Ezéchiel Zérah vous présente
La chronique gastronomique

À Marseille, le gâteau n’est pas roi

Chronique
le 1 Oct 2016
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La devanture de la boutique Plauchut, en haut de la Canebière.
La devanture de la boutique Plauchut, en haut de la Canebière.

La devanture de la boutique Plauchut, en haut de la Canebière.

Un peu d’éclectisme dans Marsactu ne peut pas faire de mal. Une fois par mois, Ezéchiel Zérah nous propose une chronique gastronomique. Cette semaine, il interroge l’absence de tradition pâtissière au pays de la navette.

La devanture de la boutique Plauchut, en haut de la Canebière.

La devanture de la boutique Plauchut, en haut de la Canebière.

Il est des professions qui firent et font encore la réputation de Marseille. Les marchands d’épices. Les chapeliers. Les matelots. Les corsaires et pirates. Les médecins. Les rappeurs. Les notaires. De la même manière, la ville peut être fière de ses inventeurs, natifs ou résidents : Germain Menozzi, qui mis au point le baby-foot ; Dominique Piazza, créateur des premières cartes postales ; Alfred Naquet, qui rétablit le divorce ; Henri Fabre, à l’origine de l’hydravion… Côté pâtisserie en revanche, à l’exception des navettes, la seconde ville de France brille par sa faible attractivité dans la mémoire collective. Quid de son historique sucré ? “Au 19e siècle, le pâtissier du 7 rue Saint Ferréol, le sieur Moulet, passait pour le meilleur artisan de tout Marseille. Ses ‘croûtes était célèbres’”, rappelle Michel Vergé-Franceschi dans son dictionnaire historique, Marseille, aux éditions Bouquins (2013). “En 1876, il y avait à Marseille plus de quarante pâtissiers-confiseurs d’origine helvétique : les Semadeni, Castelmuro, Baldini, Prost, Linder, Putscher, Solary et Conza, le plus souvent venus du Tessin ou des Grisons”, peut-on lire dans un ouvrage consacré au poids de la Suisse dans la ville au fil du temps*.

Ici, la pâtisserie se conjugue au passé. Il suffit de constater avec tristesse que les institutions qui régalèrent naguère les marseillais ne vivent aujourd’hui que dans les esprits des nostalgiques. La maison Castelmuro bien sûr, qui régna rue Paradis de 1804 à 1999 avec ses “Ménélik” et “hérissons”. Les anciens parlent aussi avec gourmandise de feus Boyer, Pelat ou Jal. Ou du salon de thé le Poussin Bleu. Il y avait bien l’enseigne moderne Dites Moi Tout dans le 4e mais on trouve désormais portes closes au 33 Boulevard Philippon… Et puis il y a ces maisons ayant toujours pignon sur rue dont les vitrines sont aujourd’hui peu alléchantes, des adresses désertées par les vrais gourmets, fréquentées uniquement par ceux qui s’y égarent ou cultivent leurs souvenirs. Plauchut sur la Canebière, qui se vante de son ancienneté (1820) mais ferait mieux de revoir ses entremets grossiers. Villedieu, boulevard Baille, qui vit encore de sa gloire d’antan avec un Meilleur Ouvrier de France… bientôt sexagénaire. Quant à Amandine et la Vague Gourmande, que je déserte volontairement, cela fait longtemps que l’on ne m’en dresse plus l’éloge… J’allais oublier Mandonato. L’affaire de la rue Breteuil est une catastrophe. Celle de Saint-Victor, en revanche, tient un peu mieux son rang. En janvier dernier, j’y avais goûté une brioche remarquable, fourrée d’une belle chantilly aux marrons.

Vivent les gâteaux aux pignons et les petits cochons… mais bon

Ne vous méprenez pas, je n’ai rien contre les gâteaux aux pignons, les petits cochons en pâte d’amande, les étuis chantilly (j’adore ça) et les tartes aux fruits coiffées de gélatine mais l’époque demande désormais, moi le premier, des créations pâtissières singulières, plus légères, moins sucrées, plus esthétiques, axées sur l’équilibre et la construction des goûts. J’ai écrit plus haut tout le mal que je pense de certains noms vieillissants qui se flattent d’un standing invisible mais il existe fort heureusement une ou deux boutiques qui valent le détour. Sylvain Depuichaffray d’abord, rue Grignan. L’homme est taiseux, mais force est de reconnaître qu’il possède l’un des meilleurs tours de main de son territoire d’adoption. Sa brioche au sucre matinale est fabuleuse. Son gâteau des rois, poussé à la cuisson, attache le regard avec ses lourds fruits confits (de la maison aubagnaise Corsiglia). Mais il y a surtout ces petites choses exécutées solidement, avec finesse : le fraisier printanier que l’on prend plaisir à retrouver chaque saison, la tarte chocolat au lait, banane, caramel et cacahuètes grillées, le Jivara à la passion, crème matcha et chocolat… Dans l’hyper-centre, aucun confrère ne lui arrive à la cheville.

