Cassis demande réparation après un reportage évoquant une nuée d’excréments en ses eaux

Reportage
le 6 Sep 2017
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La Ville de Cassis n'a pas aimé un reportage d'Envoyé Spécial évoquant des excréments dans ses eaux de baignade. Elle attaque France Télévisions et un plongeur en diffamation, réclamant 3,2 millions de dommages et intérêts à la chaîne.

Capture d
Capture d'écran de l'émission Envoyé Spécial du 28 juillet 2016.

Capture d'écran de l'émission Envoyé Spécial du 28 juillet 2016.

Le tribunal de Marseille a plongé en eaux troubles, ce mardi après-midi. La Ville de Cassis entendait y obtenir réparation après la diffusion de Calanques en eaux troubles, un reportage d’Envoyé spécial sur France télévision, le 28 juillet dernier. En dehors de la pollution au plomb dans les anciennes usines des Calanques, il y était question des boues rouges et, pour Cassis, d’une nuée noirâtre qui s’échappe de l’émissaire de la station d’épuration à 70 mètres de la plage de Corton.

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Filmée par un apnéiste, Michel Dron lui-même cité à comparaître pour diffamation, cette nuée, son odeur et la présence éventuelle d’excréments humains avaient déjà eu un certain retentissement après sa diffusion sur les réseaux sociaux. Le site internet de L’Obs y avait consacré un sujet. Mais c’est le reportage d’Envoyé Spécial, suivi d’un sujet élégamment intitulé “À Cassis, on se baigne dans les excréments” qui a provoqué l’ire de la maire de Cassis, Danièle Milon et sa riposte tant médiatique que judiciaire.

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3,24 millions de dommages et intérêts

En l’occurrence, par la voix de son conseil Jean-Yves Dupeux, elle accuse la journaliste Chloé Vienne, auteure du reportage, la PDG de France Télévisions Delphine Ernotte, directrice de publication et le plongeur, auteur de la vidéo de diffamation. À la chaîne de télé, elle demande 3,24 millions d’euros de dommages et intérêts et 15 000 euros au titre des frais de justice. Au plongeur 10 000 euros de dommages et intérêts et le paiement des mêmes frais. Le premier montant – colossal – a été établi par l’agence de communication High Co. il est calculé au titre de la campagne de réparation d’image nécessaire pour redorer le lustre de “cette perle de la Méditerranée”.

Le président Castoldi mène l’instruction à la barre. Dessin : Ben 8

Lors de ces trois heures de procès menées par Fabrice Castoldi, président de la 11e chambre correctionnelle, il a au final été assez peu question du travail journalistique mené par la reporter et son équipe. Excusée pour raison de santé, celle-ci n’est pas venue justifier du “sérieux de son enquête”, de la “base factuelle suffisante” ou de son “absence d’animosité personnelle” à l’égard de Cassis, sa maire ou sa baie. Pourtant, le président a pris grand soin de faire œuvre de pédagogie, demandant le visionnage des séquences incriminées après avoir lu les propos du plongeur et ceux de la journaliste en intégralité.

“Nuage d’excréments”

En matière de diffamation, ce sont d’abord les propos et celui qu’ils visent qui sont passés au crible. En l’occurrence, le plongeur comme la journaliste évoquent dans l’extrait “un nuage d’excréments qui s’échappe du tuyau”. Si la base factuelle de cette affirmation peut être sujette à caution, la question est de savoir si le dysfonctionnement supposé y est attribuée ou non à la Ville de Cassis.

Dans le reportage, la journaliste dit avoir interrogé la mairie pour savoir si la station d’épuration fonctionnait correctement et cite ses propos à l’antenne. Mais, à aucun moment du passage visée, elle relie les éléments du reportage, réels ou supposés, à la responsabilité de la commune.

La maire de Cassis et, Danielle Milon et l’avocat de la ville, Gilbert Sindrès. Dessin : Ben 8

Longuement entendu, Michel Dron, le plongeur, auteur des images, prend grand soin de décrire par le menu ce qu’il a ressenti lors de ses plongées répétées auprès de l’émissaire. Électricien, “amoureux de la Méditerranée”, il a découvert ce panache “par hasard” alors qu’il cherchait “une grotte à corail” à proximité. “La première fois, j’ai rien vu et au retour, j’ai vu une nuée avec l’eau qui se troublait et puis une odeur d’excrément dans la bouche. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose d’anormal”, explique-t-il à la barre. Il poste donc une première vidéo puis revient avec la journaliste d’Envoyé Spécial, “mais je n’étais absolument pas sûr d’y voir la même chose”. Rebelote, la nuée est là. Mais, encore une fois, il n’évoque jamais la Ville de Cassis et s’il évoque de manière évasive des possibles contrôles, ce sont ceux de “la gendarmerie maritime qui contrôle les chasseurs sous-marins”.

