Le procès reporté
Le procès reporté
Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. La semaine dernière, son chemin a croisé le très médiatique procès de l’enseignant juif soupçonné d’avoir inventé son agression. L’occasion de raconter, au détour du report de l’affaire, cette justice qui ne prend pas de congés et fait face à des programmes chargés.
Ainsi il y a dix-neuf journalistes armés de caméras, de micros, d’appareils photo, de stylos bille et de ces téléphones portables qui enregistrent, filment et envoient demandes urgentes et réponses urgentes à leurs interlocuteurs invisibles. Petite armada de gens qui se connaissent, se suivent, cherchent à en savoir plus. “Alors, il sera reporté ou pas le procès ?” L’avocate du prévenu est pour ce report, elle est filmée et enregistrée sur le palier du premier étage du Palais. Il y a même un occasionnel dessinateur de presse qui crayonne son visage sur un petit cahier de dessin, au milieu de prévenus et de leurs familles qui attendent, eux, leur propre procès. Cet après-midi du 13 avril, à 14 heures, il y a donc une petite foule effervescente devant la Chambre des Vacations / Comparutions immédiates (c’est la dénomination officielle de l’audience, affichée à droite de la porte).
Cette agitation, rare en ce lieu et à cette heure-là, a une raison connue de tous les journaleux : doit comparaître le professeur Tsion Sylvain Saadoun, l’enseignant d’une école juive qui s’est dit victime d’une agression antisémite en novembre dernier, une semaine après les attentats à Paris. Comme l’écrivait Luc Leroux dans Le Monde : “Le parquet de Marseille estime que le professeur d’histoire-géographie âgé de 55 ans a inventé son agression, qu’il a imaginé les deux jeunes hommes d’une vingtaine d’années lui demander en préalable «T’es juif ou musulman ? » puis de lâcher : « On va t’amocher avant de te tuer ». Selon le procureur de la République, Brice Robin, les entailles peu profondes sur ses avant-bras et sur ses jambes pourraient n’être que le résultat d’une automutilation”.
Audience chargée
Les journalistes entrent dans la petite salle. Suivis du public. Douze avocats en robe noire sont là, bavardages incessants, le président entre, tout le monde se lève, vague silence. “Vous pouvez vous asseoir”. Et il demande s’il y a des “demandes de renvoi”, puisque c’est lui qui va trancher la fameuse question. Me Karine Sabbah, qui a bien martelé aux journalistes que son client “n’a jamais varié dans ses déclarations”, explique en quelques mots, incompréhensibles dans cette salle bruyante et sans micro, qu’il faut reporter ce procès. D’autant qu’elle a prévu une longue plaidoirie.
Le rôle
Le « rôle », mot courant, est un document sur lequel le greffier porte la liste des affaires qui sont appelées à l’audience d’une Chambre du tribunal où il est affecté. Appelé désormais officiellement « la feuille d’audience », elle sert maintenant à noter aussi la radiation, le désistement, le renvoi, la mise en délibéré et le prononcé de tout jugement qui font sortir l’affaire du rôle de l’audience à laquelle elle a été appelée.
La salle bruisse toujours des installations. Le rôle, qui recense les procès de l’après-midi, est très chargé : il en annonce dix-sept. Le procureur estime que la demande de report “n’est pas particulièrement recevable” mais que “la charge de cette audience fait qu’on n’aura pas le temps suffisant pour juger cette affaire”. Il ne s’oppose donc pas au report. Le président et ses deux assesseurs l’acceptent : après un conciliabule avec le procureur, qui lit les ordres du jour des audiences à venir, le procès en question est reporté au “12 mai, 14 heures”. Le brouhaha reprend de plus belle : tous les journalistes sortent pour alerter leur rédaction qu’ils sont donc venus pour… rien. La plupart s’en doutaient mais ils ne pouvaient manquer cet éventuel procès après que l’affaire a eu un tel retentissement. L’escouade est sortie, à la petite table de presse, restent deux journalistes : derrière son petit ordinateur portable, la jeune femme de MetroNews descendue de Paris pour cette audience et dont le train de retour n’est qu’à 20 heures. Et moi. Le silence a presque atterri.
Ouverte à 14h10, l’audience continue par l’examen de… sept autres reports qu’annonce le président aux avocats et aux prévenus présents : à cause d’une absence de plaignants (“les magasins Carrefour ou Auchan”…) ou parce que “l’audience du jour est un peu surchargée”, phrase qu’il répète chaque fois. “Le procès se déroulera le 9 mai”, conciliabule avec le procureur, “le jeudi 19 mai” ou le “vendredi 20 mai”. Et il précise aux prévenus qu’ils ne recevront pas d’autre convocation.
Congés
Mme H. frêle petite jeune femme enceinte, est alors convoquée à la barre. Elle s’y appuie, son avocat, qui la dépasse de quarante bons centimètres, explique la demande de sa cliente : sous contrôle judiciaire – “ne parlez pas !” lance le président au public encore bruyant -, elle veut obtenir un allègement du contrôle afin de pouvoir “partir en famille à Eilat” (Israël). Le procureur rappelle qu’elle a déjà obtenu un allégement l’an dernier “pour des vacances dans un hôtel en Espagne”, détaille les sommes restantes dues à la justice, et s’y oppose. L’avocat plaide qu’il ne reste presque rien à payer, le président remercie et clôt : “Vous aurez la réponse tout à l’heure”. Il y aura encore douze affaires, l’audience reprend : “Je ne peux pas requérir quand un téléphone sonne !” Le procureur se rassied, attend, reprend.
Les affaires concernent une majorité de prévenus détenus depuis quelques jours et parfois depuis la veille : un petit deal de cocaïne, un vol à la roulotte, une escroquerie, une bagarre de rue, un étrange accident en moto, un vol avec effraction, un vol en réunion. Trois fois, après deux ou trois affaires exposées, le tribunal se retire, délibère. Revient. “Vous pouvez vous asseoir”, annonce le délibéré : prison avec sursis, mandat de dépôt, contrôles judiciaires. Les détenus libérés qui vont redescendre au geôle du sous-sol où ils avaient attendu, font signe à leur famille de les retrouver “en bas”. Et le président, d’une voix toujours mal audible, attaque une autre affaire. Jusqu’à 19h45. C’était la séance de la Chambre des Vacations / Comparutions immédiates du 13 avril 2016. L’audience porte ce nom un peu désuet parce que les magistrats, en temps de congés scolaires, prennent eux aussi des vacances. Jamais la justice.
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