La jouvence des minots de la Fiesta
L’orchestre à cordes de la cité de la musique et de l’école Korsec lors de la Fiesta des Minots. Photo : Jean De La Pena.
La Fiesta des Suds, vingt-cinq ans d’âge, commence. Trois jours seulement, trois nuits plutôt. Au bout du tram, foule tranquille devant l’entrée filtrée, 13 000 personnes le premier soir, 18 000 le lendemain. Tous âges, les vingt-quarantenaires majoritaires, venus ici pour écouter, manger, bavarder, boire. La magie fonctionne : Hubert-Félix Thiefaine, sono impeccable sur l’immense scène posée au pied du gratte-ciel signé Hadid, “on n’oublie jamais les secrets d’enfants” : sa voix grave emplit la nuit d’automne, les milliers sont là, debout, bercés par ce rockeur-bluesman aux cheveux gris. Sur le goudron rapiécé, derrière les conteneurs où se niche la Bodega, de très jeunes gens dansent devant Walkabout, disc-jockey perché sur le toit de sa vieille estafette devant une balise de mer posée de guingois. Sous le hangar immense d’autres milliers mangent, boivent, pizzas, se tiennent par la main, regardent un stand de livres, cornes de gazelle aux amandes amères, bière, rhum, pastis. Dans la Salle des sucres Moussu T e lei jovents déchaînent l’enthousiasme des passionnés qui les connaissent bien, puisqu’ils sont toujours là. Au Cabaret chantent des Catalans, une partie du public danse. Dehors la Fondation Abbé Pierre montre dans son bus aménagé ce qu’est un sinistre taudis loué 600 euros par mois.
25 ans de Fiesta, 160 salariés pour cette joyeuse feria bruyante et tranquille de nuit fraîche et de brûlants concerts, de boissons et de cuisines du monde : ces nourritures pour oreilles, cœur et estomac réjouissent ceux qui viennent pour trois heures ou pour une nuit (presque) entière. Ensemble.
Je n’avais jamais été à la Fiesta des Minots, j’en savais l’importance, les organisatrices de Phar’t et Balises m’avaient parlé de leurs rencontres, de l’importance de leur action et de leur pari délicat : faire comprendre aux grands, ceux qui subventionnent plus ou moins, que la création aide à vivre où qu’on habite.
Deux heures de l’après-midi, piaillements, rires, mains tenues, des centaines de petits, avec parents ou en bande, attendent, entrent en masse, découvrent ce lieu étrange que surplombent des grues. Escaliers, Salle des sucres, elle est grande et sombre, des centaines de minots sont assis par terre sur un immense tapis. Etonnant bruiteur à rythmes, Joos roucoule sur scène, annonce L’orchestre à cordes de la cité de la musique et de l’école Korsec : 27 minots, certains minuscules, dirigés par une jeune femme, les voix d’enfants se dirigent vers le ciel, pizzicati sur les cordes de violons, conclusion du set avec une sorte de Frère Jacques recomposé en musique contemporaine.
Dans la salle du Cabaret un trio, la chanteuse, guitare basse, a une longue robe verte et une voix haute, le batteur connaît le jazz : yeux grand ouverts, ce tout petit enfant écoute dans les bras de son père, assez content lui aussi d’être là. Autour du hangar, ils sont des dizaines à aquareller, dessiner, goûter des churros quand les audacieux essaient de tenir une puissante lance à incendie avec les Cadets de Marins Pompiers.
Dans la Salle des sucres, sur une musique kabyle teintée de pop et de rap, dansent maintenant quatre jeunes femmes d’une magnifique sensualité. Arrive l’équipe de chanteurs-danseurs de la Réunion, ils ont entre 10 et 15 ans, chantent en créole et dansent comme des pro’. Et c’est l’impression qui me frappe devant ces représentations par et pour juniors : ceux de l’association Biloba sont stupéfiants de virtuosité, avant que la Battle Dance hip hop ne produise son effet.
Un préado’ un peu rond, micro en main, lit et rythme son texte impressionnant qui évoque les cimetières, la cité, la maladie : il pourrait être sur scène avec la Fiesta des grands, la nuit. Comme les incroyables virtuoses du rythme et de la souplesse qui concluent l’après-midi de spectacles avec leurs figures de sauts, de dandinements, de secousses cadencées de hanches et d’épaules, de jeux de jambes, de sauts périlleux et de danse virevoltante vissés sur un seul bras.
J’aurais pu me douter de la puissance de ces artistes en herbe la veille au soir. A la Cité de la Musique, une troupe des jeunes de la Cité de la Martine (15ème arrondissement), évidemment parrainés par l’association Phar’t et Balises, véritable maître d’oeuvre de la Fiesta des Minots, se livrait à des improvisations théâtrales. Leur prof d’impro, Kader, interrogeait le public et piochait dans une petite boîte pour choisir un mot ou une situation. Un court temps de réflexion et ces gamins –oui c’étaient des gamins de quinze à dix-huit ans- inventaient des scènes comiques, jouaient les amoureux, les agités, les colériques. Un prétendu jeune homme expliquait à un prétendu papy à moitié sourd, trente ans d’âge à deux, comment il avait pris sa voiture ; trois autres inventaient autour du mot “journaliste”. Avant que ces improvisateurs divisés en deux groupes ne s’affrontent en mimant une comédie musicale. Pris de rire, stupéfait devant la créativité de ceux-là, j’aurais pu me douter que les enfants du lendemain, lors de l’étonnante Fiesta des minots, m’entraîneraient aussi loin. Dans les rêves de spectacles, d’improvisation, de création que portent si fort ces si jeunes gens…
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