[Marseille trop puissante] Afroféminisme, “faire famille et s’organiser politiquement”

Chronique
le 30 Jan 2024
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Dans Marseille trop puissante, à paraître aux éditions Hors d’atteinte, 33 femmes racontent à Margaux Mazellier comment elles ont tenté de rendre Marseille plus vivable. Pour Marsactu, l'autrice présente en avant-première les portraits de certaines d'entre elles. Dans ce quatrième épisode, rencontre avec Lily, organisatrice de rencontres en non-mixité pour personnes noires et queer.

[Marseille trop puissante] Afroféminisme, “faire famille et s’organiser politiquement”
[Marseille trop puissante] Afroféminisme, “faire famille et s’organiser politiquement”

[Marseille trop puissante] Afroféminisme, “faire famille et s’organiser politiquement”

Lorsque je lui demande de se présenter, Lily me répond sans hésiter : “Je suis afrocaraïbéenne, militante afroféministe, queer, pansexuelle et parent”. Elle porte un t-shirt au rouge flamboyant, ses yeux sont doux et sa voix porte dans la petite salle encore vide du café dans lequel je la retrouve ce matin-là. “Et mon prénom entier, c’est Lily, Leslie, Clotilde”, tient-elle tout de suite à ajouter, en hommage à sa mère. Car, comme je le découvre au fil de notre entretien, Lily met un point d’honneur à ce que la transmission féministe se fasse entre les femmes de sa famille.

Lily est née à Point-à-Pitre, en Guadeloupe, où elle a grandi entourée de femmes puissantes raconte-t-elle : “J’ai été élevée par un clan de femmes et je crois que leur force a infusé en moi. Ma grand-mère, par exemple, a élevé ses quatre filles toute seule, tout en travaillant la journée et en faisant de la couture la nuit. Ma mère était militante, c’était une syndicaliste CGT qui a notamment fait partie de Soroptimist International [une ONG de solidarité entre femmes, ndlr]. Elle était cheffe de service dans un organisme HLM et a mené une longue grève revendiquant des augmentations de salaires”.

“Je suis une grande dissidente qui adore défier la police”

Forte de cet héritage matriarcal, Lily arrive à Marseille en 2007 pour poursuivre ses études : “J’ai été confrontée à des angoisses liées au racisme. Dans mon master de génétique à la Timone, j’étais la seule noire”. Lily est déjà très engagée et participe aux manifestations étudiantes de l’époque. Trois ans plus tard, elle devient mère : “Je ne serais pas la militante que je suis aujourd’hui si je n’étais pas maman. Ça m’a sortie de l’effroi et de la colère, qui sont des émotions légitimes, mais épuisantes, et amenée à penser en termes d’organisation politique pérenne. Maintenant, quand je veux faire quelque chose, je le fais. Parce que je ne le fais pas que pour moi, mais aussi pour Nikita”.

On se sent seule en tant que mère célibataire, mais c’est encore plus fort quand on est queer.

Pendant plusieurs années difficiles, Lily tente de mener sa nouvelle carrière de cheffe de projet digitale et de se battre pour conserver la garde de Nikita : “Son père, qui a toujours délaissé sa fille et n’a jamais pris la peine de s’en occuper, me reprochait d’être une mauvaise mère, trop carriériste”. Elle marque une pause et ajoute : “J’ai beaucoup d’admiration pour les mères au foyer. C’est pour ça que j’essaie toujours d’inclure les mères isolées dans les luttes féministes. On se sent seule en tant que mère célibataire, mais c’est encore plus fort quand on est queer”.

