Guillaume Origoni vous présente
Marseille secret

[Marseille secret] Les experts des Chutes-Lavie

Chronique
le 30 Mar 2024
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Guillaume Origoni, photographe et journaliste, raconte des pans de Marseille qui ne se donnent pas à voir au premier regard. Explorateur de l'urbain, il aime se glisser dans les lieux abandonnés, cachés voire oubliés. Dans Marseille secret, il partage ses excursions les plus marquantes. Cette semaine, il pousse la porte du laboratoire de la police scientifique de Marseille.

[Marseille secret] Les experts des Chutes-Lavie
[Marseille secret] Les experts des Chutes-Lavie

[Marseille secret] Les experts des Chutes-Lavie

Il y a des lieux secrets ou discrets que l’on visite un peu comme des cambrioleurs. Pour ceux-là, on se passe des autorisations, on force un peu les portes, un coup de pied par-ci, un coup de pied par là et ça finit par passer.

Cette approche est inenvisageable lorsque l’objet de votre désir journalistique est entièrement dédié à l’identification des cambrioleurs, voleurs et autres malandrins qui pullulent dans notre belle Provence. N’oublions jamais que si l’accent est beau, l’histoire ne l’est pas toujours.

Aussi, lorsque je demande l’accès au laboratoire de la police nationale de Marseille, sa directrice, Madame S, n’est pas franchement enchantée. “Je n’ai rien contre la presse ! Au contraire, je sais que votre travail est indispensable mais nous n’avons pas que des amis et je tiens à la sécurité du personnel par-dessus tout .”

Très vite, la glace se rompt et madame S. nous ouvre la porte avec plaisir. Cette femme énergique et affable nous avertit d’emblée : “si vous pensez voir une ambiance similaire à celles des experts à Miami, vous vous plantez, notre travail n’est pas spectaculaire, mais on bosse bien et on peut vraiment dire que nous contribuons à l’établissement de la vérité.”

Je trouve instantanément que pouvoir dire un truc pareil au cours d’un after work, ça a tout de même une sacrée gueule.

 

 

“On m’ a encore envoyé une truffe”

Et justement, j’explique à la patronne des lieux que ce qui m’intéresse, c’est bien plus les manifestations parfois tortueuses de cette vérité que le fonctionnement du labo.

Je ne suis ni chroniqueur judiciaire, ni journaliste scientifique et donc totalement incompétent dans un tel environnement. Comprenant cela, peut-être Madame S. s’est-elle dit “on m’a encore envoyé une truffe…comme si je n’avais que ça à faire.”

Toutefois, dans ce dédale où tout le monde travaille un peu à l’étroit, la bonne humeur est générale, les vannes fusent et on se met très volontiers à disposition.

Il faut l’admettre, ces flics sont décidément peu communs. La plupart d’entre eux ont logiquement fait des études scientifiques avant de passer les concours hyper-sélectifs grâce auxquels ils sont rentrés dans la carrière bien avant que leurs aînés en soient sortis.

Ici on trouve des biologistes, des chimistes, des anthropologues, des balisticiens. Mais on trouve également tout ce que l’être humain peut produire de pire : des sous-vêtements souillés par des violeurs, des armes qui ont tué, des balles qui ont perforé les chairs ou de la poudre à l’origine d’overdoses.

Même si, en fin de compte, les experts des Chutes-Lavie ne sont que rarement sur le terrain ; c’est dans ce labo qu’ils cohabitent quotidiennement avec les zones marécageuses de la misère et du malheur.

“Il n’y a pas de petites affaires”

Lorsque j’en fait la remarque à Sabine, technicienne en prélèvements papillaires, elle acquiesce et raconte sa première confrontation avec la mort violente d’un homme, “C’était à mes débuts. Comme tout le monde j’avais déjà vu des morts préparés par les thanatopracteurs, ils étaient paisibles avec des joues encore roses. Au taf, c’est autre chose. Déjà l’odeur vous enveloppe entièrement et colle aux fringues et au corps. C’était dans un tout petit studio au sein d’un foyer Sonacotra. Le corps devait être là depuis plusieurs semaines. Rabougris, noir, presque momifié. Notre travail a permis d’identifier cet homme et à ma grande surprise, de son vivant il était blanc et bien portant.

Mais malgré les images de corps torturés ou la manifestation du mal sur les jeunes enfants, Sabine aime son métier qu’elle a choisi par goût de l’enquête.

 

Pour elle, il n’y a pas de “petites affaires”. Ce qui compte avant tout, c’est l’exercice de sa compétence lorsque l’énigme est complexe. “Je ne suis pas plus intéressée par les « réglos » que par les cambriolages par exemple, ce qui compte pour moi c’est d’être un maillon capital dans ce fameux établissement de la vérité.” Le pull rose et la gaieté de Sabine tranchent avec le calme olympien de sa collègue. Toutes deux convergent pourtant sur l’idée centrale que les scientifiques du laboratoire de la police nationale sont un service public qui doit porter la même attention à toutes les affaires. “Ce qui est important pour moi, c’est d’être utile. Certains cavalent après l’argent, moi depuis toujours, je veux que mon existence serve à quelque chose”, ajoute la binôme de Sabine. Avant de poursuivre : “ce n’est donc pas l’importance que j’attache à une affaire qui est importante, mais plutôt que je puisse vous aider à résoudre celle qui est importante pour vous.”

Elle admet que  l’autopsie d’un enfant de 18 mois reste un souvenir douloureux mais que ce n’est pas non plus son quotidien.

En passant dans le couloir qui conduit aux salles dédiées aux prélèvements, nous apercevons plusieurs techniciens occupés, semble-t-il, à l’analyse d’un étui de fusil d’assaut. Je rentre dans la pièce et demande si je peux faire des photos. Et machinalement, j’ajoute : “ne faites pas attention à moi, continuez à faire ce que vous étiez en train de faire”. L’un des quatre hommes présents sourit et répond : “en vrai, j’étais en train de boire le café”.

 

L’homme est de bonne composition et m’explique qu’il compare deux étuis pour “les faire parler”, c’est-à-dire pour attester qu’ils proviennent bien de la même arme : “la sainte kalachnikov des familles, si présente sur le territoire”, conclut-il avec ironie.

“Who’s the boss ?”

En remontant vers les étages supérieurs, nous croisons Olivier, le boss de la division d’identification à la personne. Il consent à nous consacrer un peu de temps. Manifestement, l’homme est un communicant. Chemise à carreaux portée à l’extérieur de la ceinture, carrure de “beau bébé”, il explique avec malice que son entrée dans la police scientifique relève à la fois du hasard et du miracle. Si vous voulez mon avis, Olivier est une “tronche”.

Lillois d’origine, il fait des études de biologie, se prépare sans grande conviction à devenir professeur. Il apprend qu’un concours pour rentrer dans la police scientifique se déroule à trois cents kilomètres de chez lui et là, c’est le déclic ! Mais pas vraiment celui que l’on imagine, car Olivier se dit que pour y aller, un pote va lui prêter sa Golf flambante. “Honnêtement, la perspective de rouler 300 kilomètres dans cette Golf neuve m’enthousiasmait plus que le concours pour lequel seules trois places étaient attribuables pour 4000 candidats.”

Contre toute attente, Olivier devient l’un de ces flics sans arme, mais avec beaucoup de bagage scientifique. Il est à Marseille depuis plus de vingt ans et concours après concours maintenant, c’est lui le daron. Il a travaillé sur des affaires emblématiques et on l’a vu dans des documentaires. Olivier aime bosser dans ce labo qui aujourd’hui est en pointe sur la recherche d’ADN mitochondrial. Il admet de temps à autre des pressions politiques fortes. “Cela a été vrai pour le drame de la rue de Tivoli, mais jamais autant qu’après l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. L’identification de certaines victimes a été faite dans notre labo. On a bossé dur, vraiment !”

Devenu marseillais par la force des choses, Olivier a toujours l’accent de sa région et trouve que l’énergie présente dans la ville n’est pas anodine. “Quand on est ici, on est pas ailleurs. La scène rap par exemple est la manifestation de cette force et ce stade antifa, franchement, c’est pas mal du tout !”

Je vous l’ai dit, les experts des Chutes-Lavie ne sont pas vraiment des flics comme les autres.

Guillaume et Laetitia Origoni 

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Commentaires

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  1. Pussaloreille Pussaloreille

    Des flics sympa, merci pour ce reportage.

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  2. zebulon13 zebulon13

    Des personnes Ô combien utiles. Merci à eux et bon courage pour encaisser ce qui doit être dur d’encaisser.

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