Quand le BTP déverse ses déchets dans les collines de la Nerthe
Pendant au moins deux ans, un ballet de camions a déversé des centaines de milliers de tonnes de gravats dans une zone naturelle, non loin de l'Estaque. En toute impunité. Le propriétaire du terrain, des élus et le préfet sont alertés depuis des mois, mais peinent à établir les responsabilités.
Quand le BTP déverse ses déchets dans les collines de la Nerthe
Tout près de la pointe de Corbières, le pont fatigué est habitué à voir passer les poids-lourds. Après quelques centaines de mètres de chemin étroit, on débouche sur une ancienne carrière où la société Progeco, filiale de la CMA-CGM, stocke des conteneurs pour les réparer. Mais depuis des mois, un autre ballet est venu s’ajouter à cette activité : des camions à n’en plus finir, chargés de matériaux de chantiers, de gravats, de terre.
Des “déchets inertes”, comme on dit dans le métier, s’entassent au mépris de toutes les règles en vigueur. Par certains endroits, les monticules vont se nicher jusque dans les hauteurs des collines, atteignant des hauteurs impressionnantes. Une comparaison d’images satellites entre 2013 et 2015 suffit à prendre la mesure de ces dépôts, que certains estiment à plusieurs centaines de milliers de tonnes.
Faites glisser le révélateur vers la gauche pour passer de 2013 à 2015. Le terrain juste au-dessus des containers bénéficie d’une autorisation. La zone de dépôts sauvages la plus importante est située à gauche, même si une activité est observée en bordure de la carrière, en haut à droite.
Le lieu bénéficie pourtant de multiples protections (zone naturelle au plan local d’urbanisme, loi littoral, Natura 2000, “site classé” par le ministère de l’Environnement en 2013…). Qui a bien pu y autoriser cette activité ? Au-delà de l’enjeu écologique, de telles buttes nécessitent des techniques particulières, notamment pour permettre à l’eau de s’écouler. “Un jour il va y avoir une catastrophe. On est en zone de mouvements de terrain. Le jour où ça va descendre ils vont faire la une”, observe un homme de l’art.
Interrogée sur le sujet en décembre, Samia Ghali indiquait avoir saisi le préfet cinq mois auparavant. C’est l’élue écologiste des 15e et 16e arrondissements Joëlle Boulay qui a porté le fer : “Quand on sait le travail que l’on fait avec les riverains pour suivre de près les entreprises du secteur à l’Estaque, aux Aygalades, c’est inimaginable de laisser des gens faire n’importe quoi à la carrière du Vallon. C’est d’un autre monde, on est sur Mars !”
Ses alertes répétées ont pourtant mis du temps à bouger l’administration. “Il a fallu six mois pour que la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, ndlr) envoie une inspection sur place”, assure-t-elle. Entre temps, le saccage continuait. La sénatrice-maire du secteur Samia Ghali (PS) a elle aussi écrit au préfet. “Que faut-il faire de plus ? Faut-il que l’on fasse une manifestation pour que ça bouge ?”, interroge Joëlle Boulay.
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“Nous avons fait des constats d’huissier et mis nos locataires en demeure d’arrêter ces dépôts, de les retraiter et les exporter”, assure de son côté François Maurel, avocat des multiples propriétaires du terrain. Les locataires en question, ce sont deux sociétés du secteur du bâtiment, JMC et CMTP. À quelques mètres de l’entrée de Progeco, un local modulaire accueille les visiteurs. La signalétique est sommaire : les noms des deux sociétés tracés à la peinture sur un rocher, une feuille A4 scotchée informant que le paiement est désormais réclamé d’avance. Au fond du terrain, un berger allemand aboie dans un mobile-home. Surpris par notre passage, les employés qui nous accueillent se refusent à en dire plus sur leur activité.
Contacté, le patron de CMTP, Olivier Masoni, nie toute implication dans les dépôts sauvages : “Nous avons une autorisation pour le recyclage. Le principe c’est que quand un bâtiment est démoli on nous livre les gravats, nous utilisons un concasseur pour faire du sable que l’on revend ensuite.” Une autorisation ? Pas si on en croit la Dreal. Sollicitée, elle indique que “la situation irrégulière de recyclage de déchets inertes a été constatée et fait l’objet des suites administratives, toujours en cours, prévues par le code de l’environnement.
Même constat concernant JMC, qui a cependant “récemment déposé un dossier de demande de régularisation en préfecture”. La Dreal précise que “la régularisation ne sera possible que si l’activité est bien compatible avec le PLU”. Selon nos informations, l’entreprise a approché la mairie de secteur en mettant en avant les 40 emplois qui seraient en jeu.
En théorie, les déchets du BTP sont censés être recyclés ou être stockés dans des installations baptisées ISDI, au nombre d’une dizaine dans le département. Mais de nombreux autres débouchés peuvent être imaginés, sur des sites souvent moins contrôlés. Sur son site Internet, ECT se présente comme “le 1er groupe français de gestion et de stockage de matériaux inertes”, avec 85 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Outre des remblais et autres murs anti-bruit dans le département, on le retrouve dans un projet que la ville de Marseille a accepté d’étudier en octobre 2015. Il s’agit de réaliser à la place du stade Pépinière (11e), “un circuit de motocross et un circuit de BMX”. ECT Provence se propose de le faire à titre gratuit. Son modèle économique : faire payer le réemploi des déchets inertes servant à dessiner les buttes des circuits.
Mais au fil de notre enquête, beaucoup de regards se tournent vers ECT, un important groupe du secteur (voir notre encadré). Le panneau de cette société, un temps présent sur place, a également alerté Joëlle Boulay (EE-LV).
