Marseille, ville jazz

Chronique
le 15 Nov 2016
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Lou Tavano en concert au Cri du port, le 3 novembre dans le cadre de Jazz sur la ville. Crédit : Guillaume Peyre.
Lou Tavano en concert au Cri du port, le 3 novembre dans le cadre de Jazz sur la ville. Crédit : Guillaume Peyre.

Lou Tavano en concert au Cri du port, le 3 novembre dans le cadre de Jazz sur la ville. Crédit : Guillaume Peyre.

Michel Samson explore les créations, lieux, acteurs et publics de la culture. Son idée, notre idée, est de proposer un regard sur ces propositions culturelles et artistiques qui interrogent la ville, parle d’elle et de (certains de) ses habitants. Pour ce nouvel épisode de la série, Michel Samson a plongé dans les arcanes jazzistiques de la ville.

Jazz sur la ville, cette espèce de festival qui n’en n’est pas un, commence ce jeudi 3 novembre au soir au Cri du Port, l’ancien temple protestant transformé en temple du jazz. Sombre salle, 80 personnes bien mises attendent, le sextet annoncé arrive sur scène : cinq jeunes hommes en costards sobres, et elle, Lou Tavano, mince dans une longue robe noire, épaules pâles et nues. Le premier morceau révèle un goût des harmonies impeccables, les arrangements sont léchés. Avec sa chevelure auburn et sa façon d’onduler, la chanteuse, vraie sophisticated lady, ondule autour de la mélodie. Elle présente ses chansons avec gourmandise, chante comme elle les danse, avec sa voix alto d’une belle intensité qu’elle emmène où elle veut avec une facilité déconcertante. Elle joue même de la trompette avec sa gorge et ses lèvres – et sans instrument. Swing toujours là.

Même dans une ravissante balade à goût russe écrite par le pianiste et compositeur Alexey Asantcheeff que Lou Tavano a présentée en lisant quelques belles lignes du romancier Andreï Makine. Aux morceaux du disque récemment sorti, qui offre “un jazz mâtiné d’influences personnelles qui ont à voir avec la musique symphonique, le chant lyrique, la folk ou la musique balinaise” (c’est écrit sur un site jazzophile), succèdent trois rappels qui soulignent l’énergie du groupe : il semble aimer toutes les musiques mais ne s’éloigne jamais bien loin du swing que le bassiste tient à merveille.

Le lendemain, deuxième jour de Jazz sur la ville, la BMVR inaugure son exposition de photos du festival de jazz à Porquerolles, avec quelques morceaux d’un duo guitare/basse. Le même soir la Meson propose un étrange moment : Solo jazzy, une pièce de théâtre jouée par le comédien Madh Sy Savané, accompagné d’un trio basse/batterie/saxo ténor. Dans cette petite salle où des mamies préparent et apportent des dîners sur les tables à nappe, il joue une fiction sur l’imaginaire de Miles Davis. Buvant scotch, titubant ou sniffant, il parle à sa trompette, silencieuse et dressée sur une table basse accompagné par quelques standards les plus classiques du jazz, de Night in Tunisia à Caravan. Avant que résonne, enregistrée, l’incroyable musique des Sketches of Spain que Miles Davis joua sur les arrangements de Gil Evans. Une danseuse flamenca entre alors en scène et danse magnifiquement avant de poignarder Miles.

Décidément ce Jazz sur la ville 2016, dixième édition de cet assemblage de salles et de gens aimant tous un aspect de cette musique d’improvisation, démarre fort. La cité de la Musique, où le jazz a souvent été montré et créé, propose son premier concert d’une série prometteuse : Marion Rampal, qui a fait là ses premières notes, joue son Main Blue –le nom d’un disque à venir en décembre. Chansons simples mais toujours riches, blues lancinant et parfois même délibérément outré, elle chante en anglais avant d’expliquer que c’est à la Nouvelle-Orléans où elle a rencontré des musicien(ne)s remarquables –et des bottes itou, elle les porte sur scène !- qu’elle a été convaincue que la langue française se prêtait au blues. En effet, avec ce trio, il peut même devenir aussi free que maîtrisé et les accompagnateurs, Pierre-François Blanchard aux claviers et Anne Paceo à la batterie (oui, une femme batteuse, c’est exceptionnel…) l’emmènent assez loin sur cette voie. Avant, voix seule et douce, d’entonner presque immobile, ses mains volent dans l’air, une balade rythmée par des petites tapes sur le sternum, qui accentuent encore la douceur physique de son chant.

“Ainsi va le jazz, usé jusqu’à la corde, contesté, annoncé dix fois pour mort” écrivions-nous en 2012 dans A fond de cale, 1917/2011, un siècle de jazz à Marseille[1]. Une recension de lieux, disparus ou non, où le jazz avait vécu de grands moments, y figurait. Connus ou oubliés, du Pelle-Mêle, pour les plus anciens, à l’Atlantique, ce bistrot du Panier tenu par le guitariste méconnu Claude Djaoui. On y parlait aussi du Roll Studio, petite salle de la petite rue des Muettes au Panier et du Rouge-Belle de Mai, ce bar-resto où on allait entendre cette musique d’improvisation qui y est encore programmée.

On y parlait bien sûr du festival des Cinq Continents, qui programme ses concerts en juillet. Mais on soulignait déjà que ce Jazz sur la ville inventé par “un collectif informel composé de programmateurs de lieux non liés au jazz” maintenait cette tradition, toujours minoritaire mais inscrite dans la ville depuis un siècle. Et bien, oui, cela continue et le programme des semaines qui viennent promet encore de beaux moments.

Et puisque j’évoque cette musique qui sait partager et mélanger, ceci : les Rencontres d’Averroès, ces tables rondes et débats intellectuels qui animent la ville depuis 23 ans, programmaient samedi 12 novembre au soir à la Criée, un peu de Jazz dans la ville. Grâce à Anouar Brahem, qui joue sur son oud “la musique arabe traditionnelle en la confrontant au jazz”.

[1] Michel Samson et Gilles Suzanne, avec Elisabeth Cestor ; Editions Wild Project, 2012

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