[Entre les lignes] Boxon bus

Chronique
le 3 Fév 2024
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Auteur, slameur, Mbaé Tahamida Soly est l'un des fondateurs de la sound musical school B Vice à la Savine. Voyageur sans permis, il utilise au quotidien les transports publics. Ils lui offrent la matière de portraits de voyageurs, écrits comme des saynètes et postés sur les réseaux sociaux. Pour Marsactu, il en fait une chronique à lire entre les lignes.

Dessin : Ben8
Dessin : Ben8

Dessin : Ben8

J’arrive en sueur à la station Gèze pour prendre ma diligence en direction de la Savine. Je suis assez ricrac par rapport à mon rendez-vous, mais le tableau d’affichage 🖥️ s’en moque : La Savine Sud, 23 minutes et 38 minutes d’attente. Nous ne comprenons pas ce gros écart horaire. ⏲️ D’habitude, nous avons un bus toutes les 15 minutes. ⏳ Bien sûr, aucune information affichée et encore moins un employé pour nous expliquer le pourquoi du comment. 🪧 Et pour couronner le tout, le carrosse à l’arrêt nous avertit qu’il est “Hors Service”. Un chauffeur au téléphone y est cependant assis confortablement derrière le volant. Nous prenons donc notre mal en patience. Nous en avons l’habitude.

Au bout de quelques minutes, un autre véhicule affichant “La RTM recrute” se gare derrière le bus à l’arrêt. 🚍 Son jeune chauffeur en descend pour se griller une cigarette 🚬 et nous annonce que c’est celui “Hors Service” qui part en premier (❓). Soudain, c’est la cohue. Les gens se précipitent, se poussent et s’écrasent sans gêne dans l’espoir de poser leur derrière sur un bon siège bien dur. 💺 Le bus se remplit à la vitesse de l’éclair. Mais une fois tous les passagers à bord, un superviseur débarque avec son bloc note, 📝 son stylo bille 🖊️ et son talkie-walkie. D’abord, il inspecte le bus :

– “Il est dégueulasse ton bus ! C’est toi qui l’as sorti ? Dit-il en interrompant le gars derrière son volant dans sa conversation téléphonique.

– Non. On m’a appelé en renfort sur la ligne. Moi, je suis à Saint Pierre normalement. Et je peux te dire que je ne l’aurais pas sorti, fada.

– Ça doit être la petite nouvelle de ce matin”.

Puis, le superviseur informe notre jeune conducteur que c’est finalement l’autre qui doit décoller en premier.

– “Ils sont sérieux ? C’est des fatigués ma parole”.

Le même scénario et les mêmes scènes que précédemment se répètent alors : courses, prise d’assaut des places assises, engueulades, bousculades, voyageurs en colère, car dépossédés de leur trône en plastique… À ce jeu du “pousse-toi de là que je m’y mette”, les jeunes et les hommes sont les plus habiles. (Ou les plus sans gêne. Ils squattent même les places réservées sans vergogne.)

Justement, une dame avec un petit bidon 🤰 lorgne sur une des trois places dédiées où une vieille dame et un monsieur assez baraqué d’une cinquantaine d’années sont installés. Le gros sac rempli de ce dernier occupe le dernier siège côté couloir. Il porte des lunettes de soleil 😎, une chemise marron 👔 ainsi qu’une veste grise. 🧥 Les jambes bien écartées comme dans son salon, il arbore le sourire de celui-ci qui vient de gagner au quinté. 🏇 Lorsque l’heure de partir sonne enfin, notre chauffeur appuie sur un bouton, mais rien ne se passe après le grand “pshiiit !” des portes de devant.

“Manque de chauffeur, manque de mécano : voilà les conséquences”, lance notre jeune chauffeur à l’adresse de son superviseur qui est obligé d’accompagner leur fermeture automatique avec les mains.