François Maurel confirme qu’ECT est intervenue pour “refaire les lignes de tir du stand présent sur le haut du terrain” mais semble dubitatif à l’idée qu’un groupe de cette taille prenne de telles libertés avec la réglementation. Les références d’ECT lui valent la même confiance de la mairie du 15/16. Récemment, des représentants de l’entreprise ont pris rendez-vous pour la rassurer : “Ils ont simplement refait la piste DFCI (le chemin d’accès des pompiers, ndlr)”, glisse-t-on à la mairie du 15/16.
Au vu de la localisation du stand de tir, ce sont ces dépôts qui sont visibles sur notre comparaison satellite. À ce titre, la réponse de la Dreal est étonnante de légèreté :
Cette entreprise a réalisé un aménagement pour une association de tirs (FTC Formatir, à partir de déchets inertes apportés et déplacés. Les volumes en jeu sont significatifs, environ 100 000 m3. L’aménagement est quasiment terminé (…) Les rotations de camions ont cessé courant octobre. Leur activité ne relève pas de la législation sur les ICPE (dépendant de la Dreal, ndlr). La compatibilité de cet aménagement par rapport au code de l’Urbanisme devra être appréciée par la mairie.
Une belle passe à l’aile pour la mairie de Marseille, dont cette affaire interroge de toute façon la passivité. En effet, malgré sa position excentrée et sa topographie accidentée, une vocation municipale était évoquée pour ce terrain. “Les plages de Corbières sont juste à côté, on aurait pu espérer autre chose que le ballet des camions”, souffle Joëlle Boulay. Les collines accueillant le champ de tir sont en zone naturelle au plan local d’urbanisme, mais la partie accueillant Progeco et les sociétés de terrassement est classée “AU”. La traduction de ce sigle est riche de promesses : À urbaniser. Le plan local d’urbanisme évoque même en toutes lettres et sur un schéma la possibilité d’implanter un “équipement récréatif en lien avec la mer”.
De là à ce qu’un toboggan ou un musée de la mer débarque, il peut se passer bien des années. Les multiples propriétaires, dont la plupart ne résident pas à Marseille sont plutôt “passifs” et la mairie ne leur a “jamais rien proposé”, souligne François Maurel. “C’est une propriété assez ancienne, qui rapporte assez peu et s’est morcelée au fil des successions.”
À raison de quelques euros la tonne, l’aménagement d’ECT représente plusieurs centaines de milliers d’euros de recettes. On espère que les propriétaires ont négocié un beau pourcentage.
Commentaires
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ça pue la Camorra !!!
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De multiples protections (zone naturelle au plan local d’urbanisme, loi littoral, Natura 2000, « site classé » par le ministère de l’Environnement en 2013…). Mais puisque “le paiement est réclamé d’avance” et que, comme d’habitude, le petit chantage à l’emploi s’exerce, on ne va tout de même pas se gêner !
Dans cette affaire, comme dans d’autres à commencer par celle d’Alteo, le plus préoccupant n’est pas que des individus sans scrupule fassent du fric en se contrefoutant des conséquences de leurs activités pour la collectivité et pour les générations futures, mais que les services censés être garants de l’intérêt général, ceux de l’État en particulier, regardent ailleurs.
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Une ISDI (Installation de Stockage de Déchets Inertes ou CET/CSDU de classe 3) , qui reçoit les déchets inertes — terres, gravats, béton concassé, etc.—est obligatoirement soumise à autorisation, qui sera instruite et délivrée par les services de l’Etat. La police et la surveillance de ces installations relèvent à la fois des services de l’Etat mais aussi du Maire. A Corbières un enjeu de niveau national doit faire fermer les yeux aux pouvoirs publics. Sur Marseille,serait-ce le manque de décharges ou de sites de valorisation des déblais à évacuer comme ceux provenant des terrassements de la L2? Il est curieux que les élus locaux ne bougent pas ou si peu?
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Il est pas beau, mon méli-mélo ? Un doigt de natura 2000, un stand de tir ((aux gabians?)), une grosse cuillère de 100 000m3, saupoudrez de quelques articles de notre belle loi littoral, des monticules d’une hauteur impressionnante ponctuant un site classé, un roupillon de 6 mois pour les services de l’état, ceux de la ville en coma profond…. On n’est pas sur mars, mais simplement à Marseille, et nulle part ailleurs! Là où la loi s’applique au cas par cas, selon les cas et selon les intérêts en jeu et les acteurs concernés, la filiale de X ou l’important groupe du secteur…( A la place des riverains du stade pépinière, je me méfierais….) . Et pourtant, force doit rester à la loi, article 7 de notre constitution… et il est tant de sortir de cette étrange passivité et de saisir la chose, qui ne saurait rèsister sans se mettre derechef hors la loi! Y’ a qu’à demander à Chenoz la police municipale, envoyer la patrouille de la Plaine et fissa, ECT en tremble déjà. Parce que si l’on continue à laisser faire, comme le dit l’homme de l’art (et le pense nombre de marseillais), le jour où ça va descendre !!!
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Ca me rappelle la gestion des ordures par la camora napolitaine.
On empoche un bon pactole, on fourgue dans un espace naturel, classe, protege et natura 2000 et quand on est pris la main dans le pot deconfiture, on parle stand de tir (100 000 m3 !!!!), emplois et regularisation retroactive.
Si la loi se couche ici, il n’y a aucune raison qu’elle ne se couche pasailleurs.
Comme les boues rouges dans le Parc Naturel National des Calanques, un scandale dep’us et une atteinte de plus a l’environnement. Mais tout le monde s’en fout (mairie, prefecture,…). Y aurait il des dessous de table ? La question merite d’etre posee et resolue.
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