“Eau propre à 95%”

Convoqué à la barre, le directeur de la société d’assainissement Est métropole, filiale de la Société des eaux de Marseille, Fabien Pinna, détaille par le menu le fonctionnement de la station dont il a la charge au titre d’une délégation de service public confiée par la métropole, compétente en matière d’assainissement. “L’eau rejetée en mer est propre à 95%“, affirme-t-il. Elle ne contient donc pas d’excréments, “c’est impossible. Les matières en suspension sont des mousses, de la matière accumulée dans le tuyau”, poursuit-il. La station n’est pas plus saturée, contrairement à ce qui est affirmé dans le passage incriminé, “en période estivale, elle traite 3800 m3 d’eau alors qu’elle est conçue pour un maximum de 5000”.

Directeur de la société d’assainissement Est Métropole, Fabien Pinna explique le fonctionnement de la station d’épuration. Dessin : Ben 8.

Mais dans cet exposé très détaillé, on découvre tout de même que cet émissaire en béton ne fait pas l’objet de révisions mais “d’un contrôle visuel“. Quant à l’eau qui s’en échappe, “elle n’est pas potable”. “A peine teintée”, elle contient de “la matière en suspension dans la limite des normes qui nous sont imposées”, indique-t-il, affirmant être prêt à se baigner à l’endroit incriminé.

“Conséquence de la vie que nous vivons”

Cette “eau pas sale, polluée” pour reprendre les propos du directeur de la filiale de la SEMM, est “la conséquence de la vie que nous vivons”, souligne le président Castoldi. Mais est-elle pour autant imputable, dans ses excès, à la ville de Cassis dans les extraits cités ?

Appelée à la barre, Danielle Milon détaille avec le ton d’une édile blessée les efforts menées pour redresser la qualité des eaux de sa ville, “la seconde richesse de Cassis, avec le vignoble et ses forêts”. Pavillon noir en 2007, la Ville obtient le bleu en 2009. “Et j’ai fourni à la journaliste l’ensemble des portables des personnes intéressées au fonctionnement de la station ainsi que les résultats des analyses sur l’ensemble des plages, toutes excellentes”, dit-elle en appui citant les analyses des services de l’État. La journaliste n’en a pas eu l’usage. Au final, son travail est restée très collé à la seule démonstration par l’image du plongeur en eaux troubles. Mais, ce faisant, elle n’a pas plus incriminé directement la Ville dont elle a, à coup sûr, terni l’image en pleine saison estivale.

“Vuitton ou Cassis, ce sont deux perles”

Avocat de Cassis, Jean-Yves Dupeux entame sa plaidoirie. Dessin : Ben 8

La procureure Marie-Blanche Régnier se prononce pour la relaxe. Dessin Ben 8

Dans sa plaidoirie, Jean-Yves Dupeux insiste sur le jeu de métonymie entre la plage où se passe l’action, la Ville et celle qui la dirige depuis dix ans, Danielle Milon. Il démontre point par point l’absence de base factuelle suffisante, d’une enquête sérieuse en appui des images,  appuyée par “un constat d’huissier ou d’analyse de l’eau à la sortie du tuyau”. Il balaie par anticipation les arguments de la défense qui souligne la confusion entre dénigrement et diffamation. “J’ai eu à défendre Louis Vuitton contre E Bay qui vendait en ligne des contrefaçons, explique-t-il pour justifier la hauteur des sommes demandées à la chaîne. Vuitton ou Cassis, ce sont deux perles.”

Appelée à requérir après la partie civile, la procureure Marie-Blanche Régnier retient le critère de la bonne foi et demande la relaxe en soulignant l’importance des lanceurs d’alerte en matière d’environnement : “On admet socialement ce taux de pollution, même résiduel mais où est le curseur ?, interroge-t-elle. En dépit des efforts , le rejets des agglomérations restent la source de pollution principale dans les Calanques…”

Maître De roux, avocat de France Télévisions prépare sa plaidoirie. Dessin : Ben 8.

Pour la défense de France télévisions, Louis-Marie De Roux, ne s’embarrasse que peu des questions liées au travail journalistiques “accessoires”. Il se concentre sur l’objet du procès la diffamation et son imputation à la plaignante. “Un propos peut être désagréable, faux, mensonger, – ce qui n’est pas le cas – il peut même avoir un impact plus fort qu’un propos diffamatoire mais sans l’être pour autant. En l’espèce, ils ne le sont pas et la Ville de Cassis n’est pas visée”. Pour lui, ni citation directe, ni même insinuation. Les faits reprochés n’ont pas plus un caractère illicite ou illégal. Quant à la somme demandée, elle s’apparente à de “l’intimidation des journalistes”. Quant à la défenseure de Michel Dron, elle s’appuie sur le témoignage “sincère” du plongeur pour assurer de sa bonne foi et demander la relaxe. Jugement mis en délibéré au 7 novembre.

