[Histoire d’ateliers] L’atelier l’Encre rouge à travers Fabienne Yvert

Chronique
le 6 Avr 2024
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Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.

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L'atelier l'Encre Rouge, rue Neuve Sainte Catherine. (Illustration : Malika Moine)

L'atelier l'Encre Rouge, rue Neuve Sainte Catherine. (Illustration : Malika Moine)

Je ne sais plus comment ni depuis quand cet objet de papier insolite et réconfortant est suspendu à la maison : un tourniquet qui combine des propositions absurdes ou évidentes, sensibles et insensées, drôles toujours, comme un exercice de style à la Queneau… “Demain – je reste au lit… Aujourd’hui – ne m’attends pas…” Fabienne Yvert, l’autrice, joue avec les mots et, typographe, les imprime à sa façon.

Il y a quelques années, je flânais entre Saint-Victor et le Vieux- Port quand une devanture m’a invité à entrer. Un magnifique et dense atelier, acier, papiers, imprimés, découpés et humanité… Et j’ai vu d’autres ouvrages de la fameuse Fabienne Yvert. Christine,”la reine du papier découpé” (dixit Fabienne, plus tard) m’a chaleureusement accueillie. Le temps a passé sans que mes pas me ramènent rue Neuve-Sainte-Catherine un jour d’ouverture de l’Encre rouge… Mais comme une illumination, j’ai pensé à cet étonnant atelier pour ma chronique.

Des outils à donner le tournis

Portrait de Fabienne Yvert. (Photo : Christine Carte)

Il est singulier d’être accompagnée par des livres ou des objets et de rencontrer leurs auteurs. Ainsi, autour d’un thé préparé par Christine, la discussion commence par l’histoire de ce lieu dense et habité. Fabienne raconte : “Avec Laurent et Christine Carte, on récupérait du matériel d’imprimeries qui fermaient depuis plus de 10 ans quand on a ouvert cet atelier. On cherchait un endroit de plain-pied avec une vitrine dans ce quartier car Laurent a une boîte de comm’ dans le coin. Depuis une dizaine d’années, on est ensemble ici avec notre matériel en commun. Ça se passe bien car on a des spécialités différentes, chacun a sa table et on ne travaille pas tous sur les mêmes machines. L’intérêt d’être ensemble, c’est de pouvoir demander à l’autre de participer à notre travail, c’est ce partage des savoirs qui nous intéressait au départ.”

L’espace n’est pas très grand, je ne saurais jauger sa taille. Certes, il y a une mezzanine mais les outils sont volumineux et j’ai du mal à imaginer trois personnes y travailler en même temps, d’autant plus qu’une quatrième larronne, Elisabeth, entre et se met à l’ouvrage de l’autre côté. Ils sont donc bien plus nombreux à travailler ici ! Fabienne poursuit : “L’espace est petit, donc il faut se mettre d’accord pour se répartir les machines. On a des jours de permanence mais l’âme de l’atelier, c’est Christine.”

Les outils de Fabienne Yvert. (Illustration : Malika Moine)

Ces outils, ces machines, anciennes et presque industrielles, me donnent le tournis. J’aimerais connaître leurs noms et leurs fonctions. “Ce qui m’intéresse, souligne Fabienne, c’est la typographie. Mon principal outil est une presse à encrage automatique dont la marque a donné le nom : c’est la Korrex. On cale une composition avec des lettres en plomb ou en bois, on encre la machine, on roule et on imprime. Je fais entre 50 et 500 tirages, des affiches, des livres…”

Avant la fermeture

Et cet objet qui m’amuse et me réjouit à chaque fois que mon œil et ma main tombent dessus ? “Ah oui, ce sont les tourniquets”. Si Fabienne n’en a pas parlé, c’est qu’il y a une foule d’objets de papier, supports de poésies dans le petit coin boutique – et plus encore sur son site, mobiles lettrés, drôles de pancartes, cartes postales et autres livres objets. Je déambule avec Fabienne entre les outils : la piqueuse ; une sorte d’agrafeuse monumentale ; l’arrondisseur de coin (si si, c’est son nom !) ; la raineuse pour faire des rainages qui permettent de plier facilement ; une petite presse pour la gravure lino ; la cisaille ; le massicot ; l’œilleteuse. Sur la mezzanine trône la plus moderne découpe laser, royaume de Christine. Je demande : “et les caractères d’imprimerie ?” Elle s’interroge : “Est-ce que je les classe parmi les outils ? Ils étaient en tout cas dans notre panier de mariage du début…”

Carte réalisée par Fabienne Yvert.

Je tiens à questionner les artistes chez qui je me rends sur la façon dont ils s’en sortent économiquement, car aucun équivalent au statut d’intermittent n’existe pour les plasticiens et les poètes. “Travailler soi-même, c’est ne pas dépendre des autres, se donner les moyens de ses besoins. Mais on est précaires et c’est fatigant… Ça bouffe pas mal d’énergie que tu pourrais mettre ailleurs… C’est plus dur quand tu vieillis, et quand ton travail n’est pas « branché », ça ajoute une difficulté pour le montrer. Mes livres d’artiste sont vendus dans quelques rares librairies «amies » et je fais des salons mais, là aussi, c’est onéreux et difficile.” Elle ajoute : “Cet atelier a été possible grâce à la générosité de Laurent. Et comme là ça devient trop compliqué, on ferme et chacun travaillera chez soi…”

Alors, précipitez-vous au 28, bis rue Neuve-Sainte-Catherine avant l’imminente fermeture, ou si son temps est révolu, sur le site de Fabienne, pour voir son singulier travail poétique. Et pour retrouver tous les travaux de l’atelier l’Encre Rouge, rendez-vous ici.

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