L’autre adresse que je visite et recommande très volontiers vogue à trois kilomètres de là, paumée dans la dernière ligne droite du chemin de l’Oriol. Nous sommes chez Clément Higgins et Aurélie Pauletto, les auto-proclamés « Bricoleurs de Douceurs ». Pas de bâtisseurs du dimanche ici mais un bonhomme de 28 piges sculpteur de rigolos bijoux à la crème. En ce moment, c’est cheesecake érable-poire-noix et tarte pécan-banane-citron vert mais demain, allez savoir… Parce que ce chien fou dingue de rhum-raisin n’a pas été élevé dans les codes (fac de droit et pizzeria avant son CAP) et dégaine à l’envie. A l’instant. A l’instinct. Allez-y les yeux fermés, la bouche grande ouverte. Peut-être faudrait-il aussi ajouter à cette brève liste Gabin Delory, un jeune pâtissier sans boutique qui ne fonctionne qu’au bouche à oreille. Je n’ai jamais passé commande mais je connais des gens très bien à qui c’est arrivé. J’attends vos retours.

*Renée Lopez-Théry, 1799-1999. 200 ans de Représentation Consulaire Suisse à Marseille, Marseille, 1999, p. 25

 

Commentaires

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  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Oui, à côté d’autres grandes villes de Province, Marseille est un peu un désert pâtissier… Je pense par exemple à Strasbourg, où les vitrines de certains artisans sont de véritables attractions pour les yeux – en attendant de l’être pour les papilles – au point que des touristes les prennent en photo !

    Ceci dit, j’ajouterais bien une suggestion aux adresses que vous citez, un peu plus à l’extérieur du centre-ville. A mes yeux, la maison Allegrini à la Pointe-Rouge (57 avenue de Montredon) se défend tout à fait honorablement. A côté de quelques grands classiques, on y trouve des recettes saisonnières qui marient agréablement les goûts et les couleurs. Et ce qui me fait dire que le métier est maîtrisé, c’est que ce n’est ni trop sucré, ni trop gras. Et, évidemment, c’est bon !

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    • The Sardinist The Sardinist

      Bonsoir cher électeur,

      Autre maison du paysage pâtissier marseillais en effet, j’irai y faire un tour prochainement, merci pour le rappel !

      Quant à l’Alsace, c’est certain, le territoire, au même titre que le voisin lorrain d’ailleurs, est une terre fertile en la matière. Pierre Hermé, Christophe Felder et bien d’autres pâtissiers plutôt doués sont natifs de la région (j’ai travaillé il y a peu sur un sujet autour de l’Alsace et la raison pour laquelle tant d’artisans sucrés en sont issus, Gault & Millau magazine devrait le publier prochainement)

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  2. jacques jacques

    Comment peut-on “oublier” Rabellino à St Barnabé, Sébastien a pris la suite de son père, lui-même dans la lignée des pâtissiers piemontais mentionnés. Et qui en plus de ses gâteaux originaux confectionne le meilleur “colombier” de marseille.
    Au fait, Ezéchiel, comme expliques tu que tes articles ici soient nickel et que ceux d’Atabula soient farcis de fautes?
    PS: le pâtissier de la croix-rouge n’est pas mal non plus.

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    • The Sardinist The Sardinist

      Cher Jacques, merci pour votre précieux retour… et fidélité bien sur !

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  3. Magnaval Magnaval

    Que Marseille échappe pour l’instant à la vogue parisienne du gâteau-concept chic et choc à 5 (voire 6) euros l’unité, on devrait peut-être s’en réjouir.

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    • The Sardinist The Sardinist

      Et même 8 ou 9 chez certains. Ceci dit, il n’y a pas que du mauvais dans ces enseignes. A boire et à manger, comme partout !

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    • Magnaval Magnaval

      En effet, c’est même souvent très bon. Mais c’est commercialement du racket (2 euros le mini-chou à la crème, ça sent le concept marketing).
      Le plus grave est que les fournisseurs de gâteaux autour de ces enseignes suivent le mouvement. Dans le centre de Paris, il est difficile de payer une tartelette, même fournie par Big Agro moins de 4,5 €.

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  4. The Sardinist The Sardinist

    @Magnaval : c’est quelque fois du racket oui, dans les boutiques mono-sujet en particulier (choux, macarons, madeleines, babas…). S’agissant des choux à la crème, je les achète quant à moi au kilo, en boulangerie (Le Fournil du Saint à la Plaine principalement même si le changement de mains a fait baisser un peu la qualité), avant de descendre place Sébastopol au Royaume pour la chantilly classique. Et hop, le meilleur petit-déjeuner du dimanche !

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    • barbapapa barbapapa

      Ouiii la chantilly du Royaume !!! sur des fruits frais en toutes saisons, pas mal du tout aussi.
      Il y a 4 autres “Royaume de la Chantilly” à Marseille, au Redon, à Saint Barnabé, aux Camoins et à Plan de Cuques.

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  5. barbapapa barbapapa

    1 adresse à signaler, plus biscuiterie que pâtisserie, 7 boulevard Botinelly, (le long de la voie ferrée, entre Blancarde et av de Saint Barnabé) il est possible d’y acheter directement à la fabrique “Biscuiterie Orsoni” de fabuleux macarons aux amandes amères, différents canistrelli, et bien sur des navettes – les mêmes que l’on retrouve dans de grandes enseignes d’épicerie fine, sans l’emballage et à prix moindre.

