Michel Samson vous présente
Arts et essais

Les apprentis ordinaires au Merlan

Chronique
le 5 Juin 2018
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Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Ce week-end, il a suivi de jeunes comédiens "ordinaires" sur les planches du Merlan.

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L'entrée du Merlan (Photo : Michel Samson)

L'entrée du Merlan (Photo : Michel Samson)

Trois soirs de Plateau : au théâtre du Merlan, logé dans un centre commercial au cœur de cités populaires, des amateurs de tous âges jouent, dansent, chantent sous la houlette de créateurs qui eux, ne sont pas des amateurs. Plateau 1 : des gamins de 4ème du collège Henri Wallon marchent et dansent en groupe. S’arrêtent… La désignant du doigt, l’un deux, parle de “la ville qui se trouve derrière cette grande montagne”, quand une fillette évoque “Hélène la marchande de laine”. Ils se mettent en rond quand un petit gamin noir explique : “Je suis ici parce que je ne suis pas d’ailleurs, voilà”.

Nous les héros(photo Michel Samson)

Ils miment, dansent racontent D’où venons-nous ? Un peu plus âgés, puisqu’ils sont en 1ère, (option théâtre au lycée Artaud), neufs adolescents entrent sur scène. Ils interprètent Nous les héros. Réunis dans ce qui semble être les coulisses d’un théâtre (grande table, deux longs porte manteaux ornés de cintres et de costumes) et comme s’ils sortaient de représentation, ils bavardent, critiquent, s’engueulent. Contestent la façon de jouer de l’un, discutent de la mise en scène sous l’œil agacé d’un des leurs qui semble leader, avant, deuxième scène, de répéter la pièce, de s’accrocher à nouveau, chacun allant bouder dans son coin.

Le lendemain, toujours au Merlan, Plateau 2, la soirée commence avec un film dans lequel des élèves de 6ème, sont filmés dans Un corps qui change, un cœur qui bat. Acteurs de leur rôle, ils expliquent à leur manière les différences entre filles et garçons, entre hommes et femmes avec un naturel étonnant et souvent très drôles. “Les garçons ne doivent pas pleurer”, “Nous ne sommes pas vos bonnes”. Avant que cette jeune fille, l’air décidée, lance “Moi j’aime pas les poupées” et tire bruyamment la langue au spectateur…

Suit un étonnant Britannicus joué par des élèves de terminale : les alexandrins sont dits par ces cinq jeunes acteurs qui semblent emportés par la musique des vers de douze pieds. Deux des élèves acteurs sont absents, nous a prévenu leur maîtresse : leurs remplaçants lisent les vers sur scène avec autant de conviction que les autres.

Étonnants moments, parfois maladroits et souvent émouvants, que ces spectacles joués par des jeunes gens aux corps ordinaires, gras ou minces, petits ou grands, blancs ou noirs, habiles ou pas, aux débits de voix et aux accents ordinaires (ici marseillais, bien sûr) : ils font comprendre que les gens qu’on voit en général sur scène, les acteurs professionnels, finalement, ne sont pas des gens ordinaires. La plupart du temps ils sont blancs, minces, parlent sans accent local et bougent de façon élégante à moins qu’ils ne miment la maladresse. Bref les acteurs ordinaires, souvent, ne le sont pas. Ces soirs de Plateaux relevaient alors d’un théâtre qu’on pourrait appeler documentaire, comme dans les films documentaires où le charcutier l’est vraiment quand, dans une fiction, l’acteur qui ne l’est pas mime le travail du charcutier.

Cela apparaît mieux encore quand des adultes, eux aussi ordinaires, jouent Vous avez dit travail ? le lendemain soir (Plateau 3).  Ces vingt habitants des 13/14ème arrondissements ont participé au collectif Tremplin au Centre social Saint Gabriel. Entrant sur scène en marchant comme des robots au son d’une musique lancinante, ils ôtent alors leurs blouses et adoptent une démarche saccadée dans un bruit d’usine. Puis ils s’éclipsent et, sur un écran déployé en fond de scène, leur visage apparaît en gros plan quand ils répondent à des questions simples comme : “Qu’est-ce que tu préfères chez une femme ?” ou “Ton principal défaut ?”. Ils reviennent en chair et en os et se mettent à faire tous semblant de taper à la machine, en répondant au téléphone, sont débordés, accélèrent s’énervent, répondent mal. Apparaît alors que le spectacle filmé ou joué sur scène n’aime pas montrer trop longtemps le travail : il est considéré comme ennuyeux, lassant, répétitif, morne. Le contraire du divertissement.

Ces amateurs, très jeunes ou adultes, ne jouaient donc pas comme des acteurs payés pour représenter la vie : ils en étaient directement porteurs, ajoutant aux idées des metteurs en scène qui les avaient accompagné leur propre dimension, leur propre corps, leur propre maladresse, leur propre façon de se mettre en scène. Ce que le cinéaste et théoricien du cinéma Jean-Louis Comolli appelle leur « dimension fictionnelle ». C’est certainement cela qui donnait à ces soirées du Merlan un force singulière. Le fait que ce soit joué, ces trois soirs là, par des gens ordinaires ayant des corps ordinaires – des cordinaires– faisait apparaître leurs pièces comme ressortant bien d’une sorte de théâtre documentaire.

Et faisait rebondir l’éternelle question posée par le réalisateur Jean Renoir : “Où finit le théâtre, où commence la vie ?”

D’où venons nous ? : Elèves de 4ème avec Stéphane Lemonnier et Christelle Piccitto

Nous les héros : Elèves de 1ère, Eric Leconte d’après Jean-Luc Lagarce

Un corps qui change, un cœur qui bat : Elèves de 6ème, Axelle Shatz

Britannicus, Elèves de terminale avec Danièle Stéfan d’après Jean Racine

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