La chambre des stups à Bobigny
La chambre des stups à Bobigny
Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. Cette enquête nourrit un ouvrage en cours d’écriture qui traite justement de la justice à Marseille, de la manière dont elle est rendue, vécue, au quotidien. Dans la perspective de cette écriture au long cours sur les rouages de la justice pénale, Michel Samson nous propose une chronique hebdomadaire. Il y parlera des vies qu’on croise à la barre, des mots qu’on y entend. Cette semaine, il fait la comparaison avec le tribunal de Bobigny.
13ème chambre du TGI de Bobigny, celle que les gens du Palais appellent “la chambre des stups”. Bancs de bois clair en légers gradins pour le public, même bois pour les tables et les bancs des avocats, face à la table de justice surélevée devant la cloison de briques rouges qu’on voit dans toutes les salles de ce Palais érigé à la fin du XXe siècle. L’audition est facile, le public moins séparé de la scène judiciaire. On entre dans cette chambre claire en traversant l’immense salle des pas perdus, sorte de hall-cathédrale aux colonnes de béton gris de dix mètres de diamètre. Un autre monde architectural que celui, ancien et décrépit, où se déroulent les audiences pénales de Marseille.
Marseille/Bobigny
Statistiquement, en matière de pauvreté, de professions, de diplômes, d’employés et d’ouvriers, Marseille ressemble plus au département de la Seine-Saint-Denis qu’aux autres grandes villes de France. Celles-ci ont en effet des banlieues extérieures comme Vaulx-en-Velin pour Lyon, Bobigny ou Saint-Denis pour Paris, Bègles pour Bordeaux… Alors que les habitants les plus pauvres du département sont inclus dans la ville de Marseille qui, justement, n’a pas de banlieue (cf Sociologie de Marseille, de Michel Péraldi, éditions de La Découverte). Voilà pourquoi aller au Palais de Justice de Bobigny, chef-lieu du département et où siège son tribunal, et envisager une comparaison avec le TGI de Marseille, m’a semblé intéressant.
Débute le procès de trois jeunes gens qui attendaient, bavards et agités sur les bancs du public, portables allumés dont la présidente, agacée, a exigé l’extinction. Descendent à la barre Boumé D., petit noir nerveux regardant toujours derrière lui, Diago G., lui aussi noir et Kader T. Ils s’avachissent sur la barre, continuent de se parler à voix basse. La présidente commence les interrogatoires d’identité, leur demande de se tenir droit, puis, brusquement leur lance : “Regardez-moi et arrêtez de parler !”. Elle résume les délits qui les ont amenés ici : le recel de clés d’une voiture volée, la possession d’armes blanches, l’association de malfaiteurs. En septembre 2014, ils ont été arrêtés à 2h45 du matin à Saint-Denis sortant d’une voiture volée. Les trois étaient gantés et quand les policiers sont arrivés, ils ont jeté au sol ou tenté de cacher dans le véhicule des rouleaux adhésifs, un pistolet à bille, un Taser, des couteaux, ainsi que la clé de la voiture. L’écoute d’un de leur téléphone portable révélait qu’ils avaient parlé avec un individu qui leur disait de “venir”, qu’il “y avait des keufs devant la porte et ils se sont taillés”. “Pourquoi des gants ?”, demande la présidente à D. : “Il faisait froid !”. “En juillet ?”. On ne saura rien de plus précis sur leur raison d’être venu là à une telle heure sinon leur envie “de manger dans une pizzeria du coin” – “pizzeria inexistante” pour les policiers. Quand on leur demande pourquoi, juste avant leur interpellation, ils étaient descendus à Paris où aucun d’eux n’habite, G., qui domine les deux autres de la tête et des épaules affirme, grand sourire aux lèvres : “Pour voir s’il y avait des minettes”, rires étouffés des trois. La présidente poursuit quand même, jusqu’à ce qu’elle jette d’une voix excédée: “C’est votre choix, vous rigolez, on verra si vous rigolez jusqu’au bout”.
Dans son réquisitoire, la procureure se dit d’abord “atterrée par leur comportement d’une bêtise crasse qui montre qu’ils n’ont pas compris qu’ils allaient en être victimes”. Elle poursuit : “Ce sont des amateurs pour le passage à l’acte” c’est-à-dire “du saucissonnage, un véritable fléau dans ce département et que subissent des gens traumatisés par des jeunes comme ces trois”. Ils disposaient en effet de tout le matériel utilisé pour ces vols où la victime, cambriolée chez elle, est saucissonnée. Les trois jeunes gens se taisent et le défenseur de l’un d’eux, qui plaide un peu pour les trois, avance qu’il ne faut pas confondre “infraction et intention”. De surcroît leur intention “est, je le répète, différente de l’infraction” soutenue par l’accusation “parce que dans le 93, il y aurait beaucoup de saucissonnages”. Ce qu’il trouve juridiquement insoutenable.
Le “saucissonnage”, évoqué par l’accusation, n’est jamais cité comme une dangereuse pratique locale dans les audiences marseillaises où on évoque plutôt le deal et les “règlements de compte”. L’attitude des trois jeunes gens, qui semblaient presque se foutre de ce qui leur arrivait avec leurs rires et leur façon de n’être pas présents à eux-mêmes, à la présidente, ou au lieu où il comparaissait, tout cela m’est apparu assez lointain de ce qui prévaut dans les salles du TGI marseillais : on voit et entend à Marseille des jeunes gens en colère qui comptent sur la présence de leurs amis, complices et parents dans le public pour les soutenir. On voit rarement des accusés rire et se montrant si loin de ce qu’ils vivent. À Bobigny, ce mardi-là, ces trois jeunes délinquants semblaient bien seuls et un seul avocat défendait un seul des accusés, les autres ne disposant d’aucun. À quoi s’ajoute qu’en une semaine de présence dans différentes salles d’audience, je n’ai jamais croisé un journaliste dans les salles ordinaires du TGI ou lors des deux procès d’assises qui se déroulaient dans ce palais ces mêmes jours. Et le journal local Aujourd’hui-Le Parisien n’a jamais raconté, durant cette semaine, des audiences du TGI. Au contraire de La Provence et de La Marseillaise qui le font quotidiennement.
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