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    • The Sardinist The Sardinist

      Oui il me semble que c’était l’enseigne de José Orsoni. Il a laissé son nom à Blancarde mais l’homme a monté une nouvelle structure juste avant d’accéder à la Place de Lenche depuis l’hôtel Dieu. Bien meilleur que le Four de St Victor à mes yeux !

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  6. JL41 JL41

    Question aux experts : si l’on vent de bonnes petites viennoiseries : croissants, pains au raisin qui ont un bon goût de cannelle, pains au chocolat, où faut-il les prendre ?

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    • The Sardinist The Sardinist

      Quelques adresses qui me viennent en tête : Dame Farine, Maison St Honoré et le Fournil Saint Honoré. J’ai de bons souvenirs viennoisiers du Pain de l’Opéra et de la Boulangerie Aixoise à côté de l’Opéra. Sinon Depuichaffray rue Grignan notamment les pains au raisins et brioches

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    • Lagachon Lagachon

      “Nico” sur la Plaine, il a même des brioches aux pralines et d’autres à l’orange (pas sur pour la cannelle en revanche).

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  7. jacques jacques

    Et alors, on oublie le Royaume de la place Sébastopol !!!
    Quant à Depuichaffray, bien déçu par ma dernière expérience de viennoiseries.
    D’acc avec Ezéchiel, Plauchut c’est pas top pour les gâteaux, sauf si on les aime balèzes, mais la viennoiserie est extra, il y aurait même parfois un peu trop de beurre. Et là non plus, ce ne sont pas des échantillons qu’on vous vend.
    Concernant les prix, n’oublions pas que la pâtisserie est quelque chose d’éminemment périssable et le pâtissier doit en tenir compte dans son prix, et un gâteau “viré” c’est vite fait. Et les matières premières , si elles sont de qualité, sont très chères. Si ça vous tente, je vous organise une visite à Metro, vous serez surpris.

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    • The Sardinist The Sardinist

      Je retournerai chez Plauchut pour les viennoiseries, histoire de, mais je n’ai guère d’espoir compte tenu de la médiocrité des gâteaux…

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  8. jacques jacques

    Eh bé, même si le gâteau n’est pas roi à Marseille, il fait jaser! Y’a plus de commentaires que pour les boues rouges. Bon app’

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  9. JL41 JL41

    Merci pour ces infos. Tant que j’y suis, est-ce qu’on peut trouver de bons kougelhopfs à Marseille ? Et du baekhoffen (ailleurs que chez moi) ?

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    • The Sardinist The Sardinist

      Alors là… je connais un exceptionnel kougelhopf à Laguiole (pâtisserie Auriat) fabriqué par les petites mains d’un Monsieur pourtant non alsacien mais à Marseille… Le critique gastronomique Gilles Pudlowski recommande celui de la Boulangerie Aixoise près de l’Opéra mais je ne l’ai pas (encore) goûté…

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    • JL41 JL41

      Merci, merci encore. Peut-être qu’un jour je vous ferai goûter mon baekhoffen ? Mais pour le moment, je suis au régime sans sel, sans lard bien entendu, c’est une abomination pour un lorrain et alsacien.

      Un autre sujet, un peu adventice à toutes ces bonnes adresses, c’est les bons traiteurs. C’est parfois pratique de ne pas passer soi-même du temps à cuisiner et de régaler les amis avec de nouveaux plats dont nous serons assurés que la préparation est de grande qualité.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      JL41, on n’écrit pas “Baeckeoffe”plutôt ?
      😉

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    • JL41 JL41

      Oui Electeur du 8è, il manque le « c », tu as raison.
      Comme tu le sais certainement, il s’agit d’un plat qui « dans le temps » était cuit longuement dans le four du boulanger après le pain qui passe à four plus chaud, pendant que la maîtresse de maison (un euphémisme pour servante) allait faire les lessives au lavoir.

      De mon côté, je mets absolument toutes les viandes que je veux (tout finit par devenir tendre et à se confire), entre des couches de pommes-de-terre. Et par dessus du lard maigre fumé (alsacien ou corse), qui transpire dans les pommes de terre durant la cuisson que j’aime longue. La viande aura évidemment été marinée dans un Riesling assez sec, plutôt qu’un Sylvaner de supermarché. Fond d’oignons revenus dans la graisse du lard fumé qui sera ensuite sur le dessus, épices selon contenu.
      Je ne scelle pas à la farine le couvercle de l’énorme terrine que j’utilise. J’en ai déjà cassé un avec le burin. J’interpose seulement une feuille de papier alu un peu percée qui s’enfonce en pressant sur le couvercle. Ce qui permet aussi d’aller voir et de goûter en cours de cuisson.

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  10. aurélie guermonprez aurélie guermonprez

    Je ne sais pas s’ils sont faits sur place, mais les gâteaux chez Bataille rue Fontange sont grandioses.

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