À un virage, le sac du type avec son sourire béat manque de tomber et il le rattrape au vol. 🛄 La dame enceinte debout dans l’allée centrale interprète en premier son geste comme le signe qu’il va descendre (ou bien une marque de galanterie ?). Que nenni. Il installe de nouveau son colis sur le siège tout en l’enlaçant comme la femme de sa vie 💑. La femme lui demande alors s’il peut avoir l’amabilité de le poser par terre afin de lui permettre de s’asseoir. Mais, le mâle alpha ne se montre pas du tout coopératif et lui fait comprendre que le contenu de son sac est fragile et encore plus précieux que ce qu’elle porte dans son ventre. 😡

– “C’est ma nouvelle box. Ça fait plus de 15 jours que je l’attends. Elle reste à côté de moi
– C’est juste une box. Et elle est dans son carton d’emballage en plus. Je suis enceinte et je sors du travail. Je suis fatiguée.
– Ça va t’es enceinte, pas malade
– Non mais vous êtes sérieux ? Vous êtes handicapé du cerveau c’est ça ? 🤪
– Qu’est-ce t’as dit ?
– Il y a des handicaps qui ne se voient pas. Pas tout de suite en tout cas. Peut-être que vous en avez un caché.
– Handicapée toi-même !
– Vous êtes valide, pas handicapé physique ♿ ni mental, 🤪 donc vous n’avez rien à faire sur les places réservées.
– Je me lève pas. Va voir ailleurs si tu veux. Je bouge pas mon sac”.

“Les places réservées c’est pour que les gens non valides et les femmes enceintes puissent s’asseoir. ♿🤰 Si votre box ne présente aucun de ces cas, levez-vous de là s’il vous plaît”, crie le chauffeur
– …( Silence du malotru qui ne bouge pas d’un poil)

“Vous voulez s’asseoir ? Madame, Vous voulez s’asseoir ? Viens là ! Prends ma place”, crie une dame près de la porte de sortie.

– “Merci beaucoup madame. Mais il y a une place réservée ici. C’est pour les gens, mais pas pour les box.
– Pas la peine disputer avec les malpolis, Madame. Viens tu s’asseoir ici.
– Vas-y ha ! Espèce de clando. Va apprendre le français après tu me parles.
– Je parle pas bien français mais je connais la politesse. Vous pas honte ?”

Au cinquième arrêt, monte un grand trentenaire. Il a les cheveux tressés et porte une chemise moulante qui laisse deviner sa musculature. Il se fraie un chemin, se dirige vers la femme enceinte et l’embrasse sur les lèvres.

– “Pourquoi t’es debout ? Il y a une place réservée là ! Le médecin a dit qu’il faut pas que tu te fatigues
– Je veux bien mais le monsieur ne veut pas mettre son sac par terre. Il a peur pour sa box. C’est précieux tu vois.
– Ha oui ? Et bien, il va le lever de suite de là s’il ne veut pas que je fracasse sa box sur sa tête de con. Non mais”.

Sur ce, notre butor prend son colis sur ses genoux et laisse la dame enceinte 🤰 s’asseoir.
– “Ben voilà. Quand vous voulez. C’est quand même fou ça. Il faut menacer les gens pour leur apprendre la politesse.
– C’est pas politesse ça. C’est la peur ! 😨”, corrige la Mama près de la porte de sortie.

Fort avec les faibles et faible devant les forts, c’est aussi l’attitude de nos gouvernants. Par exemple, face à la colère légitime des agriculteurs, Gérald Darmanin a déclaré : “On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS”. Gilets jaunes, enseignants, pompiers, jeunes des quartiers populaires, exilés, soignants, écologistes, manifestants contre la réforme des retraites et même spectateurs de foot… violentés, mutilés, tabassés, gazés, apprécieront le deux poids deux mesures.

Bonne année 2024 les amis. 🎉🎆 Elle finit le 31 décembre, alors chaque jour, je vous souhaite le meilleur, dans la santé et le bonheur. 🎇🎊

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Commentaires

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  1. Pussaloreille Pussaloreille

    Edifiante chronique comme toujours excellente, qui nous renseigne non seulement sur la nature humaine mais aussi sur la faible performance des transports accordée aux quartiers nord alors qu’ils en ont le plus besoin…

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    • Soly Soly

      Merci 🤝

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  2. Jeanne 13 Jeanne 13

    Bravo Soly on est carrément sur la chronique d’une journée banale dans la vie des transports marseillais

    Et la conclusion est géniale !
    Trés bien écrit entre la chronique et la nouvelle

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    • Soly Soly

      Merci beaucoup Jeanne 🙏

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  3. bud_ice13010 bud_ice13010

    Hello,
    Il me semble, sauf erreur de ma part, d’avoir déjà lu cette chronique quelques temps en arrière sur votre site…
    Les emojis dans le texte me l’ont de suite remise en mémoire…

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    • Soly Soly

      Hello, il y a des voyages qui peuvent se ressembler au départ, mais c’est toujours une nouvelle histoire que je raconte chaque mois.

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