Puis vient le mouvement #Metoo, en 2017. Lily prend alors contact avec des associations féministes via les réseaux sociaux et rejoint le collectif des Colleur·euses féministes de Marseille : “À l’époque, j’avais Nikita une semaine sur deux, donc j’avais du temps pour aller coller la nuit. J’étais assez impliquée. J’imprimais les textes au travail et, le soir, j’allais coller”. Les collages sauvages ne lui font pas peur ; d’ailleurs, elle se considère comme une “grande dissidente qui adore défier la police”. Pour autant, elle ne se sent pas à l’aise au sein de ce groupe : “Il y avait quand même très peu de phrases qui concernaient les femmes noires”. Pendant le premier confinement, elle découvre l’existence des collages afroféministes à Paris : “Je les ai contactées sur les réseaux et je leur ai demandé si quelque chose existait à Marseille. Elles m’ont répondu que non, mais que je pouvais le créer”. Une graine est plantée.

“Nous sommes fatigué·es d’être à l’intersection de plusieurs discriminations”

En juin 2020, après le meurtre de Georges Floyd, des milliers de personnes manifestent dans les rues de Paris, Toulouse ou encore Nantes après l’appel d’Assa Traoré. À Marseille, rien n’est prévu. Avec une autre militante, Lily décide d’organiser un rassemblement et crée un événement sur Facebook. “On a contacté tous les gens qu’on connaissait en se disant que si on était cinquante, ce serait déjà bien”, se souvient-elle. Le lendemain, Lily se rend au point de rendez-vous et ce sont finalement près de 3 000 personnes qui se retrouvent le 2 juin 2020 sur le Vieux-Port pour dénoncer les violences policières. Lily n’en revient pas. Dans la foule, où les visages sont très jeunes, des slogans fusent : “Pas de justice, pas de paix”, “Police assassins” ou encore “I can’t breathe” (« Je ne peux pas respirer »).

Plus que les collages et les manifestations, ce sont le soin, l’écoute et les espaces en non-mixité qui fonctionnent.

C’est au lendemain de cette manifestation qu’elle décide de monter le collectif Collages AfroFem Marseille (aujourd’hui AfroFem Marseille), par le biais duquel elle rencontre de nombreux militant·es racisé·es et queer, et avec lesquel·les elle commence à faire des collages en août 2020 : “On collait des trucs du genre « Je ne suis pas ta panthère » ou « Femme, trans et noire, on existe ». Puis, on a collé sur le scandale sanitaire du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe”. Lily affirme que l’expérience n’a pas duré longtemps : “Mes appels à coller ne prenaient pas vraiment, j’ai eu beaucoup de mal à fédérer. Avec le recul, je pense que ce n’était pas la bonne entrée”.

En février 2023, elle opte pour un autre format et lance le cycle de rencontres mensuelles en non-mixité pour personnes noires et queer About Love, en référence au livre de bell hooks, avec son “adelphe militant” Gilda. Dès le premier soir, une quinzaine de personnes se retrouvent dans le bar : “C’est là que j’ai compris que, plus que les collages et les manifestations, ce sont le soin, l’écoute et les espaces en non-mixité qui fonctionnent. Car nous sommes fatigué·es d’être à l’intersection de plusieurs discriminations et, en dehors de ces espaces, a fortiori dans l’espace public, nous ne sommes pas protégé·es. Je pense que, pour pouvoir s’organiser politiquement, il faut d’abord pouvoir faire famille ensemble. Plus on vivra de soirées de ce type, plus on se donnera de la force et plus on fera le poids”.

Les coulisses de Marsactu
En amont de la parution de son livre Marseille trop puissante - 50 ans de féminisme dans la ville la plus rebelle de France, le 16 février aux éditions Hors d'atteinte, Margaux Mazellier a proposé à Marsactu, en exclusivité, le portrait de plusieurs femmes présentes dans cet ouvrage. Durant tout le mois de janvier, une fois par semaine, retrouvez ainsi la trajectoire d'une femme au militantisme remarquable dans la ville.
Margaux Mazellier

Commentaires

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  1. leb leb

    Petit rectificatif, Bell Hooks s’écrie bell Hooks, selon les souhaits de feu la théoricienne, de façon à ce que le nom de l’auteur ne prime pas sur le contenu du texte. Sinon merci pour cet article.

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