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Commentaires

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  1. Dark Vador Dark Vador

    Il est indéniable, à mon avis, que la ville de Cassis participe activement au traitement de ses eaux usées. Mais… partout où les agglomérations disposent de stations d’épuration, même performantes, en saison estivale et face à l’explosion des populations, ça déborde évidemment, et des rejets imparfaitement traités sont rejetés en mer ou en fleuve ou rivière, une enquête de l’association “Que Choisir” l’a démontré aisément. Cassis a déjà les rejets super polluants de l’usine Altéo, c’est sûr, elle n’avait pas besoin de cette affaire supplémentaire…

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  2. corsaire vert corsaire vert

    Y a t il eu ‘expertise judiciaire de la qualité des eaux avec analyse ?
    Il semble pourtant que certaine émission de TV avait été claire à ce sujet ! et elle n’a pas été accusée de dénigrement !
    Entre les deux stations d’épuration c’est dégoûtant et les courants emmènent tout vers l’est .
    Au lieu d’attaquer les témoins et de les accuser de dénigrement , les édiles de Marseille et Cassis seraient avisés de réaliser des travaux importants dans leurs stations d’épuration , de surveiller régulièrement les canalisations et surtout de ne faire aucune concession à Altéo !
    Si la ministre de l’écologie du précédent gouvernement avait tenté de faire quelque chose malgré les oppositions, les pollueurs peuvent dormir tranquilles maintenant …

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  3. Regard Neutre Regard Neutre

    En règle générale, la gestion des stations d’épuration est déléguée à un prestataire de service qui endosse de facto la responsabilité des effets des rejets préalablement traités.A Cassis, serait-ce la ville qui traite ses eaux sanitaires en régie directe? Pourquoi la ville ne se retourne pas sur son délégataire?

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  4. Nic Onico Nic Onico

    Les journa listes et le plongeur ne semblent pas coupables mais il semble qu’ils ne soient pas allés au fond de leurs investigations.

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    • leravidemilo leravidemilo

      Ben, pour ce qui concerne le plongeur et le fond de ses investigations, outre que le tuyau est quand même étroit, j’aimerais bien vous y voir vous!

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  5. Nic Onico Nic Onico

    Et la ville ferait mieux de concentrer son énergie sur le fond du problème plutôt que contre les journalistes qu’elle pourrait remercier de traiter ce sujet.

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  6. barbapapa barbapapa

    Les dommages médiatiques pour la ville de Cassis sont considérables, à cause d’un plongeur peu conséquent qui parle inconsidérément de rejets d’excréments, à cause de “journalistes” peu conséquents ignorants du traitement des eaux et qui ne vont pas faire procéder à la plus petite analyse, à une chaîne de télévision de très grande écoute et forcément crédible pour les millions de gens qui la regardent, qui laisse passer des accusations aux termes terribles sans aucune vérification… Leur supposée bonne foi n’excuse rien. Encore aujourd’hui, le fait que la ville de Cassis réclame réparation rajoute encore une couche à ces dommages médiatiques puisque beaucoup de médias se “régalent” à titrer sur l’association “plage de Cassis / excréments”

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    • Tarama Tarama

      Il n’empêche que les stations d’épuration ne traitent que partiellement les eaux usées… Ce sont des eaux polluées et non potables (voir à Cortiou à la sortie du grand émissaire de Marseille, ça ne fait aucun doute vu la couleur et l’odeur).

      Peut-être que la ville de Cassis devrait investir dans un allongement du tuyau vers le large.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Oui, la qualité des eaux rejetées à la mer à Cortiou (dans le Parc national…) est celle d’eaux dont la dépollution est incomplète. Des techniques d’épuration totale (qui autoriseraient d’ailleurs le recyclage des eaux usées, ce qui peut être utile dans une région de plus en plus sèche) existent : http://paca.lpo.fr/protection/engagements/actualite/3315-petition-debarrasser-definitivement-les-calanques-du-rejet-polluant-de-cortiou

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    • Julien Julien

      Nouvelle formule pour la crème de Cassis : 95% d’eau , 5% de caca !

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  7. Happy Happy

    Je suis un peu déçu par ce compte-rendu purement factuel de l’audience. La plainte de la Ville de Cassis met en question la rigueur du travail journalistique : le reportage a-t-il cédé à la tentation facile du sensationnalisme, a-t-il pris la peine de recueillir et comprendre des données techniques sur la qualité des eaux ? Un reportage qui cause injustement un préjudice économique à la collectivité doit-il entraîner une réparation financière ? Si oui, qui doit payer ?
    Benoît, vous n’êtes pas juge, mais vous êtes journaliste et votre engagement à Marsactu illustre une vision exigeante du journalisme. C’est pourquoi, au-delà du compte-rendu d’audience, j’aurais aimé lire votre point de vue sur ces questions.

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  8. Julien Julien

    Attention, l’avocat de la commune est aussi l’avocat de Bernard Escalle. Cela va-t-il coûter aussi cher à France télé qu’à 13 Habitat ? Pas grave… Dans les 2 cas c’est nous qui payerons !

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