invitent à découvrir » (c’est ainsi qu’ils se présentent). On voit des images en Super 8 et un peu tremblantes de la destruction du bidonville de la Lorette, en 1995, lors de la construction de Grand Littoral ; de pêcheurs du petit étang disparu dans les mêmes collines. On regarde aussi des Chroniques Urbaines de Claude Bossion, natif du 16e arrondissement qui, filmant et montant de très vieilles archives, évoque ce que furent ces quartiers au début du siècle : on y voit même des images fixes de Saint-Antoine dans les années 1920, quand le premier bar fut installé sur ces collines encore vertes. Un des spectateurs-acteurs de cette soirée à moitié privée, sociologue urbain, se souvient de cette fin du XXe quand l’idée assez étonnante – et assez bête – germa dans quelques têtes politiques de “transformer Saint-Antoine en un autre centre-ville”. Ces séances de cinéma partagé servent à comprendre mieux les quartiers Nord, leurs racines, les traces qui les marquent encore. Afin de les rendre attrayants tant pour ceux qui les habitent, les font visiter que pour ceux qui y viennent randonner ou loger dans la coopérative sans bureau Hôtel du Nord. Celle-ci pourrait enfin s’installer dans la Cité des arts de la rue, elle aussi au cœur des quartiers Nord. Au-dessus du ruisseau des Aygalades et de l’autoroute nord…

Duo free pour les saisons

Au pied de ces quartiers Nord sont installées les archives départementales du département des Bouches-du-Rhône. Elles disposent d’un bel auditorium où ceux de Jazz dans la Ville (encore eux) ont organisé, le samedi 3 décembre, une autre visite des temps anciens par des artistes contemporains. Akosh Szelevenyi, qu’on connait sous le nom de scène Akosh S., d’origine hongroise, doit jouer avec son saxophone mais aussi – c’est écrit sur son site – avec “clarinette métal, bombarde tibétaine, ocarina, harmonium, flûtes, kalimba, madacopde, cloches”. En duo – le mot parait faible tant l’entente entre les deux saute aux oreilles – avec Gildas Etevenard, d’origine bretonne, batteur et percussionniste jouant aussi de gongs, cloches, trompette, kalimba… Ils ouvrent le concert en tandem, jouent leur symphonie free. Et la poursuivent sous le film projeté d’Artavadz Pelechian Les saisons. Un chef d’œuvre de cinéma muet, que le cinéaste arménien et soviétique réalisa en 1975, dont les images évoquent l’éternel travail des bergers et des moissonneurs sous la neige, la pluie ou la sécheresse, ou lors des traverses périlleuses de torrents déchaînés. Le duo musical l’accompagne, le batteur musicien rythme les images sans répit. Ce collage d’une musique déchaînée et pas toujours simple sur ces images quasiment éternelles que le noir et blanc souligne était surprenant. Et magnifique. C’était une autre traversée du siècle.

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