Sandrine Lana vous présente
Voilà le travail

Leila et Amel, femmes de chambre (en grève)

Chronique
le 15 Juin 2019
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Avec "Voilà le travail", la journaliste Sandrine Lana aborde le sujet quotidien qu'est le travail en partant des femmes et des hommes au labeur. Pour ce nouvel épisode, elle est allée à la rencontre de femmes de chambre en lutte.

Leila, femme de chambre au NH Collection. Illustration : Sandrine Lana.
Leila, femme de chambre au NH Collection. Illustration : Sandrine Lana.

Leila, femme de chambre au NH Collection. Illustration : Sandrine Lana.

Leila, femme de chambre au NH Collection. Illustration : Sandrine Lana.

Deux mois qu’onze femmes de chambre sont en grève à l’angle devant le NH Collection entre Boulevard des Dames et le Boulevard de la République. Chaque matin à 9h, elles font du grabuge devant les portes de l’hôtel et espèrent être entendues par le sous-traitant Elior qui les emploient. Leur métier est invisible pour les badauds qui passent une nuit dans des draps propres de l’hôtel et pour les Marseillais qui les croisent dans la rue, leur journée terminée. Zoom sur le métier de femme de ménage dans l’hôtellerie. Leila et Amel veulent parler d’une même voix, au nom des autres aussi.

Leila a bientôt vingt-sept ans, Amel A. en a trente. Ce sont de jeunes mamans, l’une d’origine cap-verdienne, comme de nombreuses femmes de chambre à Marseille, l’autre d’origine tunisienne. Leur travail répétitif a forgé leur corps tout en muscle :“On nettoie les chambres. Il y a trois cas de figure : le départ du voyageur, la recouche [ rafraîchissement de la chambre quand le client ne part pas] ou le changement de draps à blanc [ un nouveau client arrive ]. Nous sommes là de 9h à 14h. », explique Amel. “Il nous arrive de sortir à 15 ou 17h le dimanche. Des heures sup’ qui s’accumulent car on n’arrive pas à faire toutes les chambres en 5h de travail. Nos contrats indiquent que nous faisons 25 h de travail par semaine mais on fait plus tous les jours.” Ce sont ces heures supplémentaires, les tickets de transport et les paniers-repas non payés qui les ont poussées à faire grève devant l’hôtel.

Des journaux jonchent le sol, des traces de mains et des jaunes d’œuf ont souillé la devanture du bâtiment. Ce matin, Leila porte son petit garçon sous le bras. Avant d’arriver à Marseille, la jeune femme a étudié l’informatique au Portugal sans grande conviction, cela ne lui plaît pas. Elle est venue en France en espérant trouver un travail et après une première expérience de femme de chambre au Portugal. Sans-papier à son arrivée elle est engagée dans différents hôtels avant d’arriver dans celui-ci: “On travaille parfois six ou sept heures sans avoir droit à une pause. C’est compliqué… On n’a pas le droit de manger.” Dans une journée, Leila et ses collègues se chargent individuellement de dix chambres “minimum”. Aujourd’hui, Leila aimerait continuer à se former mais peine à faire valoir ses droits à la formation. “Je ne veux pas rester à faire du ménage toute ma vie.”, assure-t-elle.

Amel a déjà travaillé en Tunisie en tant que femme de ménage avant son mariage et son arrivée en France. Congé maternité, formations, remise à niveau en français… c’est alors une collègue de formation lui propose de rejoindre l’hôtel où elle travaille.

Leila et Amel sont en contrat à durée indéterminée depuis environ un an. Elles ressentent le travail dans leur corps : “C’est un hôtel de luxe où le travail est dur. Il y a beaucoup de tâches à réaliser et de nombreuses exigences de la gouvernante et de la direction”, explique Amel. “À 30 ans, je suis déjà obligée de mettre une ceinture pour travailler. J’ai mal des épaules jusqu’au bas du dos. À la fin de ma journée de travail, une fois chez moi, je ne peux plus bouger.”

Les produits ménagers ont abîmé leurs mains qu’elles redécouvrent après l’arrêt de travail dû au mouvement de grève : “Il y a les produits pour le sol, celui pour les vitres, puis l’eau chaude… Nos mains s’irritent, assèchent, perdent des couches de peau… Le plus douloureux reste le dos car nous sommes toujours baissées pour faire les lits, passer l’aspirateur, ou nettoyer le sol…sauf lorsqu’on fait les vitres”, complète Leila.

“Dans ce métier, tout doit aller vite”, poursuit Leila. “Nous avons trente minutes par chambre. Parfois, on n’y arrive pas lorsqu’une chambre possède trois lits, un grand lit ou un lit souple.” Il y a parfois la solidarité des collègues qui passent pour terminer un lit, une salle de bains ou partager un sandwich entre deux chambres…

Dans les couloirs, les chariots sont les témoins de leur passage . Là encore, le bât blesse selon Leila : “Il arrive qu’il n’y ait pas assez de chariots, d’aspirateurs ou de chiffons pour toutes les filles, ou qu’on soit sans éponge. J’ai déjà nettoyé avec les taies d’oreillers…”

Sentiment de mépris

Leila et Amel sont sûres que leurs origines et leur maîtrise du français parfois faible les discriminent face à leur employeur: “Je pense qu’on nous paie par chambre et non par heure de travail… sinon on serait payées plus”, s’interroge Leila. Dans leur lutte pour le respect du droit du travail, “le directeur de l’hôtel fait semblant de ne pas nous connaître quand les clients lui parlent de notre mobilisation”, nous disent-elle. “Cela ne se fait pas. On se demande s’il n’est pas raciste. D’ailleurs, dans tous les hôtels de Marseille, il n’y a que des Noirs et des Arabes qui travaillent… En arrivant en France, on est obligées d’accepter ces conditions pour payer notre loyer, s’occuper des enfants. Ils profitent de nous et les Français n’accepteraient pas ces conditions.” Souvent, les salaires n’atteignent pas 1000 euros ou les bulletins de paie ne font pas état de toutes les heures prestées.

Il y a quelques jours Leila a quitté Marseille pour aller devant le siège social du NH Hôtel et manifester aux côtés de travailleuses espagnoles. La lutte se politise et devient lutte de classe. “Sans notre syndicat, je pense qu’on ne serait plus là… Les juristes nous aident beaucoup.” De retour à Marseille, Leila et d’autres militantes CNT-SO ont été interpellés par la police durant un piquet de grève mais sont ressorties sans notification de poursuite.

Sandrine Lana
Journaliste indépendante qui a quitté l'hyper-centre de Marseille pour l'hyper-vert de la Provence. Je travaille sur les thématiques médico-sociales, sociétales et migratoires pour la presse française et belge. J'associe parfois mon travail à celui d'illustrateurs pour des récits graphiques documentaires.

Commentaires

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  1. David David

    Total soutien à ces filles courageuses, la direction de cet hôtel est lamentable. Sans parler de son PDG qui se gave sur le dos ces pauvres filles… 220 fois le salaire moyen d’une femme de chambre, voilà ce de quoi se monsieur se contente… Et il mégote pour leur payer leur dû, les heures supp effectuees et une petite augmentation ? Qui peut trouver ça normal ? Le monde est en train de crever à cause de ces parasites, c’est insupportable !

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  2. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Tout à fait d’accords !Alors surtout “qu’en même temps” ,pendant que ces personnes triment , Brigitte est allée, sans état d’âme déjeuner avec Martine et Jean